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Le bar à poèmes
16 octobre 2022

Georges Perros (1923 – 1978) : Huit poèmes

perros_3_article[1]Début des années 1960. Georges Perros dans les bureaux du Télégramme © Collection Georges Perros

 

Huit poèmes

 

Quand j’étais p’tit

j’comprenais rien

asque disaient

les grand’personnes

 

j’faisais semblant

d’les écouter

le doigt protégé par le nez

le coeur tranquille

l’œil en arrière

 

et maintenant que je suis grand

j’comprends moins encore

c’est vexant

et les enfants qui me regardent

c’est xactement

quand je regardais mes parents

..................................

Les hommes figures de cire

je les embrassai quelquefois

mais à présent je peux le dire

c’était beaucoup moins chaud que froid.

 

Les femmes seules me donnèrent

ce qui fait reculer la mort

et qui n’en est ni le contraire

ni l’équivalent Triste sort

 

que le nôtre en toute innocence

nous sommes libres pas assez

pour perdre en route notre enfance

aux dents longues au cœur blessé.

 

Elle est en nous comme une naine

qui n’en finirait pas d’aimer

un géant que l’amour malmène

au gré d’un désir exténué.

 

Ô mon cœur prisonnier poitrine

que ne puis-je vous dire aller

et qu’en vous toute ma vermine

perde sa vie à trop grouiller.

..................................

Des vers, vous écrivez des vers,

Non, mais vous délirez, jeune homme.

Avez-vous compris notre hiver,

En épique époque ne sommes.

 

Vous avez raison. Je confesse

Que je souffre mal. Mais si Dieu

Refuse d’aller à la messe

Qu’y pouvons-nous ? Je fais aveu

 

Que les discours des plénipo-

Tentiaires me tournent le cœur.

Qu’on m’en veuille ou non, tout de go.

Je m’en moque un peu. Je n’ai peur

 

Que d’une ombre, que d’un visage

Sans fond ni forme, mais l’enfer

N’est rien auprès de ce naufrage

Et d’où nous vient ah d’où nous vient l’air

 

Qu’avec peine nous respirons

Et peu à peu nous empoisonne ?

Nous en mourrons, c’est sûr, mourrons

De n’avoir confiance en personne.

 

Car je vous demande entre nous

D’aimer est-ce vraiment facile,

Est-ce possible ? Nos genoux

Ne risquent plus de tomber pile

 

Sur quelque dalle que ce soit.

Nos puretés sont à revendre.

Je me ris de ce destin-là

Et mieux vaudrait aller se pendre

 

Une bonne fois haut et court.

Mais je te laisse ici, poème.

Le langage est furet. Il court

Sans se retourner. Moi de même.

..................................

Mon cœur bredouille en ma poitrine

Comme une vieille horloge. Où est

Le clair tic-tac sonnant matines

Des premiers échos ? De ton lait

 

O tendresse ma très humaine,

Allons, me suis-je assez gavé ?

Sans doute est-il temps que je freine

Ma vorace perversité.

 

Car il est mauvais de s’étendre

Sur ton corps au sable mouvant,

Belle existence, cher néant.

 

Tu n’auras de moi que la cendre.

Hélas, comme notre saigneux,

J’aurais voulu te donner mieux.

..................................

I

L’oiseau s’envola. Il se peut

Qu’à ce moment s’ouvrit le jeu.

Mais en vain cherchai la monnaie,

Le lot ne fut pour moi. J’essaie

 

De n’y perdre qu’à moitié tête.

Seule ma glotte va et vient

Pareille à la lampe-tempête

Qui fauche les yeux du marin.

 

Je ne veux m’en prendre à personne.

On peut toujours rester chez soi.

Et si c’est le diable qui donne

 

Ce sourd tremblement, cet émoi,

Cette clé d’or que l’on oublie

Dans les gouttes bleues de la vie.

 

II

Il perd son temps, puisque demain,

Ah que dis-je ce soir peut-être

Le cœur qu’il tient fermement en sa main

Peut s’en aller par la fenêtre.

 

Du cadavre que nous serons

Ne prenons pas impatience.

Si la chose se trouve, aimons.

Ne boudons cette juste chance

 

Qui fait semblant, fatalité,

De ralentir le sablier

Qui compte nos jours et nos peines.

 

Il rattrapera sans effort

Ces beaux éclairs de trompe mort

Pour empuanter nos haleines.

