Jacques Lovichi (1937 – 2018) : Signoria
Signoria
à Christiane Baroche
qui sait,
quelques plaisirs amers...
I
Pluies.
Sous son arche déshabitée
le fleuve roule un limon jaune
et dans les glaces opportunes
un passé possible
grimace.
II
Un peu de patience
encore
un peu de
cendre sur la vitre
engluée de l’aube immédiate
Un peu de sang
au centre
de la plaque
une longue fêlure noire
comme un grincement dans les moelles
Voici venir
l’irrémédiable.
pour Michel Dugué
III
Vertèbre hérissée de prestiges
claque dans l’épaisseur du cri
Lueur
sous de la nuit soudain moins noire :
vertige irisé des ténèbres
Dire juste le tremblement
des moires
là où s’épand le verbe tu.
à Jean-Marie Tixier
IV
Et ce n’est pas la douleur
cela
juste une flamme qui vacille
sous le souffle froid de l’hiver
moins :
une perle de gel à la pointe d’une herbe
moins encore :
un incertain reflet
dans l’œil ou dans la vitre.
à Notre-Dame-du Boulevard
V
L’ultime lueur
là-bas
de l’autre côté du fleuve
en quelque crypte désertée
charbonne
grésille
et
meurt
larme cireuse et nue des agonies de l’aube.
à Jeannine R.
VI
Lion
régnant
sur l’étendue rugueuse
des linges essorés
Ferrugineux
suinte
au bord de la paupière
le juste contrepoids du désir engravé :
C’est
talion.
pour Alain Borer
VII
La métaphore
hélas
n’est pas de mise
Obscur cheminement de l’instant dans le fleuve :
L’homme
nu.
VIIII
Plazzale Michelangelo
les ombres courent sur la ville
océan des cloches
soudain
Dire juste le tremblement
cette fêlure dans la vitre
la pluie de cendres sans oubli :
Un autre jour
meurt.
à Bernard Mazo
IX
Harpes désaccordées
comme
un enfant qui pleure
(et c’est encore un autre jour)
un peu de patience
un peu
de
patience
un
peu
de
X
Ô chant gordien
délices pures
de l’implacable adolescent
Là-bas
sur l’autre bord du fleuve
tapi le gardien
aux trois
têtes :
il faut
trancher
XI
Sous l’arcade désaccouplée
rugissement de nos désirs
un souffle
un coup d’archet
une plainte crépusculaire
le
jour
agonise
mélo
dieu
se
ment.
XII
Dernier acte du mélodrame
banal
et pourtant
l’engoulevent crie dans les feuilles
sur le bord du fleuve scintille
la luciole des jours enfuis
il
pleut
de la mort douce sous les arbres :
indéchiffrable
seigneurie
de
l’instant.
Fiesole, La Ciotat, novembre 1985
Les derniers retranchements. Poèmes
Le cherche-midi éditeur, 2002
Du même auteur :
La sourde oreille (17/10/2014)
Ne variatur ou l’avant-dernière lettre d’Ephèse (17/10/2015)
Le combat avec l’ange (17/10/2016)
Mourir dans l’île (17/10/2017)
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