Cielo d’Acalmo (XIIIème siècle) : Contraste / Contrasto
Contraste
« Fraîche rose embaumée, qui éclos en été,
Les femmes te désirent, filles ou mariées
Tire-moi du brasier si ton cœur a pitié.
Pour vous, belle dame, l’amour
Me ronge la nuit et le jour.
- A te ronger d’amour tu fais grande folie :
Tu peux semer au vent et labourer la mer,
Amasser à toi seul tous les bien de la terre,
Tu ne m’auras pour rien au monde :
J’aimerais mieux me faire tondre.
- Si tu te faisais tondre, j’aimerais mieux mourir :
Tes cheveux font ma joie et tout mon réconfort ;
Quand je passe par là, ô rose du jardin,
Leur vue fait toutes mes délices
Plaise à toi qu’Amour nous unisse.
- Et s’il ne me plaît pas que l’amour nous unisse,
Si mon père te voit et mes autres parents,
Prends garde : ils courent vite et ils t’attraperont.
Si venir fut un jeu d’enfant,
Gare à toi en t’en retournant.
- Si ton père me prend, que pourra-t-il me faire ?
Avec une défense de deux mille augustales (1),
Il ne me touchera pour tout l’or de Bari.
Vive l’empereur ! Vive Dieu !
Comprends-tu, ô joie de mes yeux ?
- Tu m’assièges sans trêve, le soir et le matin.
Moi, j’aime les besants (2) et les massamotins (3),
Mais, pour tous les trésors qu’avait le Saladin
Et en sus tout l’or du Sultan,
Tu ne pourrais toucher ma main
........................................................
-Tu as beau dire et faire, je ne m’en irai point.
Egorge-moi plutôt : prend ce couteau tout neuf ;
Il y faut moins de temps que pour te cuire un œuf.
Contente mon désir, ma belle
Car mon âme et mon cœur s’enfiellent.
- Je vois bien que tu souffres comme sur un bûcher,
Mais je ne puis céder : prier est inutile.
Si tu ne jures pas sur les saints Evangiles,
Avant qu’à toi je me soumette,
Tu devras me trancher la tête.
- L’Evangile dis-tu ? Vois, je l’ai dans ma poche :
Je l’ai pris au moûtier (à l’insu du bon père).
Sur ce livre je jure de ne point te quitter.
Belle, contente mon désir :
Je sens mon âme défaillir.
- Puisque tu as juré, je brûle tout entière ;
Je suis à vous, beau sire, et plus ne me défends ;
Si je t’ai méprisé, désormais je me rends,
Allons vite au lit de conserve
Voir quels bonheurs il nous réserve. »
(1) monnaie d’or, la première frappée en Italie
(2) monnaie d’or byzantine
(3) En espagnol Mazmodina, monnaie des Almonades, venus d’Afrique du Nord en Andalousie.
Traduit de l’italien par Claude Perrus
In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »
Editions Gallimard (Pléiade), 1994)
Contrasto
«Rosa fresca aulentis[s]ima ch’apari inver’ la state,
L e donne ti disiano, pulzell’ e maritate:
Tràgemi d’este focora, se t’este a bolontate;
Per te non ajo abento notte e dia,
Penzando pur di voi, madonna mia.
.
- Se di meve trabàgliti, follia lo ti fa fare.
Lo mar potresti arompere, a venti asemenare,
l’abere d’esto secolo tut[t]o quanto asembrare:L
Avere me non pòteri a esto monno;
Avanti li cavelli m’aritonno.
-Se li cavelli artón[n]iti, avanti foss’io morto,
Ca’n is[s]i [sí] mi pèrdera lo solacc[i]o e ’l diporto.
Quando ci passo e véjoti, rosa fresca de l’orto,
Bono conforto dónimi tut[t]ore:
Poniamo che s’ajúnga il nostro amore.
- Ke’ l nostro amore ajúngasi, non boglio m’atalenti:
Se ci ti trova pàremo cogli altri miei parenti,
Guarda non t’ar[i]golgano questi forti cor[r]enti.
Como ti seppe bona la venuta,
Consiglio che ti guardi a la partuta.
- Se i tuoi parenti trova[n]mi, e che mi pozzon fare?
Una difensa mèt[t]onci di dumili’ agostari:
Non mi toc[c]ara pàdreto per quanto avere ha ’n Bari.
Viva lo 'mperadore, graz[i'] a Deo!
Intendi, bella, quel che ti dico eo?
- Tu me no lasci vivere né sera né maitino.
Donna mi so’ di pèrperi, d’auro massamotino.
Se tanto aver donàssemi quanto ha lo Saladino,
E per ajunta quant’ha lo soldano,
Toc[c]are me non pòteri a la mano.
.........................................................................................
- Per zo che dici, càrama, neiente non mi movo.
Intanti pren[n]i e scànnami: tolli esto cortel novo.
Esto fatto far pòtesi intanti scalfi un uovo.
Arcompli mi’ talento, [a]mica bella,
Ché l’arma co lo core mi si ’nfella.
- Ben sazzo, l’arma dòleti, com’omo ch’ave arsura.
Esto fatto non pòtesi per null’altra misura:
Se non ha’ le Vangel[ï]e, che mo ti dico ’Jura’,
Avere me non puoi in tua podesta;
Intanti pren[n]i e tagliami la testa.
- Le Vangel[ï]e, càrama? ch’io le porto in seno:
A lo mostero présile (non ci era lo patrino).
Sovr’esto libro júroti mai non ti vegno meno.
Arcompli mi’ talento in caritate,
Ché l’arma me ne sta in sut[t]ilitate.
- Meo sire, poi juràstimi, eo tut[t]a quanta incenno.
Sono a la tua presenz[ï]a, da voi non mi difenno.
S’eo minespreso àjoti, merzé, a voi m’arenno.
A lo letto ne gimo a la bon’ora,
Ché chissa cosa n’è data in ventura.
Poème précédent en italien :
Cesare Pavese : Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023
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Alfonso Gatto : Cendres / Cenere (31/07/2023)