Jane Albert-Hesse (19 ? -) : Les Dits
La Mauve sylvestre est une plante vivace très rustique qui se rencontre à l’état sauvage dans les décombres, les bords de chemins et les haies. Elle forme une tige dressée avec des feuilles vert foncé arrondies découpées en 5 lobes peu profonds. Les fleurs de 4 à 6 cm de diamètre, en entonnoir évasé, comptent 5 pétales en forme de cœur d’un rose pourpré, décorés de stries violet foncé, avec des étamines soudées entre elles formant un tube.
Les Dits
LE DIT DE LA MAUVE
Cinq, mais une au revers du remblai,
Comme ta main, cinq, et plus encore sept
Tant les signes altèrent le décompte
Luisant de l’équilibre octroyé
A ma roue. Mais j’ai le rein trop raide
Pour trembler quand passent les convois
Et ferraille à toute heure si grand goût
D’aller. J’enflamme, rien de rien, que l’ombre
Ajoute à l’ombre, un bris de ciel, vif
Labour où s’accordent, car je suis bonne,
De piètres regrets aux vastes faims
Que mes feuilles apaisaient, jadis
Bouillies, ô forvêtu qui crois nulle
Cette enclave dont balançait le vent
A saisir l’odeur toujours suave
De tes jours premiers, de notre accord :
Perds donc. Si ton espace carroyé
Vient à lasser enfin graine et trace,
En juillet, je sauterai le pas
Du dernier caillou haussant corolle.
LE DIT DE LA HAIE
Je te donne cette ombre découpée à la serpe
Aux lisières du plus nu des étés, sonnant.
Adosse-toi. Les héritiers sont morts d’amour
Quand se déchira, cuivre, l’impudent éclat.
Toutes franches corolles tombées vint s’arrondir l’âtre
Noyau. Dors. La borne marquait bien des saisons,
Et ce léger crochet qu’a doré le vent
Dont montait le rire en passant sur les eaux
Pour épanouir, derniers à renaître, tropes,
Les aveux d’une sorte qui ne saurait pourvoir
Ordre, désormais
Tarde, mal détruit.
Tu ne vaux guère et si haut que ce soit, dire,
Personne qui entende. Tais les mots étrangers
Mis au billon s’ils vagabondent, et demain
Graisse les souliers de fatigue. Promise au feu,
A notre absence je vais hisser ma voile noire.
LE DIT DU SAOUL
Mille mains battent, légères, car vient ma soif
Juste au-dessus du flot, le dernier
Cierge vacillant à l’aurore du temps
Défunte, qui jamais ne rosira
Plus l’herbe, le ravin, ni le couteau
Auquel je me suis fié pour trancher,
Accoucir, écorcer, percer, fendre,
Ô lame, qu’il était tôt ! et j’ai cru
Tracer alors avec toi l’étroit
Sillon où naissait ce peu de grain
Que mirait la lucarne en hiver.
Si faible détour, pays, et deuil
Soudain. Même ne campent plus les oies
Par le marais pourri. Je m’ivrogne
Qu’ils disent, tant la flamme entière ne meurt,
Têtue et célébrant rien qu’au suif
Ce fin reflet de souffre qui dura
Des souvenirs sans douceur refaits
Chaque matin, prompts, neufs malgré le cal,
Mais ne blondit nulle eau hors ma soif
Qu’un rêve bat, écueil. Je bois, rivière.
LE DIT DU DIT
Sale histoire que de parler quand seul fait loi,
Dès si longtemps gardien qu’une semence ailée
A poussé le bois dur, coupé pour pétrir
Dernière pâte à lever dernier pain, cinquante
Ans sans trahir fibre franche, fronde, ni blancheur
Du frêne qui berçait l’aube d’été, le silence.
Foules s’en sont allées au-delà. Planche et moi
Demeurons. S’éveille à une autre besogne
Ce peu de dire qui suffisait.
Dans la brume ondoyant plus apâlie, fable,
Que la fête hiémale dessus le champ des morts,
Ta trace altère jusqu’à l’insulte sur sa tige :
Les mots insolvables ne savent rien, hors fuir
L’ennui futur. Mais toujours, lente, la fontaine
Où je remplis la seille, ras bord, ose mêler
Si vieux champ au décours. La peine se rempare
Des fagots qu’il faudra traîner vers le four.
LE DIT DU MORTIER
Filles, je vous ai liées et la chaux était vive.
Honnies, battues, noircies mais tenant ensemble
Quand il gelait dehors, et l’herbe et l’histoire
Et que nous grelottions, sans feu, lieu, ni bord
Etions-nous seules, enfants ? Pierres de même enceinte
En haut du monde debout, et par nuit si claire
Que notre ombre tremblait de ne se savoir cache
Car on rôdait.
Et puis les temps vieillirent, et de nulle truelle
N’épaissit plus l’assise dont vous n’aviez cure,
Roulant par l’éboulis, belles tailles, et liquides
Flammes, alors qu’au sommet barattaient les vents
Le mur de qui frissonnait la cymbalaire
Où la ruine allait ; ainsi le joint s’affaisse.
Seuls de doux mufles violets encore exhalent
Les parfums de l’ennui ardemment lavé,
Net, déplissé comme un suaire qu’on va tendre
Pour que jamais l’oubli, d’un regaCette joyeuse nuit de l’Apocalypserd, ne froisse
Mon égide, ce tas raidi, nargue du silence,
En une saison lente et grinçant sous l’essieu.
Les jurassiques
In, « Cahiers de poésie, I »
Editions Gallimard, 1973
De la même autrice : Res angusta domi (12/01/2024)