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Le bar à poèmes
11 février 2021

Montserrat Álvarez (1969 -) : Elle voit plus loin

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Elle voit plus loin

 

 

A vous, vous qui allez mourir et avez peur,

 

n’ayez crainte

 

la Mort n’est pas maladie, douleur ou corruption

 

la Mort est la sœur jumelle de la vie

 

elle ne gît pas sur une civière d’hôpital

 

elle n’a ni cathétaire ni aiguilles dans les veines

 

La Mort est sacrée

 

Nul médecin ou vivant ne peut

 

la profaner ou la comprendre

 

La Mort est plus haute

 

La mort vous a toujours eu près de son cœur, et quand elle vient

 

avec douceur elle vous charme, comme l’enfant

 

à l’heure du coucher et sa mère

 

lui murmure doucement à l’oreille une berceuse

 

Vous ne serez pas seuls à l’heure de la Mort

 

Vous serez loin d’être seuls

 

parce que tandis que dans le monde vous vous agitiez

 

vous serez moins seuls

 

parce que vous n’aurez plus d’ennemis

 

personne ne laisse d’ennemis quand il meurt              vous ne ressentirez plus 

 

la haine

 

nulle ambition ne vous tourmentera            aucun appétit n’aurez

 

vous ne serez plus insatisfaits                     il n’y aura plus de mal

 

dans vos cœurs     vous ne craindrez rien

 

sauf la Mort et quand vous comprendrez

 

qu’elle n’est ni indignité ni honte mais absolution

 

et qu’en Elle se résolvent

 

les trahisons et offenses de la vie

 

vous verrez alors aussi que la vie

 

n’était pas le printemps qui fait fondre les glaces le velours

 

vert les oiseaux dorés du printemps

 

mais une étroite petite ceinture asphyxiante

 

tel le maillon d’une chaîne

 

La vie vous a séduits

 

flattant vos appétits promettant des cadeaux

 

à vos égoïsmes

 

La Mort ne flatte personne et ne promet pas

 

mais le bien que vous avez fait elle ne vous le prend pas

 

La Mort vous accorde

 

votre bonne mémoire

 

du mal que vous avez fait elle vous absout

 

N’ayez pas peur de la Mort

 

Quand elle sera légère à votre porte

 

laissez- là vous guider courtoisement

 

à votre centre secret de gravité

 

là où vous retirerez pour congédier le monde

 

Elle ne rira pas de votre peur

 

Elle comprend tout

 

laissez-la vous guider courtoisement à l’endroit

 

jusqu’à la moelle où vous êtes vous réellement

 

où vous n’êtes pas ce que vous avez toujours pensés être     où vous êtes

 

sans tous ces masques de l’Être     masques qui divisent

 

et confrontent les hommes

 

En-dessous et en son fond dans son centre caché

 

il y a ce qui vous fait être comme tout homme

 

La racine et le sens de la fraternité / Le lieu

 

où en réalité vous n’avez jamais été mauvais

 

Il était une fois un village qui avait un cimetière,

 

et le gardien était un homme bon

 

Les villageois le haïssaient parce qu’à leur société

 

il préférait celle des morts

 

Je lui ai rendu visite une fois et nous avons marché dans les allées de ce 

 

cimetière

 

« Regarde », disait-il, « ces deux que vous voyez là,

 

ne se sont jamais entendus ; celui-là

 

a ruiné celui-ci en provoquant un incendie

 

Et cependant la victime, il y a désormais très longtemps,

 

m’a raconté qu’une fois morte elle a parlé sans rancœur avec son assassin :

 

si la vie ne les avait pas aveuglés, m’a-t-il dit,

 

ils auraient pu être de bons amis

 

Moi, tant qu’ils sont vivants, je ne les aime pas,

 

Mais quand ils arrivent ici, ils deviennent tous bons. »

 

C‘est pourquoi vous qui en ce moment

 

être peut-être en train de mourir,

 

ne soyez pas tourmentés et n’ayez pas peur

 

La vie n’est pas une aimable caresse ; la vie

 

ne vous a jamais fait de caresses / Ne vous trompez pas sur la vie

 

Ne vous tromper pas non plus sur la Mort

 

Elle ne gît pas

 

verte et défigurée sur un lit

 

Personne ne peut l’humilier / Elle est sacrée

 

Elle n’est ni dans les hypothermies ni dans les blouses

 

Elle n’est pas enfermée dans une chambre

 

avec un ou de nombreux lits

 

Elle est partout et nulle part

 

comme la lumière la nuit le son le silence

 

Dehors, dans l’air libre, qui est à tous

 

et qui n’est à personne, Elle ne se traîne pas lourdement

 

ne se dérobe pas aux regards ne se cache pas

 

Légère, elle se promène et flotte

 

Elle est la sœur de la vie

 

Dans le bourgeon qui vient de s’ouvrir

 

elle est déjà là, comme dans tout ce qui est beau

 

et donne de la joie, et sa forme n’est pas

 

une forme insidieuse ou clandestine, mais ostensible et claire

 

pour qui veut la voir, comme la forme manifeste

 

d’un sourire

 

Vous pouvez la prendre par la main lui lisser les cheveux

 

Elle vous atteindra en vous laissant le temps

 

Jusqu’à ce que vous soyez prêts

 

Elle ne se montrera jamais cruelle avec vous          Elle ne vous donnera pas

 

d’amour auquel vous auriez à répondre

 

comme celui que les vivants vous ont donné                          Elle ne désire 

 

rien

 

reprocher             Pas davantage

 

Elle ne vous demandera de faire ou d’être

 

rien de particulier               Elle ne veut rien exiger de vous

 

Elle n’a besoin

 

de rien pour vous aimer et vous abriter          Pour sa protection

 

elle ne met pas de condition                           Elle

 

ne se plaint pas   ni ouvertement

 

ni sournoisement               ni amère ou insatisfaite

 

comme si jamais rien de ce que vous seriez ou feriez   

 

pouvait lui suffire              C’est la vie qui agit ainsi

 

C’est la vie qui vous tue pas la Mort                          La Mort ne fait que

 

vous consoler et vous accueillir     Elle n’est

 

jamais insatisfaite et ne réclame rien            Jamais vous ne La

 

verrez mécontente

 

Si vous avez les ongles sales ou mal mise

 

la cravate si la couleur de votre rimel est choquante

 

ou si votre chemise est tachée

 

de café cela Lui importe peu très peu            Pour Elle

 

tout est absolument parfait optimal                              pour Elle

 

tout cela n’a pas la moindre importance

 

Elle n’y pense même pas

 

Elle voit plus profond Elle voit plus loin

 

Elle ne vous dira pas qu’elle est autre

 

que ce qu’elle est                 Elle ne vous demandera pas d’être

 

ce que vous n’êtes pas ou que vous soyez un jour

 

ceci ou cela           Elle ne le fera pas ouvertement

 

ou sournoisement              pour Elle tel que vous êtes

 

vous êtes déjà parfaits

 

Elle voit plus profond

 

Soyez tranquille abandonnez la peur            cessez de vous

 

Agiter      de vous vendre de vous efforcer

 

de corrompre                        vous n’avez pas besoin de le faire     

          

Elle voit plus loin

 

 

                                   (Dark zone et autres poèmes)

 

 

Traduit de l’espagnol

 

Revue « Conséquence #3 », 2019

De la même autrice :

 

Icare (10/02/2020)

 

Argos (11/02/2022)

 

Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse (11/02/2023)

 

Ce qui ne fut pas dit (12/02/2024)

 

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