Eugène Guillevic (1907 – 1997) : Carnac (II)
Source : Le temps des cerises, communiqué par Jean-Pierre Ravery (Le Maitron)
Carnac
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A Carnac d’autres vents
Font semblant d’apporter
Des souffles de vivants
Mais ne sont que passants.
*
Les herbes de Carnac
Sur les bords du chemin
Sont herbes d’épopée
Que le repos ne réduit pas.
*
Du milieu des menhirs
Le monde a l’air
De partir de là,
D’y revenir.
La lumière y est bien,
Pardonne.
Le ciel
A trouvé sa place.
*
Fermes à l’écart, hameaux,
Dans vos pins,
Dans vos chemins,
Vous n’êtes pas tout à fait sûrs
De votre assise.
Le silence
Est obligatoire.
*
Dans les terres
Bien souvent,
La misère
Est au gris fixe.
*
Besoin d’un départ
Marquant les hameaux et les fermes
Vers la vie, davantage de vie,
Vers la mort.
Tremblement tous les jours
Entre les deux.
*
Sur la route de la plage, la fontaine
Etait là comme venue d’ailleurs,
Mal habituée
- Ou c’était le reste
*
Parfois il y avait au large
Des lézards gris dormant
Sous une longue fumée.
La vue de l’escadre
Faisait du pays de Carnac
Un verre de lampe qui pouvait être cogné.
*
Avoue, soleil :
C’est toi l’étendue.
Avec de la mer
Ca te réussit.
Tu sais comment on peut
Apporter du vague
Au milieu du net
Et la mer s’y prête.
*
Sans toi d’ailleurs, soleil,
La mer serait encore
Cognant à l’infini,
Mais alors dans ce noir
Qu’on suspecte la mer
De vouloir devenir
Quand tu es là,
Soleil.
*
Amis, ennemis,
Le soleil, la mer,
Fatigués l’un de l’autre, habitués,
Mais décidés soudain
A dépasser enfin l’extrême du désir
Qu’ils savent, chacun d’eux,
Pouvoir atteindre sans se perdre au sein de l’autre.
Décidés à savoir
Ce qu’ils seront alors
Si la chose arrive
Que l’autre les prenne.
*
Soleil sur la mer,
Silence, un point fixe
Auquel vous tendez
Le soleil, la mer –
Et l’air qui se perd
A vous distinguer !
*
Le soleil, la mer,
Lequel de vous deux
Prétend calmer l’autre,
Au moyen de quoi ?
*
Vous voulez vous battre
Et vous n’arrivez à vous rencontrer
Que pour vous frôler.
*
Au point tu sais, toi, océan,
Qu’il est inutile
De rêver ta fin.
*
Oui, je t’ai vue sauvage, hors de ta possession,
Devant endosser les assauts du vent.
Je t’ai vue bafouée, recherchant ta vengeance
Et la faisant porter sur d’autres que le vent,
Mais je parle de toi quand tu n’es que toi-même,
Sans pouvoir que d’absorber.
*
« Désossée », « dégraissée »,
Ce sont des voix.
« Décolorée »,
« Grise, grise, grise »,
C’est une autre voix.
Elles t’en veulent, ces voix,
Elles sont dans le vent, dans le soleil,
Dans ta couleur, dans ta masse.
*
C’est bon, n’est-ce pas ?
De lécher le pied des rochers,
Ca te change de toi,
*
Sur la plage et les terres
Le soleil se rattrape.
Là il est maître et là
Ce n’est pas lui qu’il voit
Autant que dans la mer.
Là, il se voit le père.
*
A Carnac, le linge qui sèche
Sur les ajoncs et sur les cordes
Retient le plus joyeux
Du soleil et du vent.
Appel peut-être
A la musique.
*
Il y a dans les cours de fermes
Du purin qui ne s’en va pas
Et c’est pour leur donner
De l’épaisseur terrestre.
*
Que dis-tu de ce bleu
Que tu deviens sur les atlas ?
As-tu parfois rêvé
De ressembler à ça ?