 

III

Si mon discours vous paraît triste,

Ou dérisoire ou rien du tout

- On dit que je suis pessimiste,

Mais non, cherchez un autre clou –

 

Descendez un peu sur la grève.

La mouette y jette son cri

Puis reprend l’envol de son rêve

Immobile. Je suis ainsi.

 

On a beau me faire morsure

Profonde, terrible à subir,

Je vais chercher de la sciure

 

Boucher de mon propre soupir,

La sème, afin qu’à nouveau luise

L’aube prochaine, et ma surprise.

 

IV

Alors c’est comme si, mémoire,

Tu ne tendais plus à jeter

Sur la piste de mon histoire

Que ton cornet à dés pipés.

 

Au chat qui me guette à mi-vue,

Au nuage qui fait le sourd

Quand le vent siffle et le remue,

Je donne ma langue. Et la cour

 

Où le linge danse polka

Aux bras des balcons qui fleurissent

N’entend plus résonner mon pas

 

Si lourdement. Qu’ils me finissent,

Ces instants d’humble éternité

Sans méphisto ni bénitier.

 

..................................

Si vous me dites qu’ici-bas

Seule l’étude à quelque chance

De nous délivrer du fracas

Que fait notre corps en souffrance

 

Je dirai : vous avez compris

Vingt sur vingt. Mais je vous salue.

Dénaturez tous vos soucis,

Je vais prendre l’air de la rue.

 

Je connais vos refrains, merci.

Mais nous vivons trop mal, en somme,

Pour que j’aille y perdre mon si

Avant que le la ne se nomme.

 

Je veux monter la gamme, moi,

Très lentement, marche après marche,

Et si je galope parfois

C’est pour semer le patriarche

 

Qui prépare dans mes bas-fonds

Sa caverne méticuleuse

Deux et deux quatre font-font-font

Le sel l’œuf dur et sambre et meuse.

 

..................................

Dans quel cirque m’entraînez-vous

Avec vos propos trop honnêtes

Pour ne pas avoir par-dessous

L’œil vitreux né de vieilles fêtes

 

Qui n’ont laissé que désarroi

Dans vos âmes mal préparées

A ne connaître qu’une loi,

Qu’une obéissance. Fanées

 

Vos premières fleurs. Ô plaisir

Tu fus cruel pour ces esclaves

Qui crurent un jour te tenir

Pour t’avoir vaincu dans les caves.

 

Tu me restes, plaisir. Je suis

Tout comme l’âne sa carotte

Ta bonne volonté. Voici

Le seul feu qui me ravigote.

 

..................................

Les os la peau sac de voyage

la mort se nourrit lentement

je sens sa langue sur mon cœur

comme elle m’aime

je suis sa vie

je la porte je l’entretiens

mon vagabondage est le sien

elle sourit attendant l’heure

de me jeter dans le ruisseau

elle me laisse aller venir

me fait chanter la liberté

si tranquille au fond de mon corps

silencieuse elle déguste

l’illusion de sa morsure

de même que le feu

donne au feu nourriture

mourant de vivre

et vivant de mourir.

 

..................................

Mon fils mon petit Frédéric

qui me dit viens boire un coup Georges

qui me connaît me reconnaît

et qui cependant m’oublierait

si je quittais demain la scène

et cette femme près de moi

que de larmes quel désarroi

à la suite du corbillard

où je ferai blême la planche

mais demain fauche l’aujourd’hui

le lundi n’a plus de dimanche

qu’un souvenir qui s’amoindrit

au fil des autres jours Mourir

n’est vraiment bon que pour soi-même

on vit à plusieurs on meurt seul

comme on l’était peut-être avant

que pour nous faire à deux s’aimèrent

notre père et notre maman

dans leur lit plein d’odeurs légères.

 

Hors Commerce

Alfred Eibel éditeur, Lausanne (Suisse), 1974

Du même auteur :

 « On meurt de rire… » (10/08/2014)

Marines (1) (10/08/2015)

« Les guerres n'est-ce pas... » (16/10/2016)

 « Il y a un bruit près de chez moi… » (16/10/2017)

« Il n’y a rien... » (16/10/2018)

« Ces envies de vivre ... » (16/10/2019)

« Cette légère envie de se saouler... » (16/10/2020)

L’âme (16/10/2021)

Marines (2) (16/10/2023)

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