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Le bar à poèmes
19 mai 2021

Paul Eluard (1895 – 1952) : La lumière éteinte

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La lumière éteinte

quand, par hasard, je ne choisis pas le petit cheval vert et le petit homme rouge, les deux plus

familièreset brutales de mes créatures hypnotiques,  je me sers inévitablement de mes autres

représentations pour compliquer, illuminer et mêler à mon sommeil mes dernières illusions

de jeunesse et mes aspirations sentimentales.

 

Un matin de sureau

Elle est restée dans ce champ

Qu’a-t-elle- laissé d’elle en s’en allant

 

Tout ce que j’ai voulu

Et d’abord une armure choisie dans les décombres

De la plus ciselée des aubes

Une armure sous un arbre

Un bel arbre

Ses branches sont des ruisseaux

Sous les feuilles

Ils boivent aux sources du soleil

Leurs poissons chantent comme des perles

 

Un bel arbre les jours d’ennui

Est un appareil visionnaire

Comme un autre

Par cet arbre de tous les jours

Je suis le maître de mes quatre volontés

 

Puis une femme au col de roses rouges

De roses rouges qu’on ouvre comme des coquillages

Qu’on brise comme des œufs

Qu’on brûle comme de l’alcool

 

Toujours sous l’arbre

Comme un aimant irrésistible

Désespérant

La flamme traquée par la sève

 

Tantôt fragile tantôt puissante

Ma bienfaitrice de talent

Et son délire

Et son amour à mes pieds

Et les nacelles de ses yeux dont je ne tomberai pas

Ma bienfaitrice souriante

Belle limpide sous sa cuirasse

Ignorante du fer de l’arbre et des roses rouges

Moulant tous mes désirs

Elle rêve

De qui rêve -t-elle

De moi

Dans les draps de ses yeux qui rêve

Moi

 

Ses mains sont vives

De vraies mains de sarcleuse

Tissées d’épées

Rompues à force d’indiquer l’heure matinale sempiternelle atroce du travail

Des mains à tenir amoureusement un bouquet de roses rouges sans épines

 

Et ce galop de buffles

Mas quatre volontés

Cette femme au soleil

Cette forêt qui éclate

Ce front qui se déride

Cette apparition au corsage brodé d’épaves

De mille épaves sur des vagues de poussière

De mille oiseaux muets dans la nuit d’un arbre

 

Il ferait beau penser à d’autres fêtes

Même les parades déshabillées défigurées ensanglantées par des grimaces de masques

     atteignent malgré tout à une sérénité condamnable

Et quel passant hors jeu juste au carrefour d’un sourire de politesse ne s’arrêterait pas

     pour saluer d’un éclair de la main le ventre impoli du printemps

 

Un panier de linges à la volée se calme tendrement

Sa blanche corolle s’incline vers ses genoux brisés

Aucune roture de couleur n’a barre sur lui

Et par la déchirure d’une dentelle

Il disparaît

Sur une route de chair

 

Boire

Un grand bol de sommeil noir

Jusqu’à la dernière goutte.

 

Le Surréalisme au service de la révolution, N° 5

Editions des Cahiers Libres, Mai 1933

Du même auteur :

l’Aventure (19/05/2014) 

Nuits partagées (19/05/2015)

La mort, l'amour, la vie (19/05/2016)

Novembre 1936 (19/05/2017)

« Je te l’ai dit pour les nuages… » (19/05/2018)

A perte de vue dans le sens de mon corps (19/05/2019)

L’Unique (19/05/2020)

Au cœur de mon amour (19/05/2022)

L’extase (19/05/2023)

Marines (19/05/2024)

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