Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
13 novembre 2024

Jean Métellus (1937 – 2014) : Réponse du soleil (1)

©DR

Réponse du soleil

 

     Comme un feu inquiet j’erre sur les mers, les déserts, les fleuves, les

herbages fauves et les prés

     Les ténèbres, mes nourrices, fléau de l’âge et du temps, assistent jusqu’à

l’orée de ma ronde le tourbillon des fleurs, des feuilles, des vêtements d’hier

     Quand les paupières de la peur présagent de pourpres lendemains, je surgis

lauré des voiles de l’aurore

     Et je m’en vais le soir dans le miroir pensif des délices et ses sévices du

crépuscule

     Au point du jour, pierres, roches, fossés, lierres, vases, ruches et ajoupas,

étangs, masures, tufs et branches disposent de ma chair, de mon sang

     Toute la terre devrait honorer en moi, l’apôtre des récoltes

     Moi, l’engrais de l’esprit

     Moi, les marches dorées du souvenir

     Moi, le poumon des saisons

     L’aiguillon et le dard des enclos frileux

     Moi, le prince des provinces ensevelies

     Le bûcher et le duvet des baies

     L’entaille des taillis, la médaille des règnes,

     Déjà les témoins de mon nom se sont réveillés en Orient

     Et pourquoi les protestations de semailles à l’approche de mes raids ?

     D’ardentes phosphorescences brillent à l’ouest dans les vapeurs du sexe,

de la raison et du mystère, de l’eau couchée dans le melon, de l’eau debout

dans la canne.

     A toi de protéger la couronne des Antilles, le revers tranchant de mon épée,

ton garde-sang, ton garde-vie

     Et la lumière n’est pas mon chemin mais la trace de mes pas

     Les eaux saisonnières se souviennent de ma voix

     Les lainages d’hiver sont issus d’une fournaise

     Les dernières étoiles, mes sourcils, mes paupières brillent tel un tison dans

les sillons de l’ornière

     Un ciel sans désastres, une cabane accueillante, une saison profuse, voila

chaque matin l’espoir du paysan

     Et son enfance encore juteuse d’aurore ressemble à un vestiaire maudit

     Haïti,tu n’avances plus au milieu de gemmes, d’arc-en-ciel et de

flamboiements

     Un lourd partenaire effeuille tes années

     Des cornes, des sabots, des vampires détroussent tous les jours ta demeure

     Et comme des rats, des cancrelas attisant la laideur

     Des plaies ont fané ta vaillance

     Et les enfants sur la paille font ripaille d’ail et de millet

     Et s’étanchent aux rinçures de la vie

     Ils bénissent même les mailles de leurs chaînes

     S’enivrant d’infusion de quinquina, du breuvage des pelures d’ananas

     Haïti, toi, le vrai gangan des Antilles

 

     L’éclosion des dieux étendait l’air et l’aisance de notre ère s’effritait

flambée

     Tu n’étais pas un bois-caïman, mais un caïman de feu et d’eau dirigé par le

vent partout où ma splendeur débusquait l’ennemi

     Debout, Haïti

     Celui qui dort a l’haleine de ses songes

     Je suis la flute du temps dans les plis de l’azur

     Créé et incréé, moi, le timonier du monde, l’amont et le brandon des destins.

Mes rais dénoncent les cauchemars des terres, les laideurs des crabes qui te

pillent.

     Je ne me suis pas lassé de tes apostasies

     Mais tu as honni l’explosion de tes dieux

     Une pensée d’Afrique habitait un grand arbre triste et solitaire et scellait

l’alliance de ta sève à la fièvre des Antilles

     C’est Damballah des Aradas qui a le galbe des lettres, la courbure des mots,

la cambrure et la droiture des chiffres, les ondulations er les flexions des textes.

Que n’a-t-il pas dit de son bastion, aux titans haïtiens au plus fort de l’action,

adossé à sa femme  Aïda, tenant conseil et prenant conseil dans le ciel et

pressentant l’éclair vif sur ses messages voilés ?

