André Velter (1945 -) : çà cavale (II)
çà cavale (II)
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(ça cavale)
tout est parti d’un coup de chaleur
du côté de la Calabre
quand j’ai su que j’avais le cœur
de vivre à cru comme on se cabre
Le soleil avait bu l’horizon
je suis né de cette ivresse
où il n’est jamais de saison
pour le spleen ou la détresse
Si j’ai le sang d’un espagnol
je sens mon regard d’Arabie
mener ma cavale mongole
par les chemins d’Abyssinie
il me faut du feu sur les lèvres
de l’ouragan dans les cheveux
jeter mes gants près de la grève
et de l’infini dans les yeux
que çà crève que çà déboule
dans le galop de l’insomnie
que çà rêve que çà défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
cavale cavale ça cavale
le matin te mange dans la main
dès que tu as poussé les portes
on dirait que tu as faim
de ce qu’un étranger t’apporte
après le placard aux voleurs
tu as la tête près des étoiles
tu traînes un ange tout en sueur
quand ton ombre met les voiles
dans cette cavale à qui perd gagne
y a pas de mur si tu t’emballes
dans ce rodéo la castagne
largue ta vie à fond de cale
il te faut du sel sur les lèvres
un braquage dans les neurones
jeter ton tempo dans la fièvre
semer du sable au téléphone
que ça crève que ça déboule
dans le galop de l’insomnie
que ça rêve que ça défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavaler au bord du vide
cavale cavale ça cavale
si j’ai le sang d’un espagnol
je sens mon regard d’Arabie
mener ma cavale mongole
par les chemins d’Abyssinie
si j’ai les poings d’un amnésique
je me souviens du corridor
et du guetteur qui panique
dès qu’il m’aperçoit dehors
que ça crève que ça déboule
dans le galop de l’insomnie
que ça rêve que ça défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
que ca flambe que ça détale
dans le galop de l’insomnie
que ça tangue que ça dévale
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
cavale cavale ça cavale
Le bruit court que le monde n’aurait plus qu’une loi,
une seule saveur, un seul enjeu, une seule horreur,
et nulle sortie hors du trictrac des marchands.
Le bruit court que la loi universelle
a établi un troc en forme de massacre,
que les capitaux flottants s’abreuvent de naufrages,
que le plastique vaut plus que bois ou cuivre,
le nylon plus que coton,
le béton plus que paille et terre sèche,
que tout peut être acheté, mutilé, avili,
et qu’il faut payer les faussaires
avec un vrai courage et de la vraie misère.
Où s’est déchirée la trame de notre mémoire ?
Le flash qui nous éblouit ne concède plus rien,
comme s’il n’y avait jamais eu de chemin de halage,
d’herbe coupée, de sous-bois odorant,
jamais de forgerons, de dinandiers, de bûcherons,
jamais de serpe, de gradine, de trusquin.
Comme si notre main devait être vide,
comme si les saisons de neige,
de semailles, de moissons, de cueillettes
étaient un seul éclair noir au fond d’un trou.
Le bail de ce monde est truqué.
Une douce tyrannie sourit
de toutes ses dents de lait en poudre
avec aux confins de l’oubli
cette clameur condamnée,
ce crissement du sang
quand la roulette dérape sur la gencive.
Sans liens on vous attache,
sans torture vous vous mettez à table.
Quel ogre invisible hébergez-vous ?
Un soir vous avez crié :
« j’aime ce que je hais »,
c’était rêver d’un rapace trop infâme
déjà couvert d’oripeaux,
converti en oriflamme.
Depuis que l’azur me rogne les ailes,
je m’intéresse à vos breloques, à vos statues,
symboles gravés à contre-emploi
Bombez le torse mes fiers à bras
des fois qu’on vous épingle
Contez vos exploits de civilisés à la mie de pain,
vos conquêtes de garçons de bain !
Dans le genre épique
on dirait que ça barde...
Notre héros était borgne,
à demi-sourd
et boitait bas.
Sa femme n’avait plus qu’un tétin.
Son fils souffrait d’une lèpre tenace.
Quand à ses filles la vérole savait
où elles tenaient boutiques.
Notre héros était du clan des autoproclamés,
des purs, des intraitables, des vertueux,
de ceux qui s’étripent pour un poil de barbe,
un cheveu de pucelle, une cheville à l’air libre.
