Dominique Sorrente (1953 -) : Le dit de la neige
Le dit de la neige
Nous avons retrouvé la neige, elle mangeait ici
des fruits secs. Rien ne lui importait tant que de laisser
le jour s’accomplir.
Nos pas glissants se souvenaient des autres pas.
L’hiver.
C’était d’abord cela, l’hiver, prisonnier pur de l’imparfait.
Celui qui attendait des signes pour entreprendre
vivait dans cette neige.
Là.
*
Car le monde est ainsi couvert du blanc qui ment, de celui qui apaise.
Heureux es-tu, plein jour de l’homme ou du grand arbre,
toi qui sais ne pas les confondre !
*
Et le voici, de pleine écorce, rendu muet,
abandonné de ses feuillages.
Il entre en son silence qu’ignorent les instants des villes.
Au skieur de fond qui le frôle, à ses bâtons qui jettent
la cadence, qu’a-t-il à dire ? Il laisse faire.
Un autre temps, d’allonge ou de paroi,
travaille à ses racines.
Ce qu’elle aime déroute toujours mes mains.
La place est libre pour ces lumières de vent à naître, pour le cours d’une joie
d’adresse survivante. Aucun témoin
ne s’échappera du pays parallèle.
Un jour aura fini selon l’épitre de l’hiver.
*
à Gilles Antonowicz,
ami dans les premiers matins
Ma naissance alors est comme celle d’un ami de la neige
qui vient vers moi depuis les jours serviteurs de l’enfance,
ma mort est cette perte d’alambic
comme celle d’un ami de la neige
qui s’absente pour des années encore,
quand devant nous marchent les lettre en retrouvailles
le génie de décembre au cœur.
Il est beau, ce claquement d’ailes entrevues dans la lenteur de la forêt.
Aucune feuille ne courbera le ciel,
Aucun calcul n’aura son chemin de ronde en ces lieux.
Un peu de terre recouverte
occupe toute l’histoire.
*
Je prends cette parole qui gèle sur le visage.
Je taille l’aigle du temps.
Là, je porte mon cri.
Quand la nuit héritière revient à pas de loup,
je suis toujours le même enfant blotti.
*
Ils ont pillé l’ombre et la blancheur de l’ombre.
A présent, ils sont devenus corbeaux qui rasent le champ.
Et je les vois, sous leur tremblement noir, quand ils tournoient au soleil, plus
bagués qu’on ne pense.
Homme sept fois perdu,
quand t’arrivera-t-il de demander
ta route à la montagne,
faire tienne l’histoire d’une étoile du Berger
qui s’évanouit entre tes mains pour t’enchanter.
*
Fais peser tes givres. Amarre tes soleils.
La raison pierreuse du Drac
Est plus nue que toutes tes soifs
Heureux les enfants de neige qui se sont faits bonshommes .
A l’angle mort des lumières, ils sifflent de l’un à l’autre
pour une branche où se dessine un bras,
deux gros cailloux pour voir de leurs seuls yeux,
une écorce qui se fera chapeau.
A l’éclaircie de quelque mots,
vous les mettez à découvert, enfants prodigues
qui ne veulent plus repartir,
tant que le jour n’aura pas fondu tout entier
sur leurs mains.
Alors et sans attendre, connaissant déjà tout
du temps inculte ou disloqué,
ils signent le moment fantasque
qui les a mis au monde.
*
Seul,
ce pourrait être cette pierre à partage.
Le souffle du non-retour
du vent,
le premier logement du soleil
au sommet,
à rendre rose la montagne.
Ou bien seul,
la transparence d’un pas perdu, gagné,
tout blanc sur noir
comme une voyelle intermittente.
J’attends cette aube
ajoutée aux pierres,
étendue à tous,
universelle.
J’attends cet arbre
jumeau du feu,
qui rêve sur l’oreiller d’emprunt
depuis le jour enfoui de ma naissance.
Des oiseaux réveillent les branches,
font un baptême de leurs sèves
comme si ayant perdu le chemin du retour,
nous nous rencontrions pour la première fois
Jusqu’aux extrêmes,
Nous allons dans cet étonnement.
*
Quelques minutes encore, la nuit amie mêlera
la neige à notre souffle
Pour dire quoi, au juste, de ce que je ne sais pas ?
Car toujours, elle m’entraîne dans son atelier
pour me montrer les outils oubliés : la peau-tambour
qui résonne le monde, les mots de passe
dans leur migrations de lumière, les débris de miroir
qui s’impatientent au firmament,
miettes de pain pour affamer l’idée de mort,
le corps d’une lampe qui brûle,
brûle encore.
*
Les cahiers tremblent contre le blanc de l’écriture.
Ils savent la saison qui ne s’annonce pas.
Posés sur un coin de neige, ils retrouvent soudain, leur humeur de bivouac.
C’est ainsi que je les préfère avec la peur qui s’appuie
plus légère sur le pays muet des choses.
Mes cahiers ont des galeries souterraines du nord au sud, d’est en ouest,
Sous le soleil filtrant chante leur refrain en spirale qu’on réapprend à chaque
fois.
L’instant panique s’est mis en état d’alerte,
l’homme qui régnait sur sa pensée à la minute précédente
se froisse dans le désordre des sapins.
Pour lui, la condition d’un insecte affolé,
Et les quelques fruits secs n’y feront rien.
*
Plus tard.
A la table de pierre, un gant posé suffit parfois
pour retrouver son ciel.
*
Et l’avalanche.
L’avalanche était le nom d’une jument qui retourne
au galop vers sa maison.
La neige est dite.
La neige ne reprendra rien.
Elle vous a seulement changé de place.
Où la double vie du monde séjourne en creux,
elle glisse à présent sur l’homme,
suspendue au toit de sa maison.
Bien malin celui-là qui bientôt la verra après l’hiver,
continuant sa vie en elle,
matin de pleine lune à naître.
Vallée de Champolléon
Le Champsaur
2000
Pays sous les continents
Editions M.L.D, 22000 Saint-Brieuc, 2009
Du même auteur :
Lettre du passager (31/08/2019)
Citadelles et mers (31/08/2020)
L’Apparent de lumière (31/08/2021)
Ephémérides (31/08/2022)
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