     Mais regardez ces montagnes blessées

     Vous qui buvez le sang du jour

     Ces ruisseaux presque chauves

     Et ces sources cachées

     Défrichez le chemin des plantes

     Alimentez ô saisons les faunes de mes rêves

     L’instant s’habille de mes joies et de mes larmes

     Les fruits, les rameaux, les essaims les oiseaux supplient tous les arbres

assoiffés, acharnés, s’irritant de la fontaine du temps, frissonnant du défi des

étoiles

     Me voici nu comme le premier venu, paré comme l’estuaire des siècles, mûr

comme les berges d’une blessure,

     Et mes sandales vont sceller les épousailles du temps et des sens

     Et je condamne les unions morganatiques, celle du Vaudou, de Rome et des

vastes Etats politiques

     Comme le vent avivé par un vantail entrebâillé et la rivière par une falaise 

fêlée

     Comme un fleuve saisissant un rivage, j’amplifierai les bêlements de

l’onde et je secouerai le mouvement de la vie

     Tes vœux sont des épiphanies

     Ne va pas avant l’heure dans les vallons et les épinaies, élimer, érailler, la

fronde virile de l’innocence

     Tous les continents nous épaulerons si les hommes se fondent dans

l’homme.

     Que tes rêves soient des flèches vibrantes, ne les réduis pas en charpie par

haine et par désordre

     Aime les dieux aztèques, les dieux indiens et les millions de divinités, ils

ont pouvoir de  trancher les nœuds et de scier les carcans

     Ils manoeuvrent partout

     Dans le silence docile des mornes, dans le refuge des précipices

     Dans le rythme arachnéen de la nuit et du jour

     Et accorde-moi ta confiance : je te livrerai le secret de la libération

     Moi l’empennage des saisons et le plaisir des arbres

     Moi la flamme vive qui embrase les semailles

     Je ne sonde plus tes pensées, je te connais trop bien

     Je veux élucider tes actions

     Les alliances d’âmes armées ont horrifié tes dieux

     Et les gencives de Rome jouissaient

     De ces orages odieux

     Qui éclataient tes mânes et qui les enfouissaient

     Rome l’infidèle, Rome charnière des charniers

     Dans le sillon des lataniers, avait pris des couleurs de cachiman

     Dans des sermons déboutonnés

     C’est au nom de la tiare, s’écrie un curé de la cathédrale

     Qu’un jour de Pâques tout a craqué

     Campagnards cravatés comme dans un bal maque

     Lescot ignare comme un croisé

     Crochetait à croupetons dans un vieux catéchisme des règlements contre les

croquemitaines

     Qu’il allait lire campé près d’une crosse d’évêque

     Conquis par le croquis d’un discours sanguinaire

     Car le Vaudou est sorti de la bouche de Boukman

     Il ne peut mourir, il est devenu temple, royaume, citadelle

     Car il a des vêtements de velours purifiés par la langue de ses prêtres

     Le bouc, les poux, les clous ont purgé sa foi

     Les églises passeront mais le Vaudou ne passera pas

     Et vomissons tous les cultes des créatures, des livres, des tribus, des tabous,

des rébus

     Dès l’avant-jour je nourris l’haleine du rebelle

     Haïti, tu as droit aux messes des vivants et des morts, du plein jour

d’Afrique et des joues chauves du vieux monde

     La fumée de l’exploitation et du servage se dissipera

     Haïti, petite épingle fulgurante, tu dois étendre ta respiration

     Te rappelles-tu le long voyage de tes enfants ?

.........................................................................

 

Au pipirite chantant

Editions Les Lettres Nouvelles / Maurice Nadeau, 1978

Du même auteur :

Au pipirite chantant (I) (29/06/2015)

Au pipirite chantant (II) (13/11/2022)

Prière au soleil (13/11/2023)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
108 abonnés