Saint-Pol-Roux (1861 – 1940) : Ave, Massilia
Ave, Massilia
À Edmond Rostand.
Règne de sa majesté la fleur ! arène de la cigale et de l’abeille parmi le trin du
fifre avec le tambourin ! mosaïque de l’ail, de l’olive, de la fève, de la figue, du
raisin, de la cerise, de la nèfle, de l’avélane, de l’amande, de la chichourle, de
l’azerole, de la sorbe, de l’oignon, de la pomme d’amour, de l’aubergine, du
poivron, du concombre, de la pastèque, du melon, du caroube, de la pistache,
du piment, de la datte, de la banane ! fanfare de la sardine vive, de la brousse
du Rove et de la betterave de Gardane ! triomphe de la favouille, de l’oursin,
de la clovisse, de la moule, de la marluce à la matrace, de la brandade et de la
bouillabaisse où se hérisse la rascasse ! apothéose du nougat, du muscardin, du
berlingot, des santons, de la pompe et des chichis frégis de la Noël, de Pâques
et de la Saint-Michel ! foire de Pistachié, du Bohémien, du Maire, du Ravi, du
Roi Maure et de l’Ange de la Crèche ancienne ! Marseille au collier
d’agachons ! Marseille à la tayole de cabanons ! eldorado de brunes filles aux
hanches de féerie et de sveltes garçons au gosier d’opéra ! fière cité coiffée de
tuiles comme d’un rouge bonnet de Phrygie ! ville aux balcons et terrasses de
balicot où tout rit, tout caligne, tout chante, tout claque, tout craque, tout danse,
tout blague ! Marseille, splendide caresse entre une mer de lilas et des collines
de farigoule que garde grandiose une Vierge d’or dressée dans une atmosphère
de safran, ô Marseille, salut !
Salut, rivage où s’échoua la Magdeleine de folie qu’aima Celui par qui cette
vilaine devint une jolie en paradis ! Salut, môle légendaire où la Beauté de
Phidias s’en vint, à travers la farandole des flots et des fines guirlandes des
brises, poser sa merveille ! ô Marseille païenne ! ô Marseille chrétienne ! joute
de Vénus et de Puget ! galéjade de Mireille et de Monticelli ! Marseille, reine
de l’harmonie, de l’amour, de la pitié : palme, laurier, fenouil, olivier !
Marseille, fille de l’Orient ! Marseille, amante de l’Espagne ! Marseille,
maîtresse de l’Italie ! Marseille, sœur du monde entier ! Marseille, ô Marseille
dont mon enfance a tété le soleil et sablé le mistral, je t’aime, ô mère, ô ma
patrie, je t’aime et, malgré ma haine des marchands que recèle ton temple,
Marseille, poète à son retour d’exil, je baise ton front d’aurore, tes yeux de
cassis, ta bouche de grenade, tes seins d’orange et ton corps d’ambre, tes bras
et tes cuisses de marbre, tes pieds de saphir, et je baise encore ton cœur de
pourpre et ton âme de diamant, comme je baiserais l’arc-en-ciel de Dieu même,
– ô Marseille, salut !
Marseille, 1899.
De la colombe au corbeau par le paon,
Editions du Mercure de France, 1904.
Du même auteur :
Les litanies de la mer (04/03/2014)
Roscanvel (04/03/2015)
Les Vieilles du hameau (0403/2016)
Dialogue marin (04/03/2017)
Prière à l’Océan (04/03/2018)
Pour dire aux funérailles des poètes (04/03/2019)
Litanies du verbe (04/03/2020)
Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne (24/04/2021)
Pâque de la parole (27/04/2022)