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Le bar à poèmes
10 février 2021

Octavio Paz (1914 - 1998) : Mise au net / Pasado en claro

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Mise au net

                                                                                                           

                                                                                                                Fair seed-time bad my soul, and I grew up

                                                                                                               Foster’d alike by beauty and by fear ...

                                                                                                            

                                                                                                                       W.W., The Prelude (I, 265-266)

 

Entendus avec l’âme

des pas de l’esprit plutôt qu’ombres,

et ombres de la pensée plutôt que pas,

le long d’un chemin d’échos

que la mémoire invente, puis efface :

sans marcher, ils marchent

sur ce maintenant, pont

tendu entre une lettre et l’autre.

Comme bruine sur braises,

au fond de moi les pas s’avancent

vers des lieux qui soudain deviennent de l’air.

Noms : ils s’arrêtent,

et disparaissent, entre deux mots.

Le soleil chemine sur les décombres

de mes dires, le soleil rase les sites,

à peine ont-ils confusément

émergé de l’aube de cette page

le soleil ouvre mon front,

                                            balcon sur l’abîme

intérieur.

 

                    Je m’éloigne de moi-même,

à la suite de cette phrase titubante,

sentier de pierres et de chèvres.

Les mots luisent dans l’ombre.

Et la noire marée des syllabes

couvre le papier, elle enterre

leurs racines d’encre

dans le sous-sol du langage.

Hors de mon front, je sors dans un midi

à la dimension du temps.

Les siècles de l’assaut du banyan

contre la patience verticale du mur

sont moins longs que cette bifurcation

instantanée de la pensée

entre le pressenti et le perçu.

Ni ici ni là : par cette marge

de doute, où seuls circulent

mirages et lueurs,

où le langage se dédit,

je vais à la rencontre de moi-même.

L’heure est boule de cristal.

J’entre dans un patio abandonné :

apparition d’un frêne.

Vertes exclamations

du vent dans les branches.

De l’autre côté : le vide.

Cour inachevée, que menacent

l’écriture et ses incertitudes.

J’erre parmi les images d’un œil

sans mémoire. Je suis l’une de ses images.

Le frêne, sinueuse flamme liquide,

est une rumeur qui s’élève

jusqu’à devenir tour parlante.

Jardin déjà maquis : une fièvre y invente des bêtes

que bientôt répètent les mythologies.

Pisé, chaux et durée :

les murs bruns entre être et non-être.

Minuscules prodiges de leurs lézardes :

le champignon fantôme, Mithridate végétal,

le lézard et ses exhalaisons.

Je suis à l’intérieur de l’œil : le puits

où, depuis le commencement, tombe un enfant,

le puits où je compte et raconte

le temps que je mets à tomber depuis le commencement,

le puits du compte de mon conte

par où l’eau monte et par où descend

mon ombre.

 

                    Le patio, le mur, le frêne, le puits

dans une clarté en forme de lagune

s’évanouissent. Sur ses bords croît

une végétation de transparences.

Rime heureuse de cimes et d’édifices,

le paysage se dédouble dans l’abstrait

miroir de l’architecture.

A peine dessinée,

sorte de virgule horizontale (-)

entre ciel et terre

une pirogue solitaire.

Les vagues parlent nahua.

Un signe en volant traverse les hauteurs.

Peut-être une date, rencontre de destins :

une botte de roseaux, annonce du brasier.

Le silex, la croix, ces clés de sang,

ont-elles ouvert une fois les portes de la mort ?

La lumière du couchant s’attarde,

sur le tapis elle élève des incendies symétriques,

elle change en flamme fabuleuse

le volume écarlate que je feuillette

(estampes : volcans, temples aztèques

et, manteau de plumes sur l’eau étalé,

Tenochtitlán tout imbibé de sang).

Les livres de l’étagère ne sont plus que tisons

que le soleil embrase de ses mains rouges.

Mon crayon se refuse à obéir à la dictée.

Dans l’écriture qui le nomme

l’étang se dissipe.

Je plie la feuille. Chuchotements :

on m’épie entre le feuillage

des lettres.

 

                    Ma mémoire : une mare

Miroir boueux : où étais-je ?

Sans pitié ni colère, mes yeux

me regardent dans les yeux

depuis les eaux troubles de la mare

que convoquent maintenant mes mots.

Je ne vois pas avec les yeux. Les mots

sont mes yeux. Nous vivons parmi les noms ;

ce qui n’a pas de nom n’existe pas

encore : Adam de boue,

non pas un pantin d’argile, mais une métaphore.

Voir le monde est l’épeler.

Miroir de mots : où étais-je ?

Mes mots me regardent depuis la flaque

de ma mémoire. Brillent,

entre ramures de reflets,

nuées échouées et bulles,

sur un fond qui va de l’ocre au pourpre,

les syllabes d’eau.

Vibrations d’ombres, de moires, d’échos,

écriture non de signes : de rumeurs.

