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Le bar à poèmes
15 octobre 2025

Georges Perros (1923 – 1978) : « Qu’est-ce qu’ils seront mes enfants... »

(Photographie Michel Thersiquel/©Les Amis de Thersi)

 

 

Qu’est-ce qu’ils seront mes enfants


imbéciles ou impuissants


criminels de guerre de paix


prostituée j’ai une fille


aussi depuis peu Catherine


à peine six moi Allez dire


ce qu’elle sera Je les aime


et ne voudrais mourir avant


d’en avoir profité Difficile


à faire comprendre Egoiste 


évidemment mais il faut croire


que l’homme nous est décevant


celui que nous portons en nous


aussi bien que celui des autres


pour que nous soyons à genoux


devant ces diables qui nous flattent


en nous traitant de tous les noms


et que si l’on mourait demain


ne se souviendraient de rien rien


qui nous sauve dans leur mémoire


ou si vague le souvenir 


Une pipe un jeune sourire


qu’ils se diront jusqu’à leur mort


Ils se demanderont peut-être


D’où leur vient cette odeur ce rire


ce timbre de voix Les photos


leur seront de peu de secours


on oublie vite les visages


et je me rappelle très bien


lorsque pour la première fois


j’ai quitté mes parents Les gestes


de ma mère dans la cuisine


quand elle faisait à manger


c’est tout ce qui me restait d’elle


Mais son visage la couleur


de ses yeux devenus mystères


je les cherchais en vain Nos restes


sont plus vrais que notre présence


La chair et l’os devant les yeux


il suffit d’un courant d’air pour


en éliminer l’évidence


N’est-ce pas pourquoi solitude


qui fait le ménage des dieux


tu nous parais plus sûre à tort


car on n’est jamais assez fort


pour qu’enfin tu nous envahisse


sans qu’un  Vendredi de renfort


vienne te trahir Si complices


les hommes de leur sort trop dur


la rime aurait voulu trop rude


mais non c’est dur Quand nous sortons 


de notre chambre c’est misère


Mais il faut vivre notre affaire


est d’en faire beaucoup Pourtant


il y a toujours un moment


dans la journée et tous les jours


ce moment me dit son amour


où d’être là me semble blague


où pièce d’un jeu je me vois


sans que ma volonté s’y range


et d’être libre me démange


malgré cette condition-là


qu’on dit humaine dans les livres


qu’on dit autre chose à l’église


Mais quand on ne lit plus mais quand


le Dieu que les hommes nous disent


n’est plus qu’un fantoche perdu


dans les discours théologiques


de ceux qui croient sans être sûrs


que croire est le plus court chemin


d’un point de l’homme à son prochain


Alors on se parle à soi-même


dans cette eau qui coule et se perd


dans un labyrinthe d’où rien


ni personne ô chère Ariane


ne nous fera sortir C’est comme


un fauve tournant dans sa cage


ignorant de son sort Et l’homme


se demande à nouveau mais quand


finirons-nous tous ce voyage


Certes nous parlons entre nous


aujourd’hui plus que jamais Certes


nous serons bientôt affranchis


et noirs blancs jaunes nous serons


cette famille qui récolte


ce que chacun aura semé


Mais si les Dieux nous ont quittés


et qu’est-ce qu’un dieu je questionne


sinon nous toi et moi tentant


d’empêcher l’esclave et le maître


d’interdire toute pensée


qui fasse dire à l’homme en verve


Je suis avec les pauvres C’est


soi-même pauvre qu’il faut être


L’esprit est subtil et malin


souveraine la dialectique


Reste la vie de mon voisin

 

 

Ce qu’est un homme dans la vie


m’importe peu C’est son envie


d’être autre chose qui m’excite


Autre chose que seul errant


aux caprices d’une aventure


dont il pense tenir les rênes


C’est le quant-à-soi qui me rend


plus seul encor Je fais serment


de m’en tenir là mais à qui


Rentre en toi-même Georges et cesse


de te plaindre écrivant cela


qui te fait passer en douceur


le temps l’horreur de tes humeurs


le temps l’angoisse de tes jours


de tes nuits ce temps bel ennui


qui te donne permission


de le traiter à la légère


alors que sans lui mon garçon


ta langue serait moins facile


Se résigner crier pourquoi


La résignation est stupide


et la révolte pareille à


l’aboiement d’un chien fou C’est


Shakespeare par Cléopâtre


qui nous le dit avec raison


Et pourquoi d’être indifférent


ce rêve ? Sois intelligent


ce n’est rien moins que difficile


mais quoi nous faisons tous semblant


de l’être à la mesure aimable


Ainsi les enfants dans le sable


tracent-ils des signes qui sont


autant de certitudes signes


que prend en écharpe le vent


Ne vous étonnez-pas s’il tonne


s’il pleut à vous fendre le front


Ne vous étonnez de rien C’est


le plus sublime étonnement.

 

 


Une vie ordinaire


Editions Gallimard, 1967

 


Du même auteur :


 « On meurt de rire… » (10/08/2014)


Marines (1) (10/08/2015)


« Les guerres n'est-ce pas... » (16/10/2016)


 « Il y a un bruit près de chez moi… » (16/10/2017)


« Il n’y a rien... » (16/10/2018)


« Ces envies de vivre ... » (16/10/2019)


« Cette légère envie de se saouler... » (16/10/2020)


L’âme (16/10/2021)


Huit poèmes (16/10/2022)


Marines (2) (16/10/2023)


« Seul je me sens trop immortel... » (16/10/2024)
 

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