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Le bar à poèmes
13 juillet 2023

Léopold Sédar Senghor (1906 – 2011) : Elégie de minuit

senghor_monaco[1]

 

Elégie de Minuit

 

Eté splendide Eté, qui nourris le poète du lait de ta lumière

Moi qui poussais comme blé de Printemps, qui m’enivrais de la verdeur de

     l’eau, du ruissellement vert dans l’or du Temps

Ah ! plus ne peux supporter ta lumière, la lumière des lampes, la lumière

     atomique qui désintègre tout mon être

Plus ne peux supporter la lumière de minuit. La splendeur des honneurs est

     comme un Sahara

Un vide immense, sans erg ni hamada sans herbe, sans un battement de cils,

     sans un battement de cœur.

Donc vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et les yeux grands ouverts comme le

     Père Cloarec

Crucifié sur la pierre par les Païens de Joal adorateurs des Serpents.

Dans mes yeux le phare portugais qui tourne, oui vingt-quatre heures sur vingt-

     quatre

Une mécanique précise et sans répit, jusqu’à la fin des temps.

 

Je bondis de mon lit, un léopard sur le garrot, coup de Simoun soudain qui

     ensable ma gorge.

- Ah ! si seulement m’écrouler dans la fiente et le sang, dans le néant.

Je tourne en rond parmi mes livres, qui me regardent du fond de leurs yeux

Six mille lampes qui brûlent vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Je suis debout, lucide étrangement lucide

Et je suis beau, comme le coureur de cent mètres, comme l’étalon noir en rut  

     de Mauritanie.

Je charrie dans mon sang un fleuve de semences à féconder toutes les plaines

     de Byzance

Et les collines, les collines austères.

Je suis l’Amant et la locomotive au piston bien huilé.

 

Douceur de ses lèvres de fraises, densité de son corps de pierre, douceur de

     Son secret de pêche

Son corps, terre profonde, ouverte au noir Semeur.

L’Esprit germe sous l’aine, dans la matrice du désir

Le sexe est une antenne au centre du Multiple, où s’échangent des messages

     fulgurants.

Plus ne peut m’apaiser la musique d’amour, le rythme sacré du poème.

Contre le désespoir Seigneur, j’ai besoin de toutes mes forces

- Douceur du poignard en plein cœur, jusqu’à la garde

Comme un remords. Je ne suis pas sûr de mourir.

Et si c’était cela l’Enfer, l’absence de sommeil ce désert du Poète

Cette douleur de vivre, ce mourir de ne pas mourir

L’angoisse des ténèbres, cette passion de mort et de lumière

Comme les phalènes la nuit sur les lampes-tempêtes, dans l’horrible

     pourrissement des forêts vierges

 

Seigneur de la lumière et des ténèbres

Toi seigneur du cosmos, fait que je repose sous Joal-l’Ombreuse

Que je renaisse au Royaume d’enfance bruissant de rêves

Que je sois le berger de ma bergère par les tanns de Dyilôr où

     fleurissent les Morts

Que j’éclate en applaudissements quand entrent dans le cercle Téning-N’dyaré

     et Tyagoum-N’dyaré

Que je danse comme l’Athlète au tamtam des Morts de l’année.

Ce n’est qu’une prière. Vous savez ma patience paysanne.

Viendra la paix viendra l’Ange de l’aube, viendra le chant des oiseaux inouïs

Viendra la lumière de l’aube.

Je dormirai du sommeil de la Mort qui nourrit le Poète

- O Toi qui donnes la maladie du sommeil au nouveau-nés, à Marône la

     Poétesse à Kotye-Barma le Juste !-

Je dormirai à l’aube, ma poupée rose dans les bras

Ma poupée aux yeux vert et or, à la langue si merveilleuse

La langue même du poème.

 

 

Nocturnes

Editions du Seuil, 1961

Du même auteur :

Prière pour la paix (13/07/2014)

L’Absente (13/0720/15)

Ndessé (13/07/2016)

Elégie des eaux (13/07/2017)

Chant du printemps (13/07/2018)

Chants d'ombre I (13/07/2019)

Chants pour Signare (13/07/2020)

Le retour de l’enfant prodigue (13/07/2021)

Chants d'ombre II (13/07/2022)

Elégie des saudades (13/07/2024)

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