Paul Dirmeikis (1954 -) : 火 Laudes du feu
火 Laudes du feu
Jeudi 23 mai 2013
Le voyageur
On ne devrait écouter qu’une fois toute musique
une seule de même tout baiser se devrait d’être unique
rien ainsi ne pourrait miroiter ni porter sa peine
d’avoir changé & d’être estimé à l’étincelle
ne vivre que de premières fois tuer dans l’œuf tout refrain
n’être qu’une saison sur quatre un pas sur deux un seul matin
ne jamais relire tout saisir & calciner très vite
n’être qu’un mandala de sable que le vent disperse
dès le dernier grain déposé la double barre de mesure
briser les moules les marches à suivre les alinéas des lois
n’être qu’escarbille ni feu ni cendre ni rémanence
n’avoir ni descendance ni aïeux & ne transmettre
que le heurt des silex à peine & encore faudrait-il
embrasser pour naître à chaque fois un éclair inédit
naître seulement naître jamais renaître ni tirer
leçon d’une demeure ou d’une dérive ne pleurer
aucun corps d’aucun fleuve n’avoir la nostalgie
vous me faîtes sourire- avec vos manuels vos tutorats
tous vos il-faut-savoir-d’où-l’on vient-pour-savoir-où-l’on-va
fi des bonnes manières le temps nous l’avons inventé
le jour où de nous-même nous nous sommes désaccouplés
mais la tendresse direz-vous qu’en est-il des retrouvailles
des reflets sur les étangs & des bivouacs sur les rives
de l’enfance alors que faites-vous des feuilles qui tombent
des mains qui se tavèlent des cheveux jaunes qui blanchisent
qu’en est-il des caveaux de famille & de cette souffrance
à chaque instant des choses qui ont changé & du vouloir
graver au granit l’invisible fragrance du jasmin
que faites-vous de ces failles qui font de nous des hommes
y-a-t-il seulement de l’amour s’il n’est pas de mémoire
des lettres liées des soirs aux épaisses tentures icônes
enluminées de nos pleurs & des soupirs sur feuilles d’or
encollées aux joues caves des vents qu’en est-il de l’amour
si les murs des chambres sont nus si les pierres sont irriguées
par les eaux troubles de l’oubli par le cri originel
qui fait noces aussitôt avec les complaintes des oiseaux
& peut-on tout commencer sans jamais rien recommencer
avons-nous en nous assez de dieu pour n’être que semence
& d’avoir nul besoin sur terre d’un paradis perdu
samedi 25 août 2012
Le chaudron
Dissimulé par l’évidence
comme l’argile par le bouquet
comme la mélodie par le pas
mon chemin se miroite
à l’appareillage des césures
à la pliure d’aile d’un verdier
vous ne voyez que le grain
la trame du plein midi
vous n’entendez que le frisson
du maïs son froissis de sexe
le trille des senteurs rouges
quand on retrouv e une lettre
quand l’esprit se couche
contre le flanc des enfants
qui ont oublié l’heure
dissimulée par la mission sacrée
dont les ajoncs se prévalent
dans les crépuscules figés
par leurs victoires dérisoires
ma terre se dérobe à vos pas
se frange d’un ourlet d’oubli
& se creuse comme un rein
travaillant sous la nuit
vous passez sans la voir
autrement qu’en parure
de brouillards familiers
vous ignorez les feuillages
secoués par les songes
vous dédaignez mon front
& sa couronne d’aurores
dissimulée par la brillance
des abîmes & des armes
par la clameur des essaims
la palpitation des puissants
l’incroyable blanche des blés
ma voix qui n’est pas ma voix
est foulée sous vos talons
les taons qui piquent le flanc
des bêtes endormies
ont butiné aux veines
qui sillonnent nos prières
vous méprisez l’instant
où se cognent les silex
où bigorne le cœur
aux noces de l’abandon
samedi 18 août 2012
l’augmentation
Que soit louange chaque pierre soulevée
révélant les rêves sous laquelle ils grouillaient
que soient louanges les hauts vents qui se lèvent
aux pieds des séditieuses moissons au front blessé
que soit louange chaque instant à tes lèvres
comme un fruit plus carminé que ta patience
que soient louanges tes longs doigts désengourdis
pinçant les cordes entre les hommes trop tendues
que soit louange ton pas lent qui s’allonge
toujours davantage à tes guerrières saisons
que soient louanges tes nuits qui ont hébergé
les nuées de mots qui ont après disparu
que soit louange ta répugnance à mourir
en ne laissant que ta voix aux bêtes cachées
que soient louanges tes paumes si calleuses
quand le jour frotte sa joue entre leurs parois
que soit louange ta tristesse sans cause
qui méduse l’envolée des alouettes
que soient louanges les branches que tu brises
d’un amour plus translucide que la grêle
que soit louange la flambée de tes pensées
réinventant l’abécédaire du lendemain
que soient louanges les planches que tu cloueras
loin des claies au ponton de tes embarquements
que soit louange le feu secret de ton ange
plus impertinent que l’âge des promesses.
Mercredi 8 mai 2013
la durée
Encore & encore le corps s’allonge s’étend
pour atteindre l’empan des pensées & des pluies
être tel qu’une pietà sur la paume du jour
encore & encore le corps s’en va nous quitte
du merisier choient comme neige les pétales
de ses cotons de fée & se pose toujours
cette question sans réponse de la durée
du sommeil au milieu des filaments du ciel
encore & encore le corps s’écoute & goutte
tel un robinet mal serré hélas nos bras
n’y peuvent rien pour retenir au quai le train
qui part même la tendresse la plus animale
même les élégies d’orphée les mieux tissées
aux vignes grenat des vieux murs & des baisers
encore & encore le corps tremble & se dévêt
avant de rejoindre au sol ces autres traces
de pas avant de glisser dans le froid des draps
ses saisons tavelées & moches à en chialer
entre les galets des souvenirs il passe
le fil de l’eau vieille brodeuse cousant le temps
encore & encore le corps se croit s’invente
pour bluffer les ombres qu’il a laissées errer
dans ces chambres où trop longuement il s’allongea
dans cette léthargie que l’on dit si proche
de la mort & plus poussiéreuse qu’un angle
d’église ou qu’une promesse de rendez-vous
encore & encore le corps endure & s’étaye
pour passer des heures lâches & grises le gué
dans un ciel détricoté en plis d’étourneaux
si se fait le besoin d’une main courante
il descendra pourtant en levant son regard
encore & encore le corps s’affaisse & fléchit
il s’accroche à ce toujours à cette braise
qui dit-on dure au plus intime de la chair
mais c’est aux vents n’est-ce pas que l’arbre obéit
de même le corps prend son ordre aux plus secrets
des chants aux plus insaisissables distiques
encore & encore le corps ignore & se tait
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Les belles choses
L’Eveilleur, 22190 Plérin
Du même auteur :
Laudes du bois (20/04/2019)
L’Epaule d’Orphée (21/04/2020)
L’anneau des frontières (I-XI) (21/04/2022)
L’anneau des frontières (XII - XVIII) (21/04/2023)
Etat des lieux modifié : Fugue 1 (21/04/2024)