Jean-Pierre Duprey (1930 – 1959) : Il y a de la mort dans l’air
Il y a de la mort dans l’air
I
Mon pays navigue sur un fond de mer
Je me promène dans ses jeux de vagues
Sur les larmes éclatées
Les églantines sont des pirogues de verre
Mon pays est un vaisseau parti pour les étoiles
Le sang dedans maraude comme une folle
Paysage nivelé à zéro
Il y a de la mort dans l’air
Mon pays est un vieux banjo de sanglots
On y joue des larmes très méchantes
Un grand poids pèse sur notre terre
Il y a de la mort dans l’air
Au bout du ciel une page de cristal
Sur un fonds de mer s’affirme un pays de sang
Tout autour la boue rougie
Les plus belles morts sont de verre
II
A minuit sonnant, un vaisseau de marbre entra dans le port, l’appel des
sirènes répercuté par toutes les cloches d’alentour devint comme une révélation
pour l’esprit du vagabond. On vit sortir des squelettes bancals portant l’insigne
des pirates d’Epinal. Des têtes armées de visières, des pieds torturés, des mains,
des yeux sans propriétaire les suivaient, innombrables petits chiens. Les
araignées conquérantes occupèrent immédiatement la rade et pendant qu’ils
pillaient les magasins, on leur construisit des baraquements de toile. Les
peintres appelés en hâte teignirent en rouge les voles décolorées du navire de
marbre ; ce qui prouve que la mort va jusqu’aux pierres.
(14mars 1946.)
In, Revue « Seine »
76000 Rouen, 1946
Du même auteur :
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