Jean Métellus (1937 – 2014) : Au pipirite chantant (II)
Au pipirite chantant
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La vie filtre à travers les membranes du silence
Le désespéré prend plaisir à ses larmes
La terre se fend, le vent délire, l’éclair s’éteint, le tonnerre gronde,
Pluie, tempête, stupeur, le désespéré est exaucé
Calme, sans racine, dans la faveur de l’ombre
Vestige du temps et de l’espace
Reste de massacres, dépôts, débris
C’est dans la catastrophe qu’il chante
Tout bouge
Tout meurt en se désentravant
Et tout renaît nourri de bruit
Convié par le pressoir du sexe
Mort et résurrection quotidienne
Aquarium érotique et mystique
Vertige marquant le deuil
C’est l’hygiène lascive des temps
Le chromatisme satanique des sens
L’alchimie perpétuelle de la nuit
La formule sauvage des ténèbres
La graine acharnée est tombée
Jetée, crue, étonnée
Boueuse et prodigieuse
Prête, attifée pour un long repos
Elle est semée par les soins du voyageur
Blême, terne, outrant le sol, pour la gloire de l’arbre
Elle s’abreuve de rosée
La pluie vient, l’entraîne ailleurs
Et la plaine l’embauche
Et la graine s’enterrant exhale une magie rouge
Son vêtement a éclaté
Veule dans les draps de la terre
Seule dans les bras de la mère
Aspirant son suc, buvant son eau
Défleurie, dévidée
Sans écorce, sans carapace
Ah l’entreprise de réinventer l’unité
De reproduire le spasme des saisons
La terre s’est ouverte pour la graine
Elle a saigné pour elle
Et forme deux berges protectrices
une nouvelle coque de vie chargée de sentinelles
une armure passionnée
un manteau de sécurité
Et la graine étend sa demeure
pousse des pattes dans son domaine, l’agrandit
oublie tout son passé
Et devient germe
Et enfante sa mère
La terre enchatonnée a délivré l’espoir
Les vœux débridés montent au ciel
Les assises de la vie circulent dans le sol
Et la mère fatiguée invite l’espérance au bal du soleil et de l’eau
Pour mes enfants dit la terre je bois toutes sortes d’eaux
L’eau de la source et celle du ciel
Et jusqu’à l’eau des ténèbres du corps
Pour mes enfants dit la terre j’ai tout bu
Et le mapou haut troussé, casqué de vent, d’oiseaux
tourmente l’alliance et fête la mémoire des dieux
Amant de l’inconnu, sa crête dompte une écharde astrale
Les ténèbres plus fraîches qu’un petit matin rose,
plus pleines que la face du soleil, plus denses
que les effluves du vétiver, fortes et vivantes,
déraisonnables comme l’instinct de la mer,
attachent aux trousses des chimères la moisson et l’offrande
Mais l’espérance, l’épaule de mon âme, la chaussée de mes nuits
Mais l’espérance distrait les paumes de l’anxiété
et mûrit sur des rives blessées
Quand le mapou accorde audience aux arbres plus frileux
Quand l’eau s’enivre de sa voix
Quand le soleil pèse ses saisons
Que la plaine pèle ses écorces
Quand le fleuve rit de ses débris
Que le silence conquiert le rythme
L’homme assied sa gloire et sa victoire
Et livre aux serpents du temps son amour
Et la foudre prend possession des outre de ses mots
Comme un récipiendaire par Satan délégué
Et la campagne, merveilleuse croqueuse et pourvoyeuse d’énergie, mais aussi
asile obscur des spectres et de la peur, aire du gosier et du peuple, lave ses
tabliers aux larmes du paysan
Comme le soleil suspend son linge aux décors des astres
Comme le fleuve coule sur ses rives des vagues de larves
Et l’imposture fabuleuse des mapous enfume le souffle laiteux de l’été
La nuit inhume ses épaisseurs et cache ses voiles
Et le jour fait danser les destins dans leur tunnel, remue ses griffes et force
l’homme au combat
Car les mapous avaient tenu conseil aux époques de sécheresse :
Ils obligeaient l’homme à revendiquer
Ils prêchaient contre le déboisement
Au pipirite chantant les cheveux enivrés
les yeux baignés d’espoir
l’odorat épiant les racines
Le paysan s’en va, le cœur glorifiant la fumée d’un brasier
Il sème les souhaits de ses aïeux
Et les barques enjouées de l’espérance exultent à ma vue
Mais le front des mornes et la clarté recréent un jardin prodigieux et cueillent
la vérité de la vie
Et moi, infatigable, j’interroge sur les bords du doute
Et je recense le frisson des lunes, des étoiles
Pour déjucher la gloire de ces trônes qui bâillent sur ma sueur
Pour brûler un solfège d’épines, de fantômes et de chenilles prêts à enseigner
la mort
Une toile d’araignée soudain me dispute les grâces des loas et bascule les
pylônes du houmfort
Au pipirite chantant mon cœur est tourmenté, ma tête embrigadée par la
vaillance des vœux
L’éclaircie soudain gemme
Mes craintes s’envolent en fumerolles dans le creux de l’oubli, parmi les
limons, les calcaires, les rochers et les échos
La matinée avec ses feux, ses serments, ses vertiges au milieu des véraisons
