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Le bar à poèmes
21 avril 2023

Paul Dirmeikis (1954 -) : L’anneau des frontières (XII - XVIII)

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L’anneau des frontières

 

.......................................... 

XII

D’où viendront les mots qui parlent de la douceur

terrible de ces mains serrant mon âme

quand le soleil va tissant des souvenirs

aux plaines perdues aux plaintes des arondes ?

D’où viendront ces mots qui disent que je partirai

je sais sans avoir goûté tout de cette terre ?

 

Mon pas se ralentit déjà ça se sent

à l’empan plus court des jours ces jours

                                                              qui passent

sans traces avec l’aube pesant sur l’épaule

comme le bras d’un frère sur d’anciens songes

 

Je m’ennuie dans les villes aux vains mouvements

Qu’on me laisse du temps pour te regarder

ôter encore au ciel son tissu blessé

pour lisser aux yeux la mer qui se retire

Je cherche une maison où personne n’est mort

dans l’ombre d’un soir quand le cœur fait si mal

 

Je tournoie dans les vents mon cœur est tendu

Il manque du souffle à l’esprit de mes lieux

Il manque comme une saison à ma flottaison

Au fond du jardin ont poussé tant d’errances

 

D’où viendra le fil des jours menant au seuil

ce fil qui mesurera la distance

entre la pensée et la rosée entre

la résurrection des lointains voyages

et la certitude de se tenir ici

entre la nécessité et la terreur ?

 

XIII

Nos mots sont le granit où se gravent nos mots

ceux qui sont dits comme ceux qui sont tus

                                                            sont au foyer

 

galets nous nous polissons des doigts

et des salives et les veines de la pierre

                                                           sont nos rides

 

s’élèvent les oliviers dans notre âme s’y tordant

comme des flammes et s’y enterrant bien plus loin

 

prends ma vie : qu’elle soit la tourbe courbée de

patience et d’ambres qui sèchera à ton ventre nu

 

sur chaque pas un palmier déplie sa rémanence

d’ailes et se recoiffe dans l’air et se tait

 

nous sommes le verger où tous les rouges fruits

nous assoiffent et nous savent désaltérer

                                                 de leur jus des jours

 

au port de tes jambes accoste ma mémoire

s’arrime ma mémoire même dans la fuite

                                                           qui t’enjambe

 

à l’aisselle ton santal à l’aine ton santal

dans tes saisons et sur mes lèvres s’étend sa cendre

 

nous ne nous sommes pas rencontrés

quelle illusion ! nous avons plissé sans savoir

                                                      le même chemin

 

entre nos corps s’est glissé un ange pollen à nos

flancs qu’effleurent nos paumes

                                  quand nous nous endormons

 

nos pluies sont immobiles nos pluies unissent les

cordes de ton cri que tu tais quand sur nous

                                                                      il pleut

 

par cœur la marée nous la connaissons qui nous

découvre comme un drap et sa laisse nous laisse là

 

près des vignes notre premier baiser a mêlé ses

sarments au serment de l’être à chacun sa vigne

 

c’est la crique où nos regards crissent où se croisent

la fleur et l’absence que tes pas t’ont menée

 

nous sommes sortis l’un de l’autre comme cigale

hors de terre nos paupières se frottent à nos joies

 

écoute la mouette cardant tes genoux

le temps se déchire comme au ciel un tissu écarté

 

le premier enfant vint d’un monde que nous serrions

dans nos bras sans le savoir sans y boire

 

le deuxième enfant vint d’un monde éclos par nos

souffles plus éblouissant qu’un souvenir

 

le troisième enfant vint d’un monde encore

lointain au faîte du futur des rouges-gorges

 

il n’est d’autre maison plus vaste que l’enceinte

de nos vies avec le ciment des caresses

 

quelle fougère plus ignorée saurions-nous

déplier que celle où nos vingt doigts

                                                  se sont fossilisés ?

 

je suis la coquille d’où coule ton sable

tu es la coquille où mon sable s’est fait pierre

 

nous gardons à nos doigts la trace d’une poussière

qui blanche qui crue s’élève de nos soupirs

 

tu es mon cairn corps où ce qui ne s’oublie pas

caresse aux cornes de la mort

 

et si notre chant dure c’est que le geste est

toujours au commencement de ce dont nous

                                                       nous souviendrons

 

XIV

(MEMENTO MORI)

 

Là-bas derrière la vitre des haleines

on bâtit des maisons sur la colline

Vous qui viendrez tiendrez-vous compte de

la direction du vent de ses traces

posant votre peine sur des feuilles volantes ?

