André Miguel (1920 - ?) : Hymne à mémoire (16 – 20)
Cécile et André Miguel. Photo : A.M.L. Service du livre luxembourgeois
Hymne à mémoire
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16
La vallée aspire
le bleu céleste
Les platanes oscillent
Je reste longtemps
sur un mur blanc
A l’ombre
pour jouir de ce qui monte
palpitations visibles
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Garder un point de vue immense dans le minuscule et le dérisoire.
Sphère originelle qui d’un souffle efface le commencement pour se perdre,
corps, feuilles, os, pulpe, dans l’infini.
Le trou du rocher est désir de naître.
L’insaisissable dérive sur la blancheur. Je suis assis parmi les branches
dans l’insaisissable forêt.
Aurai-je la patience de remplir les angles et les creux avec de la poussière
de sang, de délivrer tous les possibles ailés, englués dans la salive des dieux ?
L’insaisissable forêt dérive sur la blancheur de ton corps, monde de la
césure, du renversement et de la renaissance.
Rosée de l’herbe rosée des fleurs
émanation de l’infini.
Futaies et labours, ville
apparue et disparue, tours comme le retour de l’imprévisible, lieus élémentaires
que la lumière pénètre, que la lumière lit.
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Corps-nuits, corps-sans-éclairs, corps-siècles-de-suite, corps-vapeurs-violettes,
corps-marteaux-d’ébène.
L’ombre lit les corps obscurs ; l’ombre s’infiltre dans la terre, l’ombre déchiffre
les ruines.
Terre calcinée.
Véhémence fantôme, mois de cendre, massif silence, braise noire.
Epaisseur de détresse, indistincte plante, cri de contre-lumière, âge de mécanismes
coagulés, l’ombre lit l’avenir bestial, poilu entre les dents.
Savoir en monceaux de morceaux, avalement nocturne, sexe qui fouette et grince.
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Lieu solaire que
la lumière
lit
lieu d’eau que pénètre la lumière
lieu élémentaire que la
lumière
lit
Araignée de feu
cascade sortant de la pierre
Espace heureux mémoire blanche
d’être instant
20
Foule de valériane, chant d’enivrement sous l’ondulation céleste. L’âme et le corps
ne sont pas séparés. Le corps et l’âme sont un même organe, ni mâle ni femelle, ni âne
ni sauterelle.
L’âme et le corps sont
l’enfant et le père du nombre jamais dénombré
et l’enfant
qui allaite sa mère
Verts crêtés, verts mous, verts las, verts confus, verts en sourcils épais. Les
roches élèvent des rangées de présences, statues frustres de l’impassible vide.
Un passage souterrain. Vous refusez de jouer de la harpe sur le dos de
la montagne. Semence qui parle. Messagers dont l’oreille droite grandit avec
la montée du son. Iridescence devant la barque qui porte le
corps métaphorique.
On attend la ténèbre, on espère le sang clair.
Coulera-t-il dans la bouche du dieu ?
Lire entre les plumes et les brandons. Un tournant venteux.
Un membre qui grandit avec la terreur de l’ombre. Une piste
dans le désert. Des vieillards appuyés à leur méditation de poussière.
Accepter de perdre à jamais,
de perdre sans espoir.
Bois matinalement verts, fenêtre du ciel entre deux nuages. Un amas d’étoiles
se pulvérise, des oiseaux se précisent. Nous déjeunons de frissons de vent et de
regards renaissants dans la simplicité de l’heure.
non-créés,
non-dits.
In, « Le journal des poètes, N°3 »
Maison Internationale de la Poésie, Bruxelles, 1974