Eugène Guillevic (1907 – 1997) : Elle
Elle
Elle marche,
L’air la porte,
Elle ouvre un espace
Rendu plus présent.
*
L’air
Est habité de fleuves
Qu’on ne voit pas.
Elle est leur océan
*
La pesanteur est en elle
Juste ce qu’il faut
Pour que la terre
La retienne
*
Elle craindrait plutôt
La lumière trop forte,
Plus forte que celle
Que proclame son corps.
*
Elle a de l’arbre
Ce que celui-ci
Tait de lui-même
*
Porteuse
D’assez de douceur
Pour pouvoir la cacher.
*
Elle a la voix des oiseaux
Quand le printemps
Les entretient.
*
Elle possède
Ce qui fait qu’on regarde
Couler l’eau du ruisseau
San jamais se lasser.
*
D’elle s’inspirent
Les fleurs, les coraux
Les levers du soleil
*.
Sur elle
Même le noir
Devient une couleur.
*
Elle fait chanter
Les lignes de son corps
Sur un fond qu’elle invente.
*
Elle a du serpent
La ductilité
Et ce qu’il faut de ruse
Pour être ce qu’on est.
*
Elle peut aussi
Être colère
Comme le ruisseau
Devient cascade.
*
Elle sait
Qu’elle ne sera
Pas toujours la même,
Elle fait comme si.
*
Elle est un besoin
Qu’a le mystère
De se manifester.
*
Elle est la jonction d’éléments
Dont elle sent
Qu’ils la traversent
*
Elle marche
Vers sa consécration
Par ce qui l’environne
Et l’environnera.
*
Quand elle est là
L’ombre se fait pénombre.
*
L’arbre
Est enraciné dans la terre,
Elle est enracinée
Dans le centre.
*
Elle n’est pas si sûre
D’elle -même,
Parfois
Son pouvoir la domine.
*
Quand elle agit
Elle se rêve.
*
Toujours en lutte,
Mais contre qui ?
Elle-même
Ne le sait pas.
Quelque chose
Qui fouille l’espace
Et se nourrit
De sa lumière.
*
N’importe où elle marche
C’est son sentier.
*
C’est en elle
Que les courbes
Trouvent leur perfection
*
Où qu’elle soit
Elle peut parler
Ala façon des sources
En plein bois.
*
Quand elle coule sur elle
L’eau retrouve son origine.
*
Pour dire
La beauté du jour,
Il lui suffit d’apparaître
Sur le pas de la porte.
*
Elle est chair.
Elle est esprit.
Elle est chair de l’esprit.
*
Son regard
Dit ce qu’elle pense
De son intérieur,
De son apparence.
*
Ses yeux sont de firmament
Ils sont aussi volcans,
Prometteurs d’un destin
*
Ses cils
Sont le souvenir
Des forêts originelles.
*
Ses mains témoignent
Comme les pétales
Que rôde le danger.
*
Où est la montagne
Qui aurait la passion
Dont parle ses genoux ?
*
Ses seins
Gardent le secret,
En appellent
Au silence.
Ils sont ce qu’elle a
De plus planétaire.
*
Quand elle aime
Toute la terre
Aime avec elle,
A travers elle.
*
Si elle n’était pas,
Que serait ton aujourd’hui ?
Elle seule
Fait barrage
Aux assauts de l’horizon.
Pour te dégager
De cette hypothèque
Toujours là.
*
Fréquemment
Son regard
Plaide ton innocence
*
Son sourire
Est le fruit de l’alliance
Du futur
Et de la planète.
*
Soleil
Et lune ensemble,
Ostensoir
De la terre.
*
Je la vois,
Nue à l’horizon,
Grandeur nature,
C’est-à-dire
Les pieds sur la plaine,
La tête au zénith.
1989
Possibles futurs
Editions Gallimard, 1996
Du même auteur :
Herbier de Bretagne (31/03/2014)
Le matin (30/03/2015)
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