 

Là-bas je vous verrai dérouler vos souvenirs

comme des tapis couvrant le ciel

d’ailes de poussière

choisir cette place où le passé se verra bien

 

Approchez du ruisseau je vous montrerai

le merisier aux branches nues frissonnant

de mésanges qui viennent telles des caresses

prendre au ciel une graine de ma mémoire

partant et revenant comme un cœur qui bat

un regard furtif sur des jambes de femme

 

Foulez mon jardin vous verrez que l’au-delà

est plus près de nous qu’un mot très doux

qu’une mère

peut murmurer au soir qui va bientôt tomber

Vous verrez l’herbe en sait davantage que nous

sur comment il convient de bien plier sa vie

selon les points cardinaux quand le froid presse

notre pas et le dirige top loin de nous

 

Mouillant vos pieds aux choses sûres

vous saurez que votre nom comme au tableau

des classes s’efface dès qu’on tourne le dos

Il faudra d’une main sèche refaire devant soi

le blanc lié soigné des lettres

nous attachant nous retenant les uns aux autres

comme aux branches des mots des feuilles

Frappez aux carreaux vous verrez que j’ai préparé

votre départ avant d’ouvrir mes tiroirs

Vous verrez que ma maison s’appuie contre le ciel

comme un ami blessé sur l’épaule du temps

qu’elle se tient par la grâce seule des paroles

autour de mon cou cette écharpe chaude

 

Vous verrez qu’un rire de mon fils

suffit à déplier dans le vent

ses murs blancs ses ardoises noires

nappe qui s’écarte dans l’été

plus phréatique que nos secrets

 

Entrez dans ma maison et vous verrez

que tout y est sable et lentes marées

de celles qui emportent les cendres

des morts posées au trou creusé de l’âme

De vos doigts incrédules vous lisserez

les manteaux posés en tas sur le lit

car mes invités quoique introuvables

sont plus nombreux qu’au ciel les étoiles

Le vide des chaises n’est jamais celui

qu’on pose et si un semblant d’errance

âcre encens s’élève des livres ouverts

c’est pour montrer que chaque heure qui vient

est une pierre brute que le Chant

doit pénétrer pour y poser son feu

 

Vos paupières se fermeront

et vous vous souviendrez

de ceux qui s’en sont allés rejoindre l’indivis

Vos larmes seront plus légères que des moineaux

malgré les murs de votre souffle couverts de peurs

Vous oublierez tout puisqu’on vous oubliera aussi

Ignorez-vous que nous sommes

semblables aux nuages

que l’invisible emplit pour être révélé ?

Les chambres son vides et je danse devant vous

réduisant toujours plus l’empan de mes chemins !

 

Repassez le ruisseau et là-bas chez vous

sur la colline du très loin vous serez

tout près de cette coupe vide

où vos lèvres se sont blessées

Mes mots comme des larmes

de sang vous préviendront

d’à quelle distance

je me tiens

 

XV

Tout va si vite aussitôt que l’on fait

cœur clos les mêmes gestes

dans une coulée de jours

lorsqu’ils se coagulent à tant se succéder

dans une âme qui s’est émoussée

ainsi qu’un gond à l’huis lourd du temps

 

Mais nous c’est autre chose

aucun de tes baisers n’a jamais eu le même sel

au ventre de l’ambre des vents

rougeoie toujours ce moment qui n’est qu’à nous

à ton pli de l’aine c’est ma prière

qui s’enlie de colonne en colonne

tu es mon cloître avec ses laines de marées

 

Tout va si vite aussitôt que l’on dit

écluse close les mêmes mots

dans un canal de sable

lorsqu’ils se déshabillent à tant se vêtir

dans un chant qui s’est émoussé

ainsi qu’un rocher aux caresses des vagues

 

Mais nous c’est autre chose

aucun de tes refrains  n’a jamais eu le même fruit

au centre de l’ombre des murmures

brûle toujours cet écho qui n’est qu’à nous

à ton pli des lèvres c’est ma prière

qui s’envole de frelon en frelon

tu es ma nef avec ses linges de nuages

 

Tout va si vite aussitôt que l’on voit

miracle clos les mêmes fièvres

dans un couloir de grains

lorsqu’elles se consument à tant s’embraser

dans un amour qui s’est émoussé

ainsi qu’un souvenir au verso des pages

 

Mais nous c’est autre chose

aucun de tes regards  n’a jamais eu la même nacre

aux cendres de la chambre des brumes

flamboie toujours cette fleur qui n’est qu’à nous

à ton pli des moissons c’est ma prière

qui s’enivre de festin en festin

tu es mon âtre avec ses manteaux de voyages

 

Ce sera toujours autre chose

 

XVI

Tends tes doigts vers l’ouverture barrière

                           avec le pain du jour sur ta paume

Accueille les clameurs du coq            les plaintes

telles de longues tables griffées

                           aux lèvres asséchées

                           de tes rêves

tressant l’ombre                     comme un chèvrefeuille

trace un peu de son chant

                           tout contre               le silence

 

 

Tends ton esprit vers la marge

vers l’odeur d’amorce d’

                                        un silex éclaté

Souviens-toi des pelouses arrosées        de l’enfance

des tourniquets d’eau que tu traversais      en criant

tel une hirondelle            aux cuisses blessées

 

 

Tends tes doigts vers l’exil        des libellules

vers ce vide aussi infaillible

que la terre brûlée                      des murs

 

 

N’accepte jamais qu’un papillon    comme masque

                                                                                 funéraire

car ton jardin n’est pas plus lourd que

                          ces nuages

                          s’éloignant dès que    la cour carrée

résonne sous des sabots anciens

 

