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Le bar à poèmes
31 août 2024

Dominique Sorrente (1953 -) : Le dit de la neige

 

Le dit de la neige

 

Nous avons retrouvé la neige, elle mangeait ici

des fruits secs. Rien ne lui importait tant que de laisser

le jour s’accomplir.

 

Nos pas glissants se souvenaient des autres pas.

 

L’hiver.

C’était d’abord cela, l’hiver, prisonnier pur de l’imparfait.

Celui qui attendait des signes pour entreprendre

vivait dans cette neige.

Là.

*

 

Car le monde est ainsi couvert du blanc qui ment, de celui qui apaise.

Heureux es-tu, plein jour de l’homme ou du grand arbre,

toi qui sais ne pas les confondre !

 

*

Et le voici, de pleine écorce, rendu muet,

abandonné de ses feuillages.

Il entre en son silence qu’ignorent les instants des villes.

 

Au skieur de fond qui le frôle, à ses bâtons qui jettent

la cadence, qu’a-t-il à dire ? Il laisse faire.

Un autre temps, d’allonge ou de paroi,

travaille à ses racines.

 

Ce qu’elle aime déroute toujours mes mains.

 

La place est libre pour ces lumières de vent à naître, pour le cours d’une joie

d’adresse survivante. Aucun témoin

ne s’échappera du pays parallèle.

 

Un jour aura fini selon l’épitre de l’hiver.

 

*

à Gilles Antonowicz,

ami dans les premiers matins

 

Ma naissance alors est comme celle d’un ami de la neige

qui vient vers moi depuis les jours serviteurs de l’enfance,

 

ma mort est cette perte d’alambic

comme celle d’un ami de la neige

qui s’absente pour des années encore,

 

quand devant nous marchent les lettre en retrouvailles

le génie de décembre au cœur.

 

Il est beau, ce claquement d’ailes entrevues dans la lenteur de la forêt.

 

Aucune feuille ne courbera le ciel,

 

Aucun calcul n’aura son chemin de ronde en ces lieux.

 

Un peu de terre recouverte

occupe toute l’histoire.

 

*

Je prends cette parole qui gèle sur le visage.

 

Je taille l’aigle du temps.

 

Là, je porte mon cri.

 

Quand la nuit héritière revient à pas de loup,

je suis toujours le même enfant blotti.

 

*

Ils ont pillé l’ombre et la blancheur de l’ombre.

 

A présent, ils sont devenus corbeaux qui rasent le champ.

Et je les vois, sous leur tremblement noir, quand ils tournoient au soleil, plus

bagués qu’on ne pense.

 

Homme sept fois perdu,

quand t’arrivera-t-il de demander

ta route à la montagne,

faire tienne l’histoire d’une étoile du Berger

qui s’évanouit entre tes mains pour t’enchanter.

 

*

Fais peser tes givres. Amarre tes soleils.

 

La raison pierreuse du Drac

Est plus nue que toutes tes soifs

 

Heureux les enfants de neige qui se sont faits bonshommes .

 

A l’angle mort des lumières, ils sifflent de l’un à l’autre

pour une branche où se dessine un bras,

deux gros cailloux pour voir de leurs seuls yeux,

une écorce qui se fera chapeau.

 

A l’éclaircie de quelque mots,

vous les mettez à découvert, enfants prodigues

qui ne veulent plus repartir,

tant que le jour n’aura pas fondu tout entier

sur leurs mains.

 

Alors et sans attendre, connaissant déjà tout

du temps inculte ou disloqué,

ils signent le moment fantasque

qui les a mis au monde.

 

*

Seul,

ce pourrait être cette pierre à partage.



Le souffle du non-retour

du vent,

le premier logement du soleil

au sommet,

à rendre rose la montagne.

 

Ou bien seul,

la transparence d’un pas perdu, gagné,

tout blanc sur noir

comme une voyelle intermittente.

 

 

J’attends cette aube

ajoutée aux pierres,

 

étendue à tous,

universelle.

 

J’attends cet arbre

jumeau du feu,

qui rêve sur l’oreiller d’emprunt

depuis le jour enfoui de ma naissance.

 

Des oiseaux réveillent les branches,

font un baptême de leurs sèves

comme si ayant perdu le chemin du retour,

nous nous rencontrions pour la première fois

 

Jusqu’aux extrêmes,

Nous allons dans cet étonnement.

 

*

Quelques minutes encore, la nuit amie mêlera

la neige à notre souffle

 

Pour dire quoi, au juste, de ce que je ne sais pas ?

 

Car toujours, elle m’entraîne dans son atelier

pour me montrer les outils oubliés : la peau-tambour

qui résonne le monde, les mots de passe

dans leur migrations de lumière, les débris de miroir

qui s’impatientent au firmament,

miettes de pain pour affamer l’idée de mort,

 le corps d’une lampe qui brûle,

brûle encore.

 

*

Les cahiers tremblent contre le blanc de l’écriture.

 

Ils savent la saison qui ne s’annonce pas.

 

Posés sur un coin de neige, ils retrouvent soudain, leur humeur de bivouac.

 

C’est ainsi que je les préfère avec la peur qui s’appuie

plus légère sur le pays muet des choses.

 

Mes cahiers ont des galeries souterraines du nord au sud, d’est en ouest,

Sous le soleil filtrant chante leur refrain en spirale qu’on réapprend à chaque

fois.

 

 

L’instant panique s’est mis en état d’alerte,

l’homme qui régnait sur sa pensée à la minute précédente

se froisse dans le désordre des sapins.

 

Pour lui, la condition d’un insecte affolé,

 

Et les quelques fruits secs n’y feront rien.

 

*

Plus tard.

 

A la table de pierre, un gant posé suffit parfois

pour retrouver son ciel.

 

*

Et l’avalanche.

 

L’avalanche était le nom d’une jument qui retourne

au galop vers sa maison.

 

 

La neige est dite.

 

La neige ne reprendra rien.

 

Elle vous a seulement changé de place.

 

Où la double vie du monde séjourne en creux,

elle glisse à présent sur l’homme,

suspendue au toit de sa maison.

 

Bien malin celui-là qui bientôt la verra après l’hiver,

continuant sa vie en elle,

matin de pleine lune à naître.

Vallée de Champolléon

Le Champsaur

2000

 

 

Pays sous les continents

Editions M.L.D, 22000 Saint-Brieuc, 2009

Du même auteur :

Lettre du passager (31/08/2019)

 Citadelles et mers (31/08/2020)

L’Apparent de lumière (31/08/2021)

Ephémérides (31/08/2022)

Ballon Rouge en contre-plongée (31/08/2023)

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