Mes yeux ont soif. La mare m’enseigne le stoïcisme.

L’eau, bien que potable, ne se boit pas : elle se lit.

Au soleil des hauts plateaux, les mares se dessèchent.

Subsiste une perfide poussière ;

et quelques vestiges en déshérence.

Où étais-je ?

 

                    Je suis où je fus.

Entre les murs indécis

du même patio verbal.

Abd al-Rahman, Pompée, Xicoténcatl,

batailles sur l’Oxus ou sur le mur

avec Ernesto et Guillermo. L’arbre mille-feuille,

sculpture vert sombre du murmure,

cage du soleil et l’étincelle

brève du colibri : le figuier primordial,

chapelle végétale de rituels

polymorphes, disparates, pervers.

Révélations, abominations :

le corps et ses langages

entretissés, nœud de fantômes

que palpe la pensée,

que le toucher dissout,

carcan du sang, idée fixe,

clouée dans mon front.

Le désir est seigneur de spectres,

le désir nous change en spectres :

Nous sommes plantes grimpantes de l’air

sur des arbres de vent, 

manteau de flammes inventé

et dévoré par la flamme.

La fente du tronc :

sexe, sceau, passage reptilien

fermé au soleil et à mes regards,

ouvert aux fourmis.

 

La femme fut portique

de l’au-delà du perçu et du pensé :

là, au-dedans, vertes sont les marées,

le sang est vert, vert le feu,

entre les herbes noires, brûlent des étoiles vertes :

c’est la musique verte des élytres

dans la nuit originelle du figuier ;

- là, au-dedans, les extrémités des doigts sont des yeux,

le toucher voit, les regards palpent,

les yeux entendent les odeurs ;

- là, le dedans est le dehors,

c’est partout et c’est nulle part,

les choses sont les mêmes et sont autres,

dans la geôle d’un icosaèdre,

il y a un insecte tisseur de musique,

et un autre qui démaille

les syllogismes que tisse l’araignée

suspendue aux fils de la lune ;

- là, au-dedans, l’espace

est une main ouverte et un front

qui ne pense pas des idées, mais des formes

qui respirent, cheminent, parlent, changent,

et qui silencieusement s’évaporent ;

- là, au-dedans, pays d’échos entretissés,

se précipite la lumière, lente cascade,

entre les lèvres des crevasses,

la lumière est eau, l’eau temps diaphane

où les yeux lavent leurs images ;

- là, au-dedans, les câbles du désir

miment des éternités d’une seconde

que l’électricité mentale

allume, éteint, allume,

résurrections flamboyantes

de l’alphabet calciné ;

- il n’y pas d’école là-bas, au-dedans,

c’est toujours le même jour, la même nuit toujours,

le temps n’est pas encore inventé,

le soleil n’a pas vieilli,

cette neige est identique à l’herbe,

toujours et jamais sont la même chose,

il n’a jamais plu et il ne cesse de pleuvoir,

tout est en train d’être et n’a jamais été,

peuple sans nom des sensations,

noms qui cherchent un corps,

transparences impies,

cages de clarté où s’annulent

l’identité entre ses ressemblances,

la différence dans les contradictions.

Le figuier, ses mensonges et sa sagesse,

prodiges de la terre

 - dignes de foi, exacts, redondants, -

et la conversation avec les spectres.

Apprentissages avec le figuier :

parler avec vivants et morts.

Parler aussi avec soi-même.

 

                                             Le cortège de l’année

changements qui sont répétitions.

Le pas des heures et leur poids.

L’aube plus que lumière, haleine

de clarté muée en gouttes enceintes

sur les vitres et sur les feuilles :

le monde s’amincit

en d’oscillantes géométries

jusqu’à devenir le bord d’un reflet.

Le jour jaillit, il fuse entre les feuilles,

il tourne sur soi-même

et de la vacance où il se jette,

il émerge, de nouveau incarné.

Le temps est lumière filtrée.

Le fruit noir crève

en efflorescence pourpre ;

la branche brisée laisse sourdre une sève âcre et laiteuse.

Métamorphoses du figuier :

si l’automne le brûle, sa lumière le transfigure.

Dans les espaces limpides

il s’élève vierge noire décharnée.

Le ciel est lapis-lazuli giratoire :

dont les continents tournent au ralenti,

géographies immatérielles.

Flammes parmi la neige des nuages.

Le soir de plus en plus de miel brûlé.

Ecroulements silencieux d’horizons :

la lumière se précipite  des cimes,

l’obscurité se répand sur la plaine.

 

A la lumière de la lampe – déjà

la nuit est maîtresse de la demeure et le fantôme

de mon grand-père déjà le maître de la nuit –

je m’enfonçais dans le silence,

corps sans corps, temps

sans heures, chaque nuit,

machines transparentes du délire,

en moi les livres échafaudaient

des architectures sur l’abîme édifiées.

Un souffle de l’esprit les dresse,

un battement de paupières les efface.