 

Sois plus étranger plus insolent

que le sommeil des oiseaux

                                de nuit

plus innocent que                               l’estran du ciel

 

XVII

à la barrière en bas du jardin là-bas sont des morts

                                                             qui s’échouent

des vagues qui achèvent leur chant des clés

                                                       et des gants égarés

des étoffes de brun piquetées des dentelles

                                                des songes d’araignées

il est quelle heure ? on demande encore en fin                                        

                                            d’après-midi quand la vie

s’agenouille sans savoir pourquoi ou bien                                   

                                              c’est le matin quelqu’un

est parti on a essuyé la table on regarde dehors

                                                      les jointures du ciel

on laisse sonner le téléphone longtemps

                                        comme un nœud qui se serre

à plus loin on reporte les choses on écoute

                                                     les longs trombones

du temps s’est éteint le bâton d’encens

                                                 de la journée on est nu

au fond du ventre le vent coince ses pans de robe

                                                              sous le silence

des vieux journaux on prolonge l’absence

                                              on la mâche longuement

là-bas à la barrière où l’hiver déjà s’agrippe

                                                                   et déjà pèse

 

 

là-bas à la barrière en bas du jardin quelqu’un

                                                        attend on cueillera

des mûres entre les accidents des ronces les morts

                                                              aussi ont droit

à nos caresses à nos doigts qui saignent

                                                    on percevra un écho

on le serrera contre son cœur comme un nom

                                                   retrouvé trois nuages

se détacheront des paupières comme des pétales

                                                                    de chagrin

au loin un enfant tire une carriole sur les cailloux

                                                                    des heures

ses doigts collent de résine des étoiles

                                                            dans les genoux

sous ses sandales la poussière ancienne

                                                      des mauvaises nuits

là-bas à la barrière retenue à ton sang d’un anneau

de corde usée comme de maladroites paroles

                                                                         d’adieu

 

 

en bas de ton jardin là-bas à la barrière les herbes

ne sont pas encore coupées peut-être des bêtes

te guettent ont peur disparaissent

                                                        avec leurs guerres

furtives et leurs ombres abandonnées

dans la terre on imagine des secrets plus ivres

qu’une femme peut l’être à l’aine des confidences

trempées de cendres et de fièvres                                                 

                                                    de péchés ondoyant

comme blés en été des dialectes où poser sa tête

pour une nuit sans mémoire qui se froisse

sans larme derrière sans broderie d’odeurs

là-bas on est appelé par des miels secs

                                                              de fond de pot

par les bougies flottantes des soirs de fête

les nappes tachées de lunes mauves

la bretelle a glissé de l’épaule

comme un orage menaçant là-bas

 

 

là-bas en bas de toi à la barrière on devine un quai

qui donc viens-tu accompagner dans cette pluie                                                       

                                                                qui s’émiette

dans la lumière pour la plus grande joie

                                                                  des remords

on a l’âme pétrie de marées cruelles et les lèvres

comme des rocs grêlés de serments oubliés

on agite sa main comme un essuie-glace

                                                                  et la maison

s’enfonce plus loin dans la nuit à chaque passage

quelqu’un plie sa chemise sur un dossier évidé

le silence mordille l’aigre aisselle du temps là-bas

à la barrière en bas du jardin là où on t’a dit de ne

                                                               pas approcher

quelqu’un descend et le mensonge se prolonge

                                                            dans le ruisseau

 

XVIII

L’espace d’un instant je crois reconnaitre

le goût du jour je pose mes outils contre

la main se méfie du mufle

on craint toujours la morsure

 

il faut pour respirer saisir la pluie

elle ne me répugne plus la rouille

se referme la boîte à lettres vide

l’os fait son chemin sous la peau

 

peut-être je me dis peut-être

c’est bien de lisser l’aile

de ne plus cueillir aux paroles

de poser sa main près de la main

 

je frôle les orties du silence

le cœur peut s’y blesser

tant qu’on n’a pas perçu

l’appel à donner sa voix

 

souvent je me dis souvent

il est cruel de se dénouer

pour sembler simplement plus grand

la forme çà se perd sous le vent

 

pour écouter il faut glisser

sa cuisse contre le soir

serrer la clé jusqu’à la marque

disposer les reflets tels un bouquet

 

l’espace d’un mot je crois réveiller

le sel dans la terre je brûle mes lèvres contre

je trace des sillons au devant du pas des morts

on espère toujours qu’ils vous remettent

 

sûrement je me dis sûrement

que la fin du jour et l’aube

ont même sang et même robe

qu’un seul espoir sait relever

 

je reprends mes outils je reviens

encore au centre de ce son

que la patience fait en frottant

ses mains pour se réchauffer

 

 

L’Epaule d’Orphée suivi de L’anneau sans frontières

L’Eveilleur, 22190 Plérin

Du même auteur :

Laudes du bois (20/04/2019)

L’Epaule d’Orphée (21/04/2020)

Laudes du feu (21/04/2021)

L’anneau des frontières (I-XI) (21/04/2022)

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