On l’appelait le Visionnaire
lui qui voyait trouble avec son oeil de verre.
On l’appelait la Grande Ecoute
lui qui percevait les trompettes de l’Apocalypse
comme des soupirs de chats.
On l’appelait l’Arpenteur des Univers
lui qui ne prenait plus la pente depuis des lustres
ni pour monter ni pour descendre.
Notre héros était omnipotent et impotent.
S’il avait de vilains restes
c’est qu’il avait levé jadis tant de promesses,
exténuant ses nourrices,
volant aux chiens les bons morceaux,
cravachant les infirmes,
violant les veuves et louant Dieu.
Il était en son bel âge
joliment fourbe, drôlement sanguinaire.
On accourait de partout l’admirer
dans les tournois truqués, les combats déloyaux.
Un fer à cheval au bout des gants
il assommait sans problème
bien avant la limite,
d’un coup d’éperon coupait les tendons,
d’un revers de manche plombée déboîtait les molaires,
il avait le genou félon,
le poignard à double lame et le poison fertile.
Ses exploits étaient autant d’indignités,
ça contaminait les chants de corps de garde
avec refrain à boire et à tuer
qui le célébraient tel qu’en lui-même :
dans la mêlée le plus vicieux
dans l’horreur le plus à l’aise
dans les palabres le plus furieux
dans la déroute le plus bravache.
Notre héros avait été un jeune parjure
avant de devenir un vieux monstre
régnant sur des vieillards frileux,
des rentiers, des matons, des aumôniers militaires,
de petits blancs, des poitrinaires,
toute la clientèle des grabataires de l’âme.
Paradant au milieu de ses phalanges,
nabot entouré de molosses,
il poussait de faibles cris
aussitôt amplifiés par les aboyeurs de service,
il esquissait de maigres gestes
aussitôt décuplés sur des écrans géants.
Notre héros était une outre bien pleine
de charognes et d’emplâtres,
de mépris et de haines.
Il avait la pestilence de l’emploi.
Il avait la main lourde.
Il semblai l’émissaire d’une boue contagieuse,
méprisable, immortelle... »
Voilà ce qui rôde des origines à vos jours,
des fantômes assoupis, des aigles de basse-cour,
des épopées pourries qui passent dans le sang
comme s’il n’y avait jamais eu autre saison
qu’une guerre de cent ans.
Frères inhumains qui près de nous vivez,
n’ayez la couenne à ce point endurcie,
l’œil si hautain et le cœur sans merci
que d’un bourreau faites vos destinées,
que d’une honte on ne vous voie ravis,
Frères inhumains qui près de nous vivez.
Solitude. Haute solitude qui me mène
comme si je n’avais à rendre grâce qu’aux récits des morts.
J’entends l’anonyme dans l’assemblée des étoiles,
j’entends cette bouche de mirage et de menthe,
j’entends l’écho de celui qui ne s’est jamais égaré.
Quelle parole est la nôtre et qui est à l’écoute ?
Quelle parole est la mienne et qui est près de moi ?
Solitude. Haute solitude qui me mène
comme si je n’avais à subir les carnages de ce temps.
Il vient des nostalgies plus assassines que la faim,
des plaintes plus voraces que les vautours, les corbeaux.
Où creuser ce chemin entre le cœur et les os,
crevasse apparemment stérile, insensible,
ultime ligne de défense des hommes sans refuge
qui portent en eux leurs abîmes, leurs tombeaux ?
Ne pas faiblir pourtant, ne pas gager son agonie,
ne pas baisser les yeux quand l’hélicoptère
éclipse le soleil et tourmente les sables,
quand les soldats dans la poussière du ciel envahi
mitraillent les troupeaux, dispersent les chamelles,
jettent des flammes de soufre sur les puits et les camps.
Nous allons survivre dans les rides de nos dunes,
venger notre royaume vide, notre souffle, nos haillons.
Aucun allié ne se présentera ,
aucune nation n’élèvera la voix
pour quelques trafiquants de khôl, de sel ou d’ambre
interminablement contraints à d’infimes échanges.
Cette guerre n’aura ni terme ni trêve.
Les sédentaires cherchent en vain les portes du désert.
Le gant à relever empeste de Prague à Pékin,
ce qui ne défausse pas l’autre ennemi
d’une seule torture, d’une seule ignominie
pour peu qu’on ose à la fois
le défier et se défier.
