Jean Métellus (1937 – 2014) : Réponse du soleil (1)
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Réponse du soleil
Comme un feu inquiet j’erre sur les mers, les déserts, les fleuves, les
herbages fauves et les prés
Les ténèbres, mes nourrices, fléau de l’âge et du temps, assistent jusqu’à
l’orée de ma ronde le tourbillon des fleurs, des feuilles, des vêtements d’hier
Quand les paupières de la peur présagent de pourpres lendemains, je surgis
lauré des voiles de l’aurore
Et je m’en vais le soir dans le miroir pensif des délices et ses sévices du
crépuscule
Au point du jour, pierres, roches, fossés, lierres, vases, ruches et ajoupas,
étangs, masures, tufs et branches disposent de ma chair, de mon sang
Toute la terre devrait honorer en moi, l’apôtre des récoltes
Moi, l’engrais de l’esprit
Moi, les marches dorées du souvenir
Moi, le poumon des saisons
L’aiguillon et le dard des enclos frileux
Moi, le prince des provinces ensevelies
Le bûcher et le duvet des baies
L’entaille des taillis, la médaille des règnes,
Déjà les témoins de mon nom se sont réveillés en Orient
Et pourquoi les protestations de semailles à l’approche de mes raids ?
D’ardentes phosphorescences brillent à l’ouest dans les vapeurs du sexe,
de la raison et du mystère, de l’eau couchée dans le melon, de l’eau debout
dans la canne.
A toi de protéger la couronne des Antilles, le revers tranchant de mon épée,
ton garde-sang, ton garde-vie
Et la lumière n’est pas mon chemin mais la trace de mes pas
Les eaux saisonnières se souviennent de ma voix
Les lainages d’hiver sont issus d’une fournaise
Les dernières étoiles, mes sourcils, mes paupières brillent tel un tison dans
les sillons de l’ornière
Un ciel sans désastres, une cabane accueillante, une saison profuse, voila
chaque matin l’espoir du paysan
Et son enfance encore juteuse d’aurore ressemble à un vestiaire maudit
Haïti,tu n’avances plus au milieu de gemmes, d’arc-en-ciel et de
flamboiements
Un lourd partenaire effeuille tes années
Des cornes, des sabots, des vampires détroussent tous les jours ta demeure
Et comme des rats, des cancrelas attisant la laideur
Des plaies ont fané ta vaillance
Et les enfants sur la paille font ripaille d’ail et de millet
Et s’étanchent aux rinçures de la vie
Ils bénissent même les mailles de leurs chaînes
S’enivrant d’infusion de quinquina, du breuvage des pelures d’ananas
Haïti, toi, le vrai gangan des Antilles
L’éclosion des dieux étendait l’air et l’aisance de notre ère s’effritait
flambée
Tu n’étais pas un bois-caïman, mais un caïman de feu et d’eau dirigé par le
vent partout où ma splendeur débusquait l’ennemi
Debout, Haïti
Celui qui dort a l’haleine de ses songes
Je suis la flute du temps dans les plis de l’azur
Créé et incréé, moi, le timonier du monde, l’amont et le brandon des destins.
Mes rais dénoncent les cauchemars des terres, les laideurs des crabes qui te
pillent.
Je ne me suis pas lassé de tes apostasies
Mais tu as honni l’explosion de tes dieux
Une pensée d’Afrique habitait un grand arbre triste et solitaire et scellait
l’alliance de ta sève à la fièvre des Antilles
C’est Damballah des Aradas qui a le galbe des lettres, la courbure des mots,
la cambrure et la droiture des chiffres, les ondulations er les flexions des textes.
Que n’a-t-il pas dit de son bastion, aux titans haïtiens au plus fort de l’action,
adossé à sa femme Aïda, tenant conseil et prenant conseil dans le ciel et
pressentant l’éclair vif sur ses messages voilés ?
Mais regardez ces montagnes blessées
Vous qui buvez le sang du jour
Ces ruisseaux presque chauves
Et ces sources cachées
Défrichez le chemin des plantes
Alimentez ô saisons les faunes de mes rêves
L’instant s’habille de mes joies et de mes larmes
Les fruits, les rameaux, les essaims les oiseaux supplient tous les arbres
assoiffés, acharnés, s’irritant de la fontaine du temps, frissonnant du défi des
étoiles
Me voici nu comme le premier venu, paré comme l’estuaire des siècles, mûr
comme les berges d’une blessure,
Et mes sandales vont sceller les épousailles du temps et des sens
Et je condamne les unions morganatiques, celle du Vaudou, de Rome et des
vastes Etats politiques
Comme le vent avivé par un vantail entrebâillé et la rivière par une falaise
fêlée
Comme un fleuve saisissant un rivage, j’amplifierai les bêlements de
l’onde et je secouerai le mouvement de la vie
Tes vœux sont des épiphanies
Ne va pas avant l’heure dans les vallons et les épinaies, élimer, érailler, la
fronde virile de l’innocence
Tous les continents nous épaulerons si les hommes se fondent dans
l’homme.
Que tes rêves soient des flèches vibrantes, ne les réduis pas en charpie par
haine et par désordre
Aime les dieux aztèques, les dieux indiens et les millions de divinités, ils
ont pouvoir de trancher les nœuds et de scier les carcans
Ils manoeuvrent partout
Dans le silence docile des mornes, dans le refuge des précipices
Dans le rythme arachnéen de la nuit et du jour
Et accorde-moi ta confiance : je te livrerai le secret de la libération
Moi l’empennage des saisons et le plaisir des arbres
Moi la flamme vive qui embrase les semailles
Je ne sonde plus tes pensées, je te connais trop bien
Je veux élucider tes actions
Les alliances d’âmes armées ont horrifié tes dieux
Et les gencives de Rome jouissaient
De ces orages odieux
Qui éclataient tes mânes et qui les enfouissaient
Rome l’infidèle, Rome charnière des charniers
Dans le sillon des lataniers, avait pris des couleurs de cachiman
Dans des sermons déboutonnés
C’est au nom de la tiare, s’écrie un curé de la cathédrale
Qu’un jour de Pâques tout a craqué
Campagnards cravatés comme dans un bal maque
Lescot ignare comme un croisé
Crochetait à croupetons dans un vieux catéchisme des règlements contre les
croquemitaines
Qu’il allait lire campé près d’une crosse d’évêque
Conquis par le croquis d’un discours sanguinaire
Car le Vaudou est sorti de la bouche de Boukman
Il ne peut mourir, il est devenu temple, royaume, citadelle
Car il a des vêtements de velours purifiés par la langue de ses prêtres
Le bouc, les poux, les clous ont purgé sa foi
Les églises passeront mais le Vaudou ne passera pas
Et vomissons tous les cultes des créatures, des livres, des tribus, des tabous,
des rébus
Dès l’avant-jour je nourris l’haleine du rebelle
Haïti, tu as droit aux messes des vivants et des morts, du plein jour
d’Afrique et des joues chauves du vieux monde
La fumée de l’exploitation et du servage se dissipera
Haïti, petite épingle fulgurante, tu dois étendre ta respiration
Te rappelles-tu le long voyage de tes enfants ?
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Au pipirite chantant
Editions Les Lettres Nouvelles / Maurice Nadeau, 1978
Du même auteur :
Au pipirite chantant (I) (29/06/2015)
Au pipirite chantant (II) (13/11/2022)
Prière au soleil (13/11/2023)