J’ai ramassé le bois avec les autres,

j’ai pleuré de la fumée du bûcher

du dompteur de chevaux,

j’ai erré dans la végétation flottante

qu’entraîne le vert trouble du Tage :

l’épaisseur liquide s’enflait

derrière la fugitive Galatée ;

j’ai vu les âmes pressées en grappes

pour boire le sang dans la rigole :

Mieux vaut briser les mottes de terre

pour la pitance du chien que vous donne le paysan avare

que commander aux peuples livides des morts ;

j’ai eu soif, j’ai vu des démons dans le Gobi,

j’ai nagé dans la grotte avec la sirène

(ensuite, dans le rêve cathartique,

fendendo i drappi, e mostravami ’l ventre,

q0uel mi svegliò col puzzo che n’uscia) ;

j’ai gravé sur ma tombe imaginaire :

ne soulève pas cette dalle

je ne suis riche que d’os ;

ces mémorables

poires tachetées rencontrées

dans le panier verbal de Villaurrutia ; 

Carlos Garrote, éternel demi-frère,

Dieu te sauve, me dit-il en me renversant

et j’étais, dans les miroirs d’une insomnie

répétée, moi-même celui qui me blessais ;

Isis et l’âne Lucius, le poulpe et Nemo ;

et les livres marqués au armes de Priape,

lus aux soirs de grandes pluies

le corps tendu, le regard intense.

Noms à l’ancre dans le golfe

de mon front : j’écris parce que le druide ,

sous la rumeur des syllabes de l’hymne,

yeuse fortement plantée sur la page,

me donna la touffe de gui, le talisman

qui fait jaillir les eaux du rocher.

Les mots accumulent leurs images.

Les images accumulent leurs vaporeuses,

leurs conjecturales confédérations.

Nuées et nuées, galop fantastique

des nuées sur les crêtes

de ma mémoire. Adolescence,

pays de nuées.

 

                    Vaste demeure,

échouée dans un temps

immobilisé. La place, les arbres immenses

où nichait le soleil, l’église naine

- le clocher leur venait aux genoux,

mais sa double langue de métal

savait réveiller les morts.

Sous les arcades, en faisceaux militaires

les cannes, lances vertes,

fusils de sucre ;

sous le portail, l’échoppe magenta

fraîcheur d’eau dans la pénombre,

les nattes ancestrales, lumière tressée,

et sur le zinc de comptoir,

de minuscules planètes détachées

de l’arbre méridien

les prunes jaunes, les mandarines,

amas dorés de douceur.

Les années tournent sur la place,

roue de sainte Catherine,

et elles ne bougent pas.

 

                                        Mes mots,

à parler de la maison, se lézardent.

Chambres et chambres habitées

seulement par leurs fantômes,

seulement par le ressentiment des vieilles gens

habitées. Familles,

élevages de scorpions :

comme aux chiens on donne avec la pâtée

du verre pilé, elles nous alimentent de leurs rancunes

et de la douteuse ambition de devenir quelqu’un.

Elles me donnèrent aussi du pain et aussi du temps,

clairières dans les recoins des jours,

havres pour être seul avec moi.

Enfant parmi les adultes taciturnes

et leurs terribles enfantillages,

enfant parmi les corridors à hautes portes

chambres à portraits,

confréries crépusculaires des absents,

enfant survivant

des miroirs sans mémoire

et de leur peuple de vent :

le temps et ses incarnations

s’achevant en simulacres de reflets.

Chez nous, les morts étaient plus nombreux que les vivants.

Ma mère, enfant de mille ans,

mère du monde, orpheline de moi,

dévouée, féroce, obtuse,  prudente,

mésange, chienne, fourmi, laie,

lettre d’amour avec des fautes de langue,

ma mère, pain que je coupais

avec son propre couteau, chaque jour.

Les frênes, sous la pluie,

m’enseignèrent la patience

à chanter face au vent véhément.

Vierge somniloquente, une tante

m’apprit à voir les yeux fermés,

à voir à l’intérieur et à travers du mur.

Mon grand-père à sourire dans l’échec

et à répéter dans le malheur : contre mauvaise fortune, bon cœur.

(Ce que je dis là est terre

sur ton nom répandue : qu’elle te soit légère.)

Entre vomir et boire,

attaché au chevalet de l’alcool,

mon père allait et venait parmi les flammes.

Sur les traverses et les rails

d’une gare de mouches et de poussière,

un soir nous réunîmes ses morceaux.

Je n’ai jamais pu parler avec lui.

Aujourd’hui, je le rencontre en songe,

cette nébuleuse patrie des morts.

Nous parlons toujours d’autres choses.

Pendant que la maison tombait en ruines

Je grandissais. Je fus (je suis) herbe, broussailles,

parmi d’anonymes décombres.

                                                  Jours

comme un front dégagé, comme un livre ouvert.

