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Le bar à poèmes
25 novembre 2022

Claude Albarède (1937 -) : Les Reculées

albarede[1]

 

Les Reculées

 

ETAPE

 

Toute la vie se passe à questionner

pas à pas le long des murs la même piste

on referait ce chemin les yeux fermés

à l’évidence nul n’est tenu

s’asseoir un peu sur cette pierre

pour douter du parcours

ne pas boire glacé attendre

que le soleil pose une question

à laquelle l’ombre ne répond pas      

 

MYSTERE

 

Le petit matin entre les planches

glisse un coupe-bonheur les planches vont

s’envoler retourner au lavoir et

paraître luisantes ou craquer dans le feu

pour libérer les vieux clous

 

Le lit de la poussière nous avait reçus

dans ce grenier de jardin où

malgré la vie moderne nous restions

sauvagement à même l’ouvrage

essayant d’ajuster une pioche et son manche

pour pouvoir vivre encore

dans le carré arable : 

 

     De temps en temps se déplier

     regarder le laurier qui a sauté le mur

     se dire si le mur n’était pas aussi haut

     l’arbre aurait-il la force d’autant grandir ?

 

ETE

 

La nudité s’assied librement

à l’ombre d’un platane autour du puits

c’est l’été le vent n’aboutit pas encore

mais l’abreuvoir est installé

laissez libres vos seins n’appuyez pas

la volonté du corps est sur la terre

dans l’atelier quelqu’un travaille

et le silence reçoit des coups

le clou rivalise avec l’esprit

son humanité ne l’empêche pas

d’accoupler les planches pour toujours

 

VIGNE

 

L’hiver vu de la vigne

on aperçoit mieux les nuages

qu’il a fallu après la pluie

remonter à dos d’homme

 

La terre est maintenant si légère le long des souches

si travaillé recuite au gel

qu’elle s’aère d’un petit vent

aiguisé par le nord et coupant les rames

à deux yeux peut-être la taille est courte

le jour va disparaître à l’angle du ciseau

où pleureront trois gouttes

sans crier gare ni à l’aide.

 

PARTAGE

 

Au soleil c’est midi

l’esprit se retourne sur son ombre

le corps va devant sans tenir lieu

l’un et l’autre se sont penchés

sur le bassin de la fontaine

qui donne aux pierres leurs joues creusées

cherchant pourquoi la femme est ainsi

résignée vers le large quand elle étend du linge

l’esprit ailleurs

et le corps occupé à la lumière.

 

OUVRABLE

 

Quand arrive le bout du jour ouvrable

des ménagères coupent par les vignes

pour devancer le feu avant les hommes

leur fagot de sarments au-dessus d’elles

sur le chemin qui ranime les pauvres

le corps utile se voit aux pierres

il a plu la fumée monte dans les arbres

mais le soir sera beau

si le feu réussit

à pénétrer dans les lieux vides

et à flamber

avant que les hommes ne soient là.

 

PRINTEMPS

 

Il y a toujours malgré la sève

des lambeaux d’herbe sèche

qui ratent le printemps

 

Avant que le jour n’ait vidé son verre

l’homme est parti le long des vignes

il marche avec une épaule déjà loin

celle qui porte le brillant de la bêche

 

Autour de lui la terre est meuble

elle s’entoure de murets

dont les plus vrais font voir les pierres.

 

CHIEN ET LOUP

 

Le passant usé par la rue

s’arrête avant la nuit

contre le mur d’en face

il rassemble ses mains

autour d’une allumette

et leur transparence

nous fait trembler.

 

L’OMBRE

 

Quand le soir tombe

l’ombre se fait plus courte

du côté où le jour tarde

tandis que sur l’autre versant

les vergers perdent l’équilibre

 

L’habitant sait qu’il doit rentrer

un pas de plus et la nuit l’emporte

il jette son bâton sous le bras

la saveur de l’argile est dans sa bouche

et l’horizon crisse en lui

 

Dans la maison

on tourne avec les meubles

quelqu’un apporte coupe le pain

et l’ombre sur le mur

agrandie par la lampe

salue sans fin

l’absence et le couteau

 

 

In, « La Nouvelle Revue Française, Juillet-Août 1993, N° 486-487 »

Editions Gallimard, 1993

Du même auteur : cours fermées (25/11/2021)

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