*
On ne peut pas te boire,
Tu refuses nos corps,
Mais on te touche
Un peu.
On a ton goût surtout
Et ton odeur qui fait
S’agrandir la distance
Et parfois s’engouffrer
Dans le temps de tes origines.
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Tu peux être fraîche
Et douce à la peau
Dans les jours d’été,
Mais tu ne parles pas
Des souvenirs communs d’il y a quelques temps,
Comme fait la source.
*
On peut plonger en toi.
Tu l’acceptes très bien,
Même tu le demandes.
Mais ce n’est que toucher
Un passé légendaire
Qui s’oublie dans ta masse
Dont tu parais absente.
*
Cet homme que tu prends,
Tu en as bientôt fait,
Au bout de quelques mètres,
Un objet simple et blanc
Qui n’a pour avenir
Que d’être plus défait
Au rythme régulier
De la tranquille exécution de tes sentences.
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Prise entre des rochers
Au cours de la marée,
Tu t’y plais, on dirait.
Douce, douce, caressante –
Et c’est peut-être vrai.
*
Ils n’ont pas l’air de te comprendre,
Ceux qui vivent dans toi,
Ceux qui sont faits de toi,
Ces poissons, ces crevettes.
*
Il me semble pourtant
Qu’à bien les regarder,
Les toucher, les manger,
Ils nous disent de toi
Ce qu’on ne saurait pas,
Qu’ils nous disent surtout,
Ce que tu sens de toi.
*
Tu n’as pour te couvrir
Que le ciel évasé,
Les nuages sans poids
Que du vent fait changer.
Tu rêvais de bien plus,
Tu rêvais plus précis.
*
Toujours les mêmes terres
A caresser toujours.
Jamais un corps nouveau
Pour t’essayer à lui.
*
L’insidieux est notre passé,
Chargé sur nous de représailles.
Pourquoi faut-il que l’on t’y trouve,
Océan, accumulation ?
*
Quand tu reçois la pluie
Reconnais-tu ta fille ?
Exilée, revenue,
Ignorant son histoire,
Qui croit qu’elle te frappe
Ou peut-être t’apaise.
*
Contre le soleil
Tu as voulu t’unir,
Mais avec quoi,
Sauf avec lui ?
*
Si l’espace une fois
Brûlait en rouge et bleu
Mais plus loin, sur la terre,
Ce serait la fête,
Tu pourrais être douce, après.
*
Tu ne changeras pas au cours des ans,
Même si tu en rêves à coups de vagues.
Mais pour moi d’autres jours
Pourraient venir de mon vivant.
Ce sera comme un cercle
Qui se réveille droite,
Une équation montée
Dans l’ordre des degrés,
D’autres géométries
Pour vivre la lumière.
Alors , que seras-tu pour moi ?
Que dirons-nous ?
*
Alors j’irai
Vers le total moi-même.
Ma paix sera plus grande
Et voudra te gagner.
*
Les profondeurs, nous les cherchons,
Est-ce les tiennes ?
Les nôtres ont pouvoir de flamme.
*
Même assis sur la terre
Et regardant la terre,
Il n’est pas si facile
De garder sa raison
Des assauts de la mer.
*
En somme, avec toi,
Qu’on soit sur tes bords,
Qu’on te voit de loin
Ou qu’on soit entré
Te faire une cour
Que la courbe s’impose
Où sont le soleil, le ciel et le sol,
N’importe où qu’on soit,
On est à la porte.
*
On est à la porte,
On a l’habitude,
On ne s’y fait pas.
*
A la porte de l’océan
Et parlant, parlant.
Le difficile,
C’est d’être lui
Et si tu l’étais
C’est de rester toi,
Assez pour savoir
Que tu es les deux
Et pour en crier.
*
Cogne, cogne, cogne,
Puisque ça t’occupe
Et puisque pour nous
Le spectacle est grand
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Carnac
Editions Gallimard, 1961
Du même auteur :
Herbier de Bretagne (31/03/2014)
Le matin (30/03/2015)
Du silence (30/03/2016)
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