Je ne fus pas multiplié par les miroirs

envieux qui transforment

en choses les hommes, en nombre les choses :

ni commandement ni profit. Non plus la sainteté :

le ciel fut bientôt pour moi un ciel

désert, une splendeur creuse

et adorable. Présence suffisante,

changeante : le temps et ses épiphanies.

Dieu ne me parla pas à travers les nuées ;

entre les feuilles du figuier

le corps me parla, les corps de mon corps.

Incarnations d’un instant :

soir lavé par la pluie

lumière qui vient de sortir de l’eau,

l’haleine femelle des plantes,

peau à ma peau collée : succube !

- comme si à la fin le temp coïncidait

avec lui-même et moi avec lui,

comme si le temps et ses deux temps

étaient un seul temps

qui déjà ne serait plus durée, un temps

où c’est toujours maintenant et à chaque heure toujours,

comme si moi et mon double étaient un

et que moi, déjà, je n’étais plus.

Grenade de l’heure : j’ai bu le soleil, j’ai mangé le temps.

Des doigts de lumière ouvraient les feuillages.

Vrombissement d’abeilles dans mon sang :

l’avènement blanc.

La décharge me projeta

sur la rive la plus solitaire. Je fus un étranger

entre les vastes ruines du soir.

Vierge abstrait : j’ai parlé avec moi,

je fus dédoublé, le temps se brisa.

 

Stupéfaite à la cime de l’instant,

la chair se fait verbe – et le verbe se précipite.

Se savoir banni sur terre, étant soi-même terre,

c’est se savoir mortel. Secret archiconnu

et aussi secret vide, sans rien à l’intérieur.

Les morts n’existent pas, seulement la mort, notre mère.

L’Aztèque le savait, le Grec le pressentait :

l’eau est feu et pendant le parcours

nous autres ne sommes que feu de paille.

La mort est la mère des formes...

Le son, bâton d’aveugle du sens :

j’écris la mort et je vis en elle

un instant. J’habite ce son :

cube pneumatique transparent,

il vibre sur cette page,

disparaît dans ses échos.

Paysages de mots :

mes yeux les dépeuplent rien qu’à les lire.

Peu importe : mes oreilles les propagent.

Ils resurgissent là-bas, dans les zones indécises

du langage, villages lacustres.

Ce sont des créatures amphibies, ce sont des mots.

Ils passent d’un élément à un autre,

Ils se baignent dans le feu, reposent dans l’air.

Ils sont de l’autre côté. Je ne les entends pas : que disent-ils ?

Ils ne disent rien : ils parlent, parlent.

 

                                             Je saute d’un récit à un autre

sur un pont suspendu de onze syllabes.

Un corps vivant, bien qu’impalpable, l’air,

en chaque endroit toujours et nulle part.

Il dort les yeux ouverts,

 se couche dans l’herbe et s’éveille rosée,

se poursuit lui-même et parle seul dans les tunnels,

il est vrille qui perfore les montagnes,

nageur dans la mer démontée du feu,

il est invisible source de plaintes,

il lève à bout de bras deux océans,

il avance perdue dans les rues,

mot en peine à la recherche d’un sens,

air qui se dissipe en air.

Pourquoi dire toutes ces choses ?

Pour dire qu’en plein midi

l’air se peuplait de fantômes,

soleil monnayé en ailes d’or,

pièces impondérables, papillons.

Crépuscule. Sur la terrasse

officiait la lune, imposant le silence.

La Tête de mort, messagère

des âmes, la fascinante fascinée

par les camélias et la lumière électrique,

au-dessus de nos têtes apportait un battement d’ailes

de malédictions opaques. Tue-la !

criaient les femmes

et elles la brûlaient comme une sorcière.

Ensuite, avec un sourire féroce, elles se signaient.

Lumière répandue, Psyché...

 

                                               Est-il des messages ? Oui

corps tatoué de signes,

tel est l’espace, l’air un invisible 

tissu d’appels et de réponses.

Animaux et choses deviennent langages,

au travers de nous l’univers s’entretient

avec lui-même. Nous sommes un fragment,

 - accompli dans son inaccomplissement –

de son discours. Solipsisme

cohérent et vide :

depuis le début du début

que dit-il ? il dit qu’il nous parle.

Il se le dit à soi-même. Oh madness of discourse,

That cause sets up with and again itself !

 

De la cime de l’instant

précipité dans le soir de plantes phanérogames,

la mort me découvrit.

Moi dans la mort je découvris le langage.

L’univers parle seul,

mais les hommes parlent avec les hommes :

il y a l’histoire. Guillermo, Alfonso, Emilio ;

l’enclos des jeux était l’histoire

et c’était l’histoire que jouer à mourir ensemble.

Le nuage de poussière, le cri, la chute :

galimatias, non discours.

Dans le va-et-vient sans but des choses,

entraînées par les révolutions

des formes et des temps,

chacune combat contre les autres,

chacune se dresse, aveugle, contre elle-même.

Ainsi, lorsque arrive l’heure où le mouvement

change de sens, elles paient leurs empiètements. (Anaximandre.)

