Salah Stétié (1929 - 2020) : L’enfant de cendre
L’Enfant de cendre
I
La rose de ce monde est l’enfant de la nuit
Etablie dans la blancheur du jour
Effacée par le jour
Donnant sa lampe de fraîcheur à tous les arbres
Puis reprise et dévastée par le jour
Oh les violons recourbés par les fleuves
Endormis dans de la joliesse et dans la mort
Ainsi que rose obscure ouverte au cœur
Violons sont-ils, gardés par la parole
Comme un excès de neige
Les mots, les morts de l’apparue des neiges
Voici leur déchirure
Aveugles de cela que leurs yeux pleurent
Dans un pays de plâtre et de vent nu
Où vient de nuit le songe de l’amour
La terre autour brûlant ses fleurs
II
La terre autour, celle qui brûle encore
Est si brûlée par la beauté du site
Qu’elle va avec son âme jusqu’aux fleuves
Serrant son linge d’eau profonde et de pensée
Dans l’éclat tendre de l’éclat comme une feuille
Tremblée brillant dans l’eau soudain très longue
Tremblée brillant dans l’eau très longue de l’esprit
Comme une feuille est l’eau précieuse et pure
Où vient briller l’étoile insubstantielle
Fille d’octobre et la voici presque verdir
D’être si seule et visitée du froid
A la fenêtre où la galaxie brûle
Et toute neige au fond de ce goudron
Feuille de givre et de cassante nuit
Epée de la pierre absolue, notre séjour,
Ce petit bois traversé par les fleuves
Cernant la femme et le museau du sein
Venu brûler la neige en sa brûlure
Puis s’endormant avec les yeux impossibles
III
Et l’arc est impossible
Et la flèche est impossible
Et le centre est impossible
Et le cœur est impossible
L’enfant de qui les poumons sont les rosiers
Et la parole où vient s’abriter la neige
L’heureuse courbe de la mort liant la vie
A tout ciel impossible
A la pierre à la pluie
A la pitié de la pierre et de la pluie
A la pierre où toute fin devient pluie
IV
... Et le ciel déchiré, l’enfant d’amour
Habitera notre chambre mortelle
Sa gorge en flamme éblouissant les fleuves
Et son amour est un enfant de cendre
Colombe de ma vie étroite femme
Corps inutile et noirci par les fleurs
(« le vent, dit-elle, est le plus triste de nos fils »)
Colombe de ma vie étroite flamme
Assise dans les arbres
Sous l’infini de ces étoiles vertes
Adossées à la poussière d’arbre
Et toi dans tout cela
Dans tout cela disant la fin du vent
L’enfant de cendres
Editions Fata Morgana,1996
Du même auteur :
« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)
Dormition de la neige (10/05/2021)
La terre avec l’oubli (05/11/2021)
Longue feuille du cristal d’octobre 09/05/2022)
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