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Le bar à poèmes
24 avril 2021

Saint-Pol-Roux (1861 – 1940) : Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne

roux_fdc[1]

Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne

À Francis Vielé-Griffin.

 

Ô l’onde qui file et glisse, vive, naïve, lisse !

Parmi les prairies du songe, des filles se révèlent, parfois, la chevelure telle.

Ce Ruisselet, parvule et frais, sans doute est un lézard de désirs purs… épanoui

     lézard qu’une étincelle d’œil ferait s’évanouir ?

Sur le silence des ongles inférieurs, noyé dans ce saule propice, admirons la

     Pèlerine de la langue et de la racine qui s’achemine en la luzerne.

Oh ! cela coule sur des cailloux, arrondis par l’obséquieuse politesse, suggérant l

     es chauves jabotés sans leur perruque printanière.

L’azur inclus est, n’est-ce point ? la perceptible remembrance des prunelles

     nymphales qui s’y séduisirent.

Admirons sans s’y mirer, et de loin sourions, de peur d’effaroucher…

Combien joli de sourire à du rire qui glisse ainsi que des larmes divines ! …

Je me mis à prier comme devant une statue de la Vierge en fusion :

– Onde vraie,

Onde première,

Onde candide,

Onde lys et cygnes,

Onde sueur de l’ombre,

Onde baudrier de la prairie,

Onde innocence qui passe,

Onde lingot de firmament,

Onde litanies de matinée,

Onde choyée des vasques,

Onde chérie par l’aiguière,

Onde amante des jarres,

Onde en vue du baptême,

Onde pour les statues à socle,

Onde psyché des âmes diaphanes,

Onde pour les orteils des fées,

Onde pour les chevilles des mendiantes,

Onde pour les plumes des anges,

Onde pour l’exil des idées,

Onde bébé des pluies d’avril,

Onde petite fille à la poupée,

Onde fiancée perlant sa missive,

Onde carmélite au pied du crucifix,

Onde avarice à la confesse,

Onde superbe lance des croisades,

Onde émanée d’une cloche tacite,

Onde humilité de la cime,

Onde éloquence des mamelles de pierre,

Onde argenterie des tiroirs du vallon,

Onde banderole du vitrail rustique,

Onde écharpe que gagne la fatigue,

Onde palme et rosaire des yeux,

Onde versée par les charités simples,

Onde rosée des étoiles qui clignent,

Onde pipi de la lune-aux-mousselines,

Onde jouissance du soleil-en-roue-de-paon,

Onde analogue aux voix des aimées sous le marbre,

Onde qui bellement parais une brise solide,

Onde pareille à des baisers visibles se courant après,

Onde que l’on dirait du sang de Paradis-les-Ailes,

Je te salue de l’Elseneur de mes Péchés !

 

Ce Ruisselet, j’ai su depuis, était mon Souvenir-du-premier-âge.

 

Ô l’onde qui file et glisse, vive, naïve, lisse !

Saint-Henry, 1890.

 

Revue « Le Mercure de France, n° 21, septembre 1891 »

Du même auteur :

Les litanies de la mer (04/03/2014) 

Roscanvel (04/03/2015)

Les Vieilles du hameau (0403/2016)

Dialogue marin (04/03/2017)

Prière à l’Océan (04/03/2018)

Pour dire aux funérailles des poètes (04/03/2019)

Litanies du verbe (04/03/2020)

Ave, Massilia (24/04/2022)

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