L’injustice d’être : les choses souffrent

à cause des autres ou à cause d’elles-mêmes

pour être un vouloir plus, toujours plus que plus.

Être temps est le verdict, notre châtiment l’histoire.

Mais c’est aussi le lieu de l’épreuve :

reconnaître dans le brouillon sanglant

du linge de Véronique le visage

de l’autre – l’autre est toujours notre victime.

Tunnels, galeries de l’histoire,

la mort est-elle la seule porte de sortie ?

l’issue est peut-être vers le dedans.

Purge du langage, l’histoire se consume

dans la disparition des pronoms :

ni moi je suis ni moi qui me veux moi plus encore,

mais d’avantage d’être sans moi.

Au centre du temps, il n’y a plus de temps

mais mouvement devenu fixité, cercle

annulé par ses révolutions.

 

                                             Midi :

flammes vertes les arbres de la cour.

Ultimes braises crépitant

dans l’herbe : insectes obstinés.

Dans les prés jaunis,

clartés, les pas de verre de l’automne.

Une association fortuite de reflets,

oiseau éphémère

entre par la frondaison de ces lettres.

Le soleil, dans mon écriture, boit de l’ombre

Entre des murs – de pierre, non :

levés par la mémoire –

un transitoire rideau d’arbres :

une lumière reflétée entre les troncs

et la respiration du vent.

Le dieu sans corps, le dieu sans nom

que nous appelons de noms

vides – avec les noms du vide -,

le dieu du temps, le dieu qui est temps

passe dans la ramure

que j’écris. Dispersion de nuages

sur un miroir indifférent :

dans l’effacement des images

déjà l’âme est là, vacante, esprit pur.

En sérénité s’achève le mouvement.

Le soleil insiste, il se plante

dans la corolle de l’heure stupéfaite.

Flamme sur la tige d’eau

des morts qui la désignent,

la fleur est un autre soleil.

La quiétude en elle-même

se dissout. Le temps s’écoule

sans s’écouler. Il passe et demeure. Peut-être,

bien que tous nous passions, il ne passe ni ne demeure

il existe un troisième état.

 

Il existe un troisième terme :

l’être sans être, la plénitude vide,

l’heure sans heures et les autres noms

où apparaît et se disperse

dans les confidences du langage

non pas la présence : son pressentiment.

Les noms qui la nomment disent : néant,

mot à double tranchant, mot entre deux vides.

Sa demeure, édifiée sur de l’air

avec des briques de feu et des parois d’eau

se fait et se défait et c’est la même

depuis le début ; c’est dieu :

il habite des noms qui le nient.

Dans les conversations avec le figuier

ou dans les blancs du discours,

dans la conspiration des images

contre mes paupières fermées,

la démence des symétries,

les fondrières de l’insomnie,

le douteux jardin de la mémoire,

ou les sentiers extravagants,

c’était l’éclipse des clartés.

Elle apparaissait en tout mode

d’effacement.

 

                    Dieu sans corps,

avec des langages corporels le nommaient

mes sens. J’ai voulu le nommer

d’un nom solaire,

d’un nom sans envers.

J’ai fatigué le cornet à dés et l’ars combinatoria.

Un hocher de graines sèches,

les lettres brisées des noms :

nous avons rompu les noms,

nous avons dispersé les noms,

nous avons déshonoré les noms.

Depuis lors, me voici à la recherche du nom.

J’ai suivi une rumeur de langages,

fleuves parmi la pierraille

color ferrigno de ces temps.

Pyramides d’os, pourrissoirs de mots :

nos maîtres sont bavards et féroces.

J’ai dressé avec les mots et leurs ombres

une maison mobile de reflets,

tour ambulante, édifice de vent.

Le temps et ses substitutions :

les années et les morts et les syllabes,

contes différents du même compte.

Spirale des échos, le poème

est air qui se sculpte et se dissipe,

allégorie fugace des noms

véritables. Parfois, la page respire :

les essaims de signes, les républiques

errantes de sons et de sens,

en une rotation magnétique s’enlacent et se dispersent

sur le papier.

 

                    Je suis où je fus :

je vais derrière le murmure,

pas au-dedans de moi, entendus avec les yeux,

le murmure est mental, les pas sont moi-même,

j’entends les voix que je pense,

les voix qui me pensent quand je les pense.

Je suis l’ombre que projettent mes mots.

