Henri-Simon Faure (1923 – 2015) : pape un enfant de chœur sur la touche (1- 10)
pape
un enfant de choeur sur la touche
à
edmond humeau
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encore cette affreuse nuit noire
a tapé du poing dur dans la ville
étrange spasme
la lune enfin
sur l’air d’un accordéon d’automne
bâtit sa clairière d’inconnu
où sont les femmes
béatitude
Les désespoirs errent par les rues
se donnant les deux bras du courage
crie
oiseau à gueule de poète
il ne faut pas m’en vouloir de mon silence
la nuit
pour ramener ses bateaux au port
s’en prend au phare dont la voix porte loin
à marée basse
découvre l’océan
ses ailes de merveilles et d’odeurs d’iode
les copains
l’enseigne lumineuse
du carrefour dangereux du temps
de la puberté
ma criminelle
a tombé ses trois premières lettres
soudain
le vieux révolver braqué
était pourtant demeuré sans voix
demain dans l’insolence du jour
monté sur ses ergots de combat
j’aurai à compter les cheveux blancs
des hommes jeunes autour de moi
le sel de leurs pleurs a mis du goût
aux étreintes rompues
mais gagnantes
d’échapper l’écrevisse du rêve
où j’aimais tant me désaltérer
l’eau du puits est désormais sinistre
si je me penche sur mon beau ciel
andré breton en a disparu
il ne faut pas m’en vouloir de mon absence
mais
couché dans le sable enrayeur du temps
mon corps a pris la transparence du verre
matériau solide en nos lois de silence
les techniciens connaissent la densité
de leurs isolateurs en verre trempé
le courant ne passe plus à travers moi
un essaim d’abeilles cherche la fraîcheur
à la commissure de mes lèvres closes
sachez seulement
que je suis entré hier
comme en religion
par la porte du parc
dans une autre nouvelle époque tzigane
de ma vie
livrée au vent des chemins creux
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évidemment vous ne pouvez douter
combien je ressens du plaisir physique
qui se répercute en pointillés rouges
jusque sous la calotte de mon gland
à retrouver la route nationale
quatre-vingt six
rive droite du rhône
après avoir abandonné la sept
ou des sections d’autoroute à péage
qu’on écoute
la chanson
du mistral
bousculant
dans sa fuite
fleuve
rhône
de son aile
sur les doms
d’
avignon
à travers
les pelouses
les rochers
les barrières
des gars traînent
mœurs spéciales
en braguette
comme
dans
les pissoirs
de
lyon
comme
dans
saint-étienne
aux jardins
des beaux-arts
des arabes
mouches bleues
affriolent
de géantes
norvégiennes
à peau rose
et boutons
affalées
sur les bancs
des allées
elles jouent
sans culotte
des lourds muscles
de leurs cuisses
tapissées
de duvet
congelé
au regard
de ces hommes
hâves
qu’elles
considèrent
en fragments
atterris
du soleil
destinés
à les faire
brunir vite
jusque dans
leurs entrailles
qu’elles veulent
goulûment
retourner
comme un gant
volupté
au rabais
qui enchante
leur colonne
vertébrale
bouleau blanc
dont les disques
des lombaires
batifolent
près du cercle
pôle nord
maintenant
le sillon
est tracé
dans le sable
chaud humide
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main dans la main
ils descendent
les hommes de la montagne
et je suis parmi eux
leur frère dans la révolte
un bâton dont ils s’appuient
pour traverser le torrent
bout du pain multiplié
verre d’eau puisé au frais
on peut repartir à l’attaque
je dis que
vers la vallée
la ville aura tant d’oreilles
que leur chant ne sera vain
ils ont vécu à ce jour
sans se douter de la vie
costumant leur nudité
de la couleur du régime
qui les parquait sur leurs terres
à user d’un bonheur simple
où bourdonnait trop de joies
devant leur ruche muette
mon poème les impose
les dresse de dignité
je n’y suis toujours pour rien
pieds plongés dans la rivière
vairons lutinant leur plante
langue de chèvre m’excite
ne pas copuler la bête
même en une île déserte
qu’ils sachent qu’
être français
n’a jamais tombé la noix
de beurre frais dans leur soupe
et que
là où ils s’assemblent
des murs les sépareront
l’ancien temps leur fut infâme
le présent
dans le brouillard
l’avenir
ils en rigolent
moi je pleure sur leur chute
des larmes de crocodile
ou d’un amour détroussé
la peau jaune au moraliste
sert à battre du tambour
devant la foule domptée
le poète prend son vol
dansant comme libellule
avant de devenir ciel
pour se fondre entre les mains
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merde
c’était urgent d’appareiller
besoin vertigineux de l’eau
s’y foutre
froide
ou bien chaude
ma chair est plombée
insensible dans son cercueil de cuir
es-tu sale
camarade poète
noyons-nous de concert parmi les algues
tandis que pleurent sur nous les violons
comme
des enfants de pute
orphelins
j’aimais de beaux hommes jeunes autour de moi
qui m’aimaient
les viocs
malgré leurs moeurs de velours
je ne puis les souffrir
ceux de ma génération
sont morts dans tellement de guerres
pour une liberté déguisée qui les plaquait au sol
