Homère / Ὅμηρος (VIIIème siècle av. J.C.) : « De même que l’on voit... »
Sculpture de Philippe-Laurent Roland (1746 - 1816), Musée du louvre, Paris
De même que l’on voit les abeilles en tribus nombreuses,
Se presser à flots renouvelés et sortir d’une roche creuse,
Et former une grappe voletante au-dessus des fleurs du printemps,
Tandis qu’une foule d’autres planent ici et là en même temps,
De même les tribus sans nombre quittent les bâtiments et les baraques,
Et viennent se masser en avant du déclive rivage,
Pour prendre part à l’assemblée.
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De même que l’on voit, en troupe sans nombre, les oiseaux ailés
Les oies, ou les grues ou les cygnes dont le col est allongé,
Sur les deux rives du Caystre, dans les prés d’Asie,
Battre orgueilleusement des plumes et voleter là ou ici,
Et se bousculer en criant, et faire retentir la plaine de crissements,
De même les tribus sans nombre quittent les baraques et les bâtiments
Et se répandent dans la plaine du Scamandre, et le sol résonne
Terriblement sous le pas des chevaux et sous le pas des hommes.
Elles font halte dans les prés que le Scamandre a couverts de fleurs,
Et elles sont innombrables, comme au printemps les feuilles et les fleurs.
De même que l’on voit, en troupe sans nombre, les mouches serrées
Voleter à travers les étables où les brebis sont entassées,
A la saison du printemps, lorsque le lait remplit les seaux,
De même devant les Troyens, les Grecs chevelus ont croisé les faisceaux,
Installés dans la plaine, et c’est de bataille et de mort qu’ils rêvent.
Et de même que les chevriers qui mènent de vastes troupeaux de chèvres
N’ont pas de peine à reformer chacun le leur lorsqu’ils se sont mélangés en
pâturant,
De même les chefs ici et là n’ont pas de peine à mettre leurs hommes en rang
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De même que l’on voit le vent emporter la balle de blé sur les aires sacrées,
Le jour où les vanneurs sont au travail, et où la blonde divinité
Se sert du souffle vif des brises pour trier la balle et le grain,
De même les grecs émergent, le haut du corps tout blanc sous le cyclone de
poussière
Que vers le ciel de bronze les sabots des chevaux font lever en frappant la terre,
Et déjà la mêlée recommence, et les conducteurs de chars ont rebroussé
chemin.
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De même qu’un prodigieux incendie fait rage à travers les vallées profondes,
Dans les montagnes desséchées, alors brûle la forêt profonde,
Et le vent pousse en tout sens et fait tournoyer le feu,
De même en tous sens bondit Achille, lance au poing, pareil à un dieu.
Il se rue sur les cadavres, et la terre noire est inondée de sang.
De même que l’on attelle des bœufs au front puissant
Afin de fouler l’orge blanche dans l’aire bien construite,
Et pour que sous les pas des bœufs mugissants le grain se dépouille vite,
De même, sous Achille au coeur fier, les cheveux aux sabots épais
Ecrasent à la fois les morts et leurs boucliers.
L’essieu sous le siège et les rebords autour sont souillés de sang partout,
Il jaillit en éclaboussures sous les sabots des chevaux et sous les jantes des
roues.
Le fils de Pélée brûle de conquérir la glorieuse renommée
Et une poussière sanglante souille ses mains redoutées.
(L'Iliade)
Traduit du grec par Robert Brasillach
in, « Anthologie de la poésie grecque »
Editions Stock, 1950
Du même auteur :
« Mais, quand l’aube bouclée amena le troisième jour… » (29/10/2015)
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Priam aux pieds d’Achille26/07/2023)
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