 

                                                       Mexico et Cambridge, Mass.,

du 9 septembre au 27 décembre1974

 

Traduit de l’espagnol par Roger Caillois

in, Octavio Paz : "Oeuvre"

Editions Gallimard (La Pléiade), 2008

Du même auteur :

L’avant du commencement /Antes del Comienzo (17/01/2015)

Pierres de soleil / Piedra de sol (17/02/2016)

Hymne parmi les ruines / Himno entre ruinas (10/02/2017)

Source (10/02/2018)

« Même si la neige tombe... » (10/02/2019)

Elégie ininterrompue / Elegía interrumpida (10/02/2020)

Le temps même / El mismo tiempo (10/02/2022)

La vie tout simplement / La vida sencilla (10/02/2023)

Réponse et réconciliation / Respuesta y reconciliación (12/02/2024)

 

 

Pasado en claro

 

Oídos con el alma,

pasos mentales más que sombras,

sombras del pensamiento más que pasos,

por el camino de ecos

que la memoria inventa y borra:

sin caminar caminan

sobre este ahora, puente

tendido entre una letra y otra.

Como llovizna sobre brasas

dentro de mí los pasos pasan

hacia lugares que se vuelven aire.

Nombres: en una pausa

desaparecen, entre dos palabras.

El sol camina sobre los escombros

de lo que digo, el sol arrasa los parajes

confusamente apenas

amaneciendo en esta página,

                                        balcón al voladero
dentro de mí.

 

                            Me alejo de mí mismo,

sigo los titubeos de esta frase,

senda de piedras y de cabras.

Relumbran las palabras en la sombra.

Y la negra marea de las sílabas

cubre el papel y entierra

sus raíces de tinta

en el subsuelo del lenguaje.

Desde mi frente salgo a un mediodía

del tamaño del tiempo.

El asalto de siglos del baniano

contra la vertical paciencia de la tapia

es menos largo que esta momentánea

bifurcación del pesamiento

entre lo presentido y lo sentido.

Ni allá ni aquí: por esa linde

 

de duda, transitada

sólo por espejeos y vislumbres,

donde el lenguaje se desdice,

voy al encuentro de mí mismo.

La hora es bola de cristal.

Entro en un patio abandonado:

aparición de un fresno.

Verdes exclamaciones

del viento entre las ramas.

Del otro lado está el vacío.

Patio inconcluso, amenazado

por la escritura y sus incertidumbres.

Ando entre las imágenes de un ojo

desmemoriado. Soy una de sus imágenes.

El fresno, sinuosa llama líquida,

es un rumor que se levanta

hasta volverse torre hablante.

Jardín ya matorral: su fiebre inventa bichos

que luego copian las mitologías.

Adobes, cal y tiempo:

entre ser y no ser los pardos muros.

Infinitesimales prodigios en sus grietas:

el hongo duende, vegetal Mitrídates,

la lagartija y sus exhalaciones.

Estoy dentro del ojo: el pozo

donde desde el principio un niño

está cayendo, el pozo donde cuento

lo que tardo en caer desde el principio,

el pozo de la cuenta de mi cuento

por donde sube el agua y baja

mi sombra.

 

                        El patio, el muro, el fresno, el pozo

en una claridad en forma de laguna

se desvanecen. Crece en sus orillas

una vegetación de transparencias.

Rima feliz de montes y edificios,

se desdobla el paisaje en el abstracto

espejo de la arquitectura.

Apenas dibujada,

suerte de coma horizontal (-)

entre el cielo y la tierra,

una piragua solitaria.

Las olas hablan nahua.

Cruza un signo volante las alturas.

Tal vez es una fecha, conjunción de destinos:

el haz de cañas, prefiguración del brasero.

El pedernal, la cruz, esas llaves de sangre

¿alguna vez abrieron las puertas de la muerte?

La luz poniente se demora,

alza sobre la alfombra simétricos incendios,

vuelve llama quimérica

este volumen lacre que hojeo

(estampas: los volcanes, los cúes y, tendido,

manto de plumas sobre el agua,

Tenochtitlán todo empapado en sangre).

Los libros del estante son ya brasas

que el sol atiza con sus manos rojas.

Se rebela el lápiz a seguir el dictado.

En la escritura que la nombra

se eclipsa la laguna.

Doblo la hoja. Cuchicheos:

me espían entre los follajes

de las letras.

 



                          Un charco es mi memoria.

Lodoso espejo: ¿dónde estuve?

Sin piedad y sin cólera mis ojos

me miran a los ojos

desde las aguas turbias de ese charco

que convocan ahora mis palabras.

No veo con los ojos: las palabras

son mis ojos. vivimos entre nombres;

lo que no tiene nombre todavía

no existe: Adán de lodo,

No un muñeco de barro, una metáfora.

Ver al mundo es deletrearlo.

Espejo de palabras: ¿dónde estuve?

Mis palabras me miran desde el charco

de mi memoria. Brillan,

entre enramadas de reflejos,

nubes varadas y burbujas,

sobre un fondo del ocre al brasilado,

las sílabas de agua.

Ondulación de sombras, visos, ecos,

no escritura de signos: de rumores.

Mis ojos tienen sed. El charco es senequista:

el agua, aunque potable, no se bebe: se lee.

Al sol del altiplano se evaporan los charcos.

Queda un polvo desleal

y unos cuantos vestigios intestados.

¿Dónde estuve?

 



                                  Yo estoy en donde estuve:

entre los muros indecisos

del mismo patio de palabras.