survivant
je dois être
eux
devant vos faces de carême
j’assume la vie
qu’ils n’ont su mener à bien
sacrifiés
pour des causes stériles de tenants
et d’aboutissants
c’est dire qu’il faut me pardonner
ma fougue
et la morsure
de mes dents de chien fou
enragé à battre la campagne
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quelle désespérance entre mes poignes
d’avoir conduit neuf autos à ce jour
et ne s’être encore parfaitement
adapté au rythme des temps modernes
sangsue tant avide
qui se détache
d’un corps
sans avoir sa ration de sang
grain de sable au long cours de l’engrenage
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j’émergeais du fond
du désespoir glauque
j’ai pris l’habitude
pieds premiers
d’y fondre
tripoter la vague
et m’y camoufler
amour des eaux troubles
symbole d’un âge
sa fuite m’atteint
trop de complaisances
je ne puis trancher
pour rester moi-même
malheureux
heureux
de beaux souvenirs
à ras bord des poches
le gargouillou noir
la grenouille verte
les mouches d’été
au ressort qui siffle
d’un coup détendu
dans la chaleur jaune
étranges insectes
à grandes échasses
christs qui vont sur l’eau
le mâle grillon
placé à l’entrée
de mon tombeau gris
fière mécanique
enfin remontée
pour l’éternité
bol d’angoisse
du
repoussé le pain
flacon rebouché
la grenouille verte
essuyé
fermé
le couteau à cran
j’allonge mes jambes
sous le mûrier dur
de ma vieille table
vers à soie
manger
mes feuilles de couilles
je les abandonne
à votre appétit
sublime façon
de participer
au flux d’aventure
de la vie mortelle
je me transfigure
au travers de vous
en une chiure
de paix de colombe
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je vous en demande pardon
ma mère
vous me disiez
regarde devant toi
car c’est par là que le soleil se lève
je ne bougeais jamais trop haut les yeux
pour ne voir d’autre qu’une jolie fille
et ce n’était jamais même appelant
placé à l’ombre humide du vallon
qui m’attirait dans la chasse gardée
la beauté
de tes yeux
et le mal
qu’ils me font
je le prends
dans mes mains
les referme
sur sa cosse
les aiguilles
me déchirent
arc-en-ciel
dont s’échappe
ton regard
goût de sel
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je dis des poèmes dans des bistrots
mal famés
mon respect mis à la porte
à chaque fois
j’en invente un nouveau
qui fait ricaner le vieux noctambule
pleurer la fille perdue qui retrouve
quelque secret pur
à se reprocher
la vieillesse
ainsi
ne m’atteindra pas
je
traîne
la
mort
en
laisse
jeu
de
mon
âge
un
ours
danse
à
la
chaise-
dieu
dans
son
monde
il
a
soif
de
chair
rouge
et
du
trait
noir
d’
un
sexe
et
quand je caresse sa fourrure
à rebrousse-poil
elle étincelle de milliers d’étoiles de nuit d’août
dans laquelle je répondrai présent à pleine gueule
écrivant
et lisant
mes vers
autour d’un feu de bois
jusqu’à cette aube
ou devoir repartir
le mors aux dents
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qu’est-ce que ça peut bien vous foutre
politicards de tous pays
bourgeois
curés
et prolétaires
je suis un être fin de race
individu gorgé de tares
la flamme de l’illuminé
proche la poudre de senteur
racine d’iris écrasée
et le langage de l’idiot
avec de la peine à sortir
du labyrinthe de son goître
de m’écraser à l’influence
je vous défie
vous possédez le pouvoir
l’argent
et les poufiasses
j’ai eu la vie à mon pur désir d’enfant de pauvre
j’ai baisé la beauté dans toutes ses positions
elle ne m’a jamais demandé le moindre rond
hisser la voile noire de mon regard perdu
entre nous l’épée
donner le secret mot de passe
cela ne se pratique pas sur simple commande
mais
un don gratuit des dieux
que l’on possède ou point
j’ai balancé le jeu de tarots
sur des histoires de vie
de mort
son bel éventail prêche à la lune
mon destin n’obéit rien qu’à moi
gueuler
verbe au mode impératif
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je ne sais encore
malgré tous les dires
des mal-bien-pensants
par qui
poésie
doit être bâtie
proprement
j’inspire
j’expire
je bats
je cligne
j’urine
je fiente
je sue
j’éjacule aussi
je saigne le sang
de la poésie
je goûte
je touche
je vois
et j’entends
volontiers je hume
rien que poésie
je bouge l’oreille
de la poésie
parce que je vis
comme chacun vit
à la condition
d’être né en force
de bomber le torse
ce n’est pas courant
parce que je suis
la pierre qui roule
qu’il sera toujours
grand temps à venir
que la mousse pousse
dans mes trous de nez
trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écritures
Editions plein chant (cahiers hsf/6), 16120 Bassac, 1976
Du même auteur :
Par ces temps (28/07/2016)
un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (0 – 16) (21/01/2020)
un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (17 – 29) (21/01/2021)
pape un enfant de chœur sur la touche (11-23) (21/01/2023)
pape un enfant de chœur sur la touche (24-34) 21/01/2024)