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Le bar à poèmes
12 janvier 2023

Jane Albert-Hesse (19 ? -) : Les Dits

malva-sylvestris-184322[1]La Mauve sylvestre est une plante vivace très rustique qui se rencontre à l’état sauvage dans les décombres, les bords de chemins et les haies. Elle forme une tige dressée avec des feuilles vert foncé arrondies découpées en 5 lobes peu profonds. Les fleurs de 4 à 6 cm de diamètre, en entonnoir évasé, comptent 5 pétales en forme de cœur d’un rose pourpré, décorés de stries violet foncé, avec des étamines soudées entre elles formant un tube.

 

Les Dits

 

LE DIT DE LA MAUVE

 

     Cinq, mais une au revers du remblai,

     Comme ta main, cinq, et plus encore sept

     Tant les signes altèrent le décompte

     Luisant de l’équilibre octroyé

     A ma roue. Mais j’ai le rein trop raide

     Pour trembler quand passent les convois

     Et ferraille à toute heure si grand goût

     D’aller. J’enflamme, rien de rien, que l’ombre

     Ajoute à l’ombre, un bris de ciel, vif

     Labour où s’accordent, car je suis bonne,

     De piètres regrets aux vastes faims

     Que mes feuilles apaisaient, jadis

     Bouillies, ô forvêtu qui crois nulle

     Cette enclave dont balançait le vent

     A saisir l’odeur toujours suave

     De tes jours premiers, de notre accord :

     Perds donc. Si ton espace carroyé

     Vient à lasser enfin graine et trace,

     En juillet, je sauterai le pas

     Du dernier caillou haussant corolle.

 

LE DIT DE LA HAIE

 

Je te donne cette ombre découpée à la serpe

Aux lisières du plus nu des étés, sonnant.

Adosse-toi. Les héritiers sont morts d’amour

Quand se déchira, cuivre, l’impudent éclat.

Toutes franches corolles tombées vint s’arrondir l’âtre

Noyau. Dors. La borne marquait bien des saisons,

Et ce léger crochet qu’a doré le vent

Dont montait le rire en passant sur les eaux

Pour épanouir, derniers à renaître, tropes,

Les aveux d’une sorte qui ne saurait pourvoir

Ordre, désormais

Tarde, mal détruit.

Tu ne vaux guère et si haut que ce soit, dire,

Personne qui entende. Tais les mots étrangers

Mis au billon s’ils vagabondent, et demain

Graisse les souliers de fatigue. Promise au feu,

A notre absence je vais hisser ma voile noire.

 

LE DIT DU SAOUL

 

     Mille mains battent, légères, car vient ma soif

     Juste au-dessus du flot, le dernier

     Cierge vacillant à l’aurore du temps

     Défunte, qui jamais ne rosira

     Plus l’herbe, le ravin, ni le couteau

     Auquel je me suis fié pour trancher,

     Accoucir, écorcer, percer, fendre,

     Ô lame, qu’il était tôt ! et j’ai cru

     Tracer alors avec toi l’étroit

     Sillon où naissait ce peu de grain

     Que mirait la lucarne en hiver.

     Si faible détour, pays, et deuil

     Soudain. Même ne campent plus les oies

     Par le marais pourri. Je m’ivrogne

     Qu’ils disent, tant la flamme entière ne meurt,

     Têtue et célébrant rien qu’au suif

     Ce fin reflet de souffre qui dura

     Des souvenirs sans douceur refaits

     Chaque matin, prompts, neufs malgré le cal,

     Mais ne blondit nulle eau hors ma soif

     Qu’un rêve bat, écueil. Je bois, rivière.

 

LE DIT DU DIT

 

Sale histoire que de parler quand seul fait loi,

Dès si longtemps gardien qu’une semence ailée

A poussé le bois dur, coupé pour pétrir

Dernière pâte à lever dernier pain, cinquante

Ans sans trahir fibre franche, fronde, ni blancheur

Du frêne qui berçait l’aube d’été, le silence.

Foules s’en sont allées au-delà. Planche et moi

Demeurons. S’éveille à une autre besogne

Ce peu de dire qui suffisait.

Dans la brume ondoyant plus apâlie, fable,

Que la fête hiémale dessus le champ des morts,

Ta trace altère jusqu’à l’insulte sur sa tige :

Les mots insolvables ne savent rien, hors fuir

L’ennui futur. Mais toujours, lente, la fontaine

Où je remplis la seille, ras bord, ose mêler

Si vieux champ au décours. La peine se rempare

Des fagots qu’il faudra traîner vers le four.

 

LE DIT DU MORTIER

 

Filles, je vous ai liées et la chaux était vive.

Honnies, battues, noircies mais tenant ensemble

Quand il gelait dehors, et l’herbe et l’histoire

Et que nous grelottions, sans feu, lieu, ni bord

Etions-nous seules, enfants ? Pierres de même enceinte

En haut du monde debout, et par nuit si claire

Que notre ombre tremblait de ne se savoir cache

Car on rôdait.

Et puis les temps vieillirent, et de nulle truelle

N’épaissit plus l’assise dont vous n’aviez cure,

Roulant par l’éboulis, belles tailles, et liquides

Flammes, alors qu’au sommet barattaient les vents

Le mur de qui frissonnait la cymbalaire

Où la ruine allait ; ainsi le joint s’affaisse.

Seuls de doux mufles violets encore exhalent

Les parfums de l’ennui ardemment lavé,

Net, déplissé comme un suaire qu’on va tendre

Pour que jamais l’oubli, d’un regaCette joyeuse nuit de l’Apocalypserd, ne froisse

Mon égide, ce tas raidi, nargue du silence,

En une saison lente et grinçant sous l’essieu.

 

 

Les jurassiques

In, « Cahiers de poésie, I »

Editions Gallimard, 1973

De la même autrice :  Res angusta domi (12/01/2024)

 

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