Abderramán, Pompeyo, Xicoténcatl,

batallas en el Oxus o en la barda

con Ernesto y Guillermo. La mil hojas,

verdinegra escultura del murmullo,

jaula del sol y la centella

breve del chupamirto: la higuera primordial,

capilla vegetal de rituales

polimorfos, diversos y perversos.

Revelaciones y abominaciones:

el cuerpo y sus lenguajes

entretejidos, nudo de fantasmas

palpados por el pensamiento

y por el tacto disipados,

argolla de la sangre, idea fija

en mi frente clavada.

El deseo es señor de espectros,

somos enredaderas de aire

en árboles de viento,

manto de llamas inventado

y devorado por la llama.

La hendedura del tronco:

sexo, sello, pasaje serpentino

cerrado al sol y a mis miradas,

abierto a las hormigas.

 

La hendedura fue pórtico

del más allá de lo mirado y lo pensado:

allá dentro son verdes las mareas,

la sangre es verde, el fuego verde,

entre las yerbas negras arden estrellas verdes:

es la música verde de los élitros

en la prístina noche de la higuera;

-allá dentro son ojos las yemas de los dedos,

el tacto mira, palpan las miradas,

los ojos oyen los olores;

-allá dentro es afuera,

es todas partes y ninguna parte,

las cosas son las mismas y son otras,

encarcelado en un icosaedro

hay un insecto tejedor de música

y hay otro insecto que desteje

los silogismos que la araña teje

colgada de los hilos de la luna;

-allá dentro el espacio

en una mano abierta y una frente

que no piensa ideas sino formas

que respiran, caminan, hablan, cambian

y silenciosamente se evaporan;

-allá dentro, país de entretejidos ecos,

se despeña la luz, lenta cascada,

entre los labios de las grietas:

la luz es agua, el agua tiempo diáfano

donde los ojos lavan sus imágenes;

-allá dentro los cables del deseo

fingen eternidades de un segundo

que la mental corriente eléctrica

enciende, apaga, enciende,

resurrecciones llameantes

del alfabeto calcinado;

-no hay escuela allá dentro,

siempre es el mismo día, la misma noche siempre,

no han inventado el tiempo todavía,

no ha envejecido el sol,

esta nieve es idéntica a la yerba,

siempre y nunca es lo mismo,

nunca ha llovido y llueve siempre,

todo está siendo y nunca ha sido,

pueblo sin nombre de las sensaciones,

nombres que buscan cuerpo,

impías transparencias,

jaulas de claridad donde se anulan

la identidad entre sus semejanzas,

la diferencia en sus contradicciones.

La higuera, sus falacias y su sabiduría:

prodigios de la tierra

-fidedignos, puntuales, redundantes-

y la conversación con los espectros.

Aprendizajes con la higuera:

hablar con vivos y con muertos.

También conmigo mismo.

 



                                                    La procesión del año:

cambios que son repeticiones.

El paso de las horas y su peso.

La madrugada: más que luz, un vaho

de claridad cambiada en gotas grávidas

sobre los vidrios y las hojas:

el mundo se atenúa

en esas oscilantes geometrías

hasta volverse el filo de un reflejo.

Brota el día, prorrumpe entre las hojas

gira sobre sí mismo

y de la vacuidad en que se precipita

surge, otra vez corpóreo.

El tiempo es luz filtrada.

Revienta el fruto negro

en encarnada florescencia,

la rota rama escurre savia lechosa y acre.

Metamorfosis de la higuera:

si el otoño la quema, su luz la transfigura.

Por los espacios diáfanos

se eleva descarnada virgen negra.

El cielo es giratorio lapizlázuli:          

viran au ralenti, sus continentes,

insubstanciales geografías.

Llamas entre las nieves de las nubes.

La tarde más y más es miel quemada.

Derrumbe silencioso de horizontes:

la luz se precipita de las cumbres,

la sombra se derrama por el llano.

 


A la luz de la lámpara —la noche

ya dueña de la casa y el fantasma

de mi abuelo ya dueño de la noche-

yo penetraba en el silencio,

cuerpo sin cuerpo, tiempo

sin horas. Cada noche,

máquinas transparentes del delirio,

dentro de mí los libros levantaban

arquitecturas sobre una sima edificadas.

Las alza un soplo del espíritu,

un parpadeo las deshace.

