Montserrat Álvarez (1969 -) : Elle voit plus loin
Elle voit plus loin
A vous, vous qui allez mourir et avez peur,
n’ayez crainte
la Mort n’est pas maladie, douleur ou corruption
la Mort est la sœur jumelle de la vie
elle ne gît pas sur une civière d’hôpital
elle n’a ni cathétaire ni aiguilles dans les veines
La Mort est sacrée
Nul médecin ou vivant ne peut
la profaner ou la comprendre
La Mort est plus haute
La mort vous a toujours eu près de son cœur, et quand elle vient
avec douceur elle vous charme, comme l’enfant
à l’heure du coucher et sa mère
lui murmure doucement à l’oreille une berceuse
Vous ne serez pas seuls à l’heure de la Mort
Vous serez loin d’être seuls
parce que tandis que dans le monde vous vous agitiez
vous serez moins seuls
parce que vous n’aurez plus d’ennemis
personne ne laisse d’ennemis quand il meurt vous ne ressentirez plus la haine
nulle ambition ne vous tourmentera aucun appétit n’aurez
vous ne serez plus insatisfaits il n’y aura plus de mal
dans vos cœurs vous ne craindrez rien
sauf la Mort et quand vous comprendrez
qu’elle n’est ni indignité ni honte mais absolution
et qu’en Elle se résolvent
les trahisons et offenses de la vie
vous verrez alors aussi que la vie
n’était pas le printemps qui fait fondre les glaces le velours
vert les oiseaux dorés du printemps
mais une étroite petite ceinture asphyxiante
tel le maillon d’une chaîne
La vie vous a séduits
flattant vos appétits promettant des cadeaux
à vos égoïsmes
La Mort ne flatte personne et ne promet pas
mais le bien que vous avez fait elle ne vous le prend pas
La Mort vous accorde
votre bonne mémoire
du mal que vous avez fait elle vous absout
N’ayez pas peur de la Mort
Quand elle sera légère à votre porte
laissez- là vous guider courtoisement
à votre centre secret de gravité
là où vous retirerez pour congédier le monde
Elle ne rira pas de votre peur
Elle comprend tout
laissez-la vous guider courtoisement à l’endroit
jusqu’à la moelle où vous êtes vous réellement
où vous n’êtes pas ce que vous avez toujours pensés être où vous êtes
sans tous ces masques de l’Être masques qui divisent
et confrontent les hommes
En-dessous et en son fond dans son centre caché
il y a ce qui vous fait être comme tout homme
La racine et le sens de la fraternité / Le lieu
où en réalité vous n’avez jamais été mauvais
Il était une fois un village qui avait un cimetière,
et le gardien était un homme bon
Les villageois le haïssaient parce qu’à leur société
il préférait celle des morts
Je lui ai rendu visite une fois et nous avons marché dans les allées de ce cimetière
« Regarde », disait-il, « ces deux que vous voyez là,
ne se sont jamais entendus ; celui-là
a ruiné celui-ci en provoquant un incendie
Et cependant la victime, il y a désormais très longtemps,
m’a raconté qu’une fois morte elle a parlé sans rancœur avec son assassin :
si la vie ne les avait pas aveuglés, m’a-t-il dit,
ils auraient pu être de bons amis
Moi, tant qu’ils sont vivants, je ne les aime pas,
Mais quand ils arrivent ici, ils deviennent tous bons. »
C‘est pourquoi vous qui en ce moment
être peut-être en train de mourir,
ne soyez pas tourmentés et n’ayez pas peur
La vie n’est pas une aimable caresse ; la vie
ne vous a jamais fait de caresses / Ne vous trompez pas sur la vie
Ne vous tromper pas non plus sur la Mort
Elle ne gît pas
verte et défigurée sur un lit
Personne ne peut l’humilier / Elle est sacrée
Elle n’est ni dans les hypothermies ni dans les blouses
Elle n’est pas enfermée dans une chambre
avec un ou de nombreux lits
Elle est partout et nulle part
comme la lumière la nuit le son le silence
Dehors, dans l’air libre, qui est à tous
et qui n’est à personne, Elle ne se traîne pas lourdement
ne se dérobe pas aux regards ne se cache pas
Légère, elle se promène et flotte
Elle est la sœur de la vie
Dans le bourgeon qui vient de s’ouvrir
elle est déjà là, comme dans tout ce qui est beau
et donne de la joie, et sa forme n’est pas
une forme insidieuse ou clandestine, mais ostensible et claire
pour qui veut la voir, comme la forme manifeste
d’un sourire
Vous pouvez la prendre par la main lui lisser les cheveux
Elle vous atteindra en vous laissant le temps
Jusqu’à ce que vous soyez prêts
Elle ne se montrera jamais cruelle avec vous Elle ne vous donnera pas
d’amour auquel vous auriez à répondre
comme celui que les vivants vous ont donné Elle ne désire rien
reprocher Pas davantage
Elle ne vous demandera de faire ou d’être
rien de particulier Elle ne veut rien exiger de vous
Elle n’a besoin
de rien pour vous aimer et vous abriter Pour sa protection
elle ne met pas de condition Elle
ne se plaint pas ni ouvertement
ni sournoisement ni amère ou insatisfaite
comme si jamais rien de ce que vous seriez ou feriez
pouvait lui suffire C’est la vie qui agit ainsi
C’est la vie qui vous tue pas la Mort La Mort ne fait que
vous consoler et vous accueillir Elle n’est
jamais insatisfaite et ne réclame rien Jamais vous ne La
verrez mécontente
Si vous avez les ongles sales ou mal mise
la cravate si la couleur de votre rimel est choquante
ou si votre chemise est tachée
de café cela Lui importe peu très peu Pour Elle
tout est absolument parfait optimal pour Elle
tout cela n’a pas la moindre importance
Elle n’y pense même pas
Elle voit plus profond Elle voit plus loin
Elle ne vous dira pas qu’elle est autre
que ce qu’elle est Elle ne vous demandera pas d’être
ce que vous n’êtes pas ou que vous soyez un jour
ceci ou cela Elle ne le fera pas ouvertement
ou sournoisement pour Elle tel que vous êtes
vous êtes déjà parfaits
Elle voit plus profond
Soyez tranquille abandonnez la peur cessez de vous
Agiter de vous vendre de vous efforcer
de corrompre vous n’avez pas besoin de le faire
Elle voit plus loin
(Dark zone et autres poèmes)
Traduit de l’espagnol
Revue « Conséquence #3 », 2019
De la même autrice :
Icare (10/02/2020)
Argos (11/02/2022)
Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse (11/02/2023)
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