comme une presse étrangle mes derniers déchirements
Et la raison vannée par la fuite des paroles égrène le chapelet de mes actes
Mon verbe entré sur les branches de l’avenir fait éclater la foudre des calamités
et l’orgueil aurifère
Le bourdonnement des herbes insensibles aux signes,
au bercement de ma prière, aux flots de ma gorge,
aux meurtrissures de ma voix
Attise ma vocation
L’insoumission de la passion insinue la tempête dans ma bouche
Et l’air frivole alimente les gencives qui se ruent sur ma joie
La fraîcheur elle-même se pâme et déjà les langes du soleil remembrent
sous nos pas l’érection dans la suée, l’allégresse dans la chair
Et il part, lui, le paysan, avec la lune sa complice, semer des graines contre la
malice des hommes
Car les digues de la tristesse ont entravé son chant
Les couches détrempées du temps étouffent les oracles
Le vent lui-même a balisé sa plage de tambours muets, de murmures
d’insectes et les ronces de la soif ont cloué sa prière
Mais l’éveil parmi les charmes du matin et les transports des mots
Mais les paupières indécises de la journée
Les prunelles étourdies de vigueur ou de lenteur
L’acidité nobiliaire d’ancêtres enchaînés
Loin des mamelles du soleil
Dans la rumeur glauque des cales
Entre les crocs du bien et du mal
Ont élu son cœur et sa voix chantre des astres et des armes
Plus haut lui crie l’instinct agraire des lettres et des traits
La vaillance du verbe vaincra la solitude
Les termites lucifuges s’éteindront sous tes mots
Prie lui dit un alphabet en gestation :
Le défilé des sens éclipsera pierres et fossés
Les cinq parties du monde jouissent de nos veillées viriles
L’univers entier est enclos dans nos corps
Les plantes, les animaux, les eaux et les esprits roulent dans nos mains
Et nous sommes la miséricorde, la demeure des officiants de tous grades et de
toutes sectes
Les étoiles ricanaient en cillant
Le crépuscule, sur les trottoirs du ciel, égouttait ses rayons séditieux
Et le choeur du silence s’altérait, s’éloignait
L’entreprise de la plaine est une bénédiction car elle veille sur la ville et sur
les songes
Au ras des jours avec une coupe d’eau les loas ont traité tous les voeux des
délaissés et ils ont sentencié :
L’évènement, nous l’ordonnerons, prendra la route
Le paysan, crâne rasé, épaississant les contours du soir, plus bleus qu’une
nuit d’automne, plus vif que ces bastions légendaires des grandes religions,
déplie sa garnison de prières sous les bahayon des étonnées et les paroles
crépitent au petit jour devant la case inondée par la brillance réfléchie de
la lune
Que la splendeur, la gaieté, le bonheur m’inondent
Ma joie de semeur est d’enrichir la plaine
L’épi du maïs fait la joie d’Erzulie
Que l’avocatier, chair salutaire, s’enhardisse
L’orange douce, l’orange amère nourrissent et guérissent
Le pâturage a frémi le jour des grandes eaux
Evitez-nous ô loas la grêle des châtiments
Epargnez-nous les notaires et les tribunaux
Que les poux de la ville ne viennent pas nous sucer
Que la terre de notre sueur vibre tel un orgue généreux
Et fasse résonner le flanc des mornes
Pour rompre les mors qui étranglent notre sort
Contre les dégâts des arpenteurs
Et les gravats de la spéculation
Tout un corset d’ordures menace, comme des corbeaux, les gestes du désir
Et ronge la crête de notre virilité
Semez sur nos sentiers non pas l’écaille mais la coquille lisse de l’harmonie
Le verbe organisera l’entente
Tuez les soudards, les pillards, et que notre vie essaime l’amour, comme une
jarre d’eau fraîche encourageant le pèlerin, comme une cascade arrosant le
chemin d’Ogoun
Et naisse enfin la fanfare des hommes libres comme une explosion fervente,
comme l’aurore des Antilles et l’alliance des îles
Et rugisse l’aube sur les eaux les sorciers les fruits, pour la gloire et l’extase
des vivants
Les ravins éblouis, les montagnes purifiées, les collines offertes, les buissons
frissonnants, les halliers en festin, demanderont compte des ossuaires à tous
les mercenaires, à tous les sanguinaires
Ô dieux d’Afrique, amateurs de très grandes excursions, vos larmes ont
humecté tous les horizons, exhaussé jusqu’aux portes du firmament les plus
aigres des souffles, et depuis s’est déchaînée sur toute la terre l’amère salive
de la douleur, la mousse douloureuse des guerres et des discordes
Ô dieux brûlés par les crépitements de l’alcool
Ô dieux immunisés par la terreur et la faim
Où trouver le chemin libre qui vous honore la voie sûre
qui vous libère ?
Au pipirite chantant
In,Revue « Les Lettres Nouvelles »
Editions Denoël,1975
Du même auteur :
Au pipirite chantant (I) (29/06/2015)
Prière au soleil (13/11/2023)
Réponse du soleil (1) (13/11/2024)