Il se joue en chacun, à chaque instant,
dans l’égarement, l’aveuglement, l’exaspération,
à coup de foudre ou la merveille,
une partie sans retour.
Rien ne dispense de tenter l’impossible,
diable-rouge, déesse-neige,
de donner voix aux sursauts, aux sursis,
à cette longue déchirure de l’écorce humaine,
à ce cri surpeuplé, sans réponse.
Avec quoi faire corps ?
De quoi s’affranchir ?
De quel limon, de quelle rive ?
C’est un pari d’ange perdu
qui voudrait s’incarner dans son envol,
s’évader de toute ombre sur terre
mais avec des pierres en poche, des offrandes
et des mots d’amour en sautoir.
(Georgina Smolen)
la nuit au visage
comme un retour de flamme
une fille une femme
on ne sait d’où ça vient
ce sursaut singulier
qui fait tout dérailler
pour un coup d’œil en coin
les poètes se régalent
de ce profond mystère
mettent la vie au vestiaire
et désertent le bal
quand Georgina Smolen s’est levée pour chanter
j’avais au bout des doigts comme des fourmis folles
et sur le bas des reins ce roulis qui affole
le cœur le sang les rêves et me fait déjanter
et me fait déjanter
la nuit au visage
comme un retour de flamme
une fille une femme
à ruer dans le vide
j’ai perdu quelques rimes
comme si j’avais en main
la queue d’une comète
les poètes se régalent
de ce profond mystère
mettent la vie au vestiaire
et désertent le bal
quand Georgina Smolen s’est levée pour chanter
j’avais au bout des doigts comme des fourmis folles
et sur le bas des reins ce roulis qui affole
le cœur le sang les rêves et me fait déjanter
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quand Georgina Smolen dans la salle de concert
a donné du plein chant à son corsage ouvert
j’ai senti que passait sur mes yeux à l’envers
le portrait dénudé que la belle m’a offert
que la belle m’a offert
la nuit au visage
comme un retour de flamme
une fille une flamme
Béatrice, Guenièvre, Desdémone, la Reine Christine,
mais aussi Nishapour, Lhassa, Karakoram,
mais aussi Sanaa, Ecbatane, le Nil bleu,
toutes femmes, tous noms, tous lieux
qui bourdonnent en mémoire
et sont le miel amer d’un amour ajourné,
d’une ballade trop phtisique,
d’un baroud si insensé, si pur
qu’il n’appartiendrait qu’aux seuls dépossédés
ou aux plus égarés sur terre des citoyens du ciel.
Pour les bannis du grand exil,
il n’est nul refuge azuré,
pas de blason ni de nécropole fleurie,
à peine un chemin de nuages...
D’avance ils sont descendus en marche,
d’avance ils ont couvé leur perte,
d’avance ils se sont détournés
de tant de ventres féconds.
(père de personne)
de père en fils on tient boutique
la meute s’engouffre dans le ravin
on se piétine on se nique
on crie son nom avec entrain
et ça déborde des berceaux
et ça s’entasse sur les rives
il est né le divin fléau
des continents à la dérive
on dirait que ce nouveau sport
qui est vieux comme le monde
ne garantit contre le sort
qu’en programmant des hécatombes
tout seul enfin
lever le camp
mourir demain
s’il en est temps
s’il en est temps
s’il en est encore temps
Je ne suis pas de ce haras
stakhanoviste de l’espèce
rien que de l’amour et basta
pas d’héritier dans l’éprouvette
du côté de la part maudite
je me dépense allègrement
si je ne touche à l’eau bénite
j’ai donné du foutre au néant
famille de rien on déménage
amant du feu grain de folie
cousin du vent frère de l’oubli
père de personne père de personne
tout seul enfin
lever le camp
mourir demain
s’il en est temps
s’il en est temps
s’il en est encore temps
je suis de la race étourdie
qui rabote son pedigree
n’attend qu’un bon de sortie
pour s’effacer de son plein gré
il est parfois dans nos pays
des personnages qui détonnent
cousin du vent frère de l’oubli
père de personne père de personne
tout seul enfin
lever le camp
mourir demain
s’il en est temps
s’il en est temps
s’il en est encore temps
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Ouvrir le chant
Le Castor Astral, 93500, Pantin / Ecrits des Forges, Trois-Rivières (Québec), 1994
Du même auteur :
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