Yo junté leña con los otros

y lloré con el humo de la pira

del domador de potros;

vagué por la arboleda navegante

que arrastra el Tajo turbiamente verde:

la líquida espesura se encrespaba

tras de la fugitiva Galatea;

vi en racimos las sombras agolpadas

para beber la sangre de la zanja:

mejor quebrar terrones

por la ración de perro del labrador avaro

que regir las naciones pálidas de los muertos;

tuve sed, vi demonios en el Gobi;

en la gruta nadé con la sirena

(y después, en el sueño purgativo,

fendendo i drappi, e mostravami’l ventre,

quel mí svegliò col puzzo che n’nuscia);

grabé sobre mi tumba imaginaria:

no muevas esta lápida,

soy rico sólo en huesos;

aquellas memorables

pecosas peras encontradas

en la cesta verbal de Villaurrutia;

Carlos Garrote, eterno medio hermano,

Dios te salve, me dijo al derribarme

y era, por los espejos del insomnio

repetido, yo mismo el que me hería;

Isis y el asno Lucio; el pulpo y Nemo;

y los libros marcados por las armas de Príapo,

leídos en las tardes diluviales

el cuerpo tenso, la mirada intensa.

Nombres anclados en el golfo

de mi frente: yo escribo porque el druida,

bajo el rumor de sílabas del himno,

encina bien plantada en una página,

me dio el gajo de muérdago, el conjuro

que hace brotar palabras de la peña.

Los nombres acumulan sus imágenes.

Las imágenes acumulan sus gaseosas,

conjeturales confederaciones.

Nubes y nubes, fantasmal galope

de las nubes sobre las crestas

de mi memoria. Adolescencia,

país de nubes.

 


                            Casa grande,

encallada en un tiempo

azolvado. La plaza, los árboles enormes

donde anidaba el sol, la iglesia enana

-su torre les llegaba a las rodillas

pero su doble lengua de metal

a los difuntos despertaba.

Bajo la arcada, en garbas militares,

las cañas, lanzas verdes,

carabinas de azúcar;

en el portal, el tendejón magenta:

frescor de agua en penumbra,

ancestrales petates, luz trenzada,

y sobre el zinc del mostrador,

diminutos planetas desprendidos

del árbol meridiano,

los tejocotes y las mandarinas,

amarillos montones de dulzura.

Giran los años en la plaza,

rueda de Santa Catalina,

y no se mueven.

 


                                Mis palabras,

al hablar de la casa, se agrietan.

Cuartos y cuartos, habitados

sólo por sus fantasmas,

sólo por el rencor de los mayores

habitados. Familias,

criaderos de alacranes:

como a los perros dan con la pitanza

vidrio molido, nos alimentan con sus odios

y la ambición dudosa de ser alguien.

También me dieron pan, me dieron tiempo,

claros en los recodos de los días,

remansos para estar solo conmigo.

Niño entre adultos taciturnos

y sus terribles niñerías,

niño por los pasillos de altas puertas,

habitaciones con retratos,

crepusculares cofradías de los ausentes,

niño sobreviviente

de los espejos sin memoria

y su pueblo de viento:

el tiempo y sus encarnaciones

resuelto en simulacros de reflejos.

En mi casa los muertos eran más que los vivos.

Mi madre, niña de mil años,

madre del mundo, huérfana de mí,

abnegada, feroz, obtusa, providente,

jilguera, perra, hormiga, jabalina,

carta de amor con faltas de lenguaje,

mi madre: pan que yo cortaba

con su propio cuchillo cada día.

Los fresnos me enseñaron,

bajo la lluvia, la paciencia,

a cantar cara al viento vehemente.

Virgen somnílocua, una tía

me enseñó a ver con los ojos cerrados,

ver hacia dentro y a través del muro.

Mi abuelo a sonreír en la caída

y a repetir en los desastres: al hecho, pecho.

(Esto que digo es tierra

sobre tu nombre derramada: blanda te sea.)

Del vómito a la sed,

atado al potro del alcohol,

mi padre iba y venía entre las llamas.

Por los durmientes y los rieles

de una estación de moscas y de polvo

una tarde juntamos sus pedazos.

Yo nunca pude hablar con él.

Lo encuentro ahora en sueños,

esa borrosa patria de los muertos.

Hablamos siempre de otras cosas.

Mientras la casa se desmoronaba

yo crecía. Fui (soy) yerba, maleza

entre escombros anónimos.

 



                                                Días

como una frente libre, un libro abierto.

No me multiplicaron los espejos

codiciosos que vuelven

cosas los hombres, número las cosas:

ni mando ni ganancia. La santidad tampoco:

el cielo para mí pronto fue un cielo

deshabitado, una hermosura hueca

y adorable. Presencia suficiente,

cambiante: el tiempo y sus epifanías.

No me habló dios entre las nubes:

entre las hojas de la higuera

me habló el cuerpo, los cuerpos de mi cuerpo.

Encarnaciones instantáneas:

tarde lavada por la lluvia,

luz recién salida del agua,

el vaho femenino de las plantas

piel a mi piel pegada: ¡súcubo!

-como si al fin el tiempo coincidiese

consigo mismo y yo con él,

como si el tiempo y sus dos tiempos

fuesen un solo tiempo

que ya no fuese tiempo, un tiempo

donde siempre es ahora y a todas horas siempre,

como si yo y mi doble fuesen uno

y yo no fuese ya.

Granada de la hora: bebí sol, comí tiempo.

Dedos de luz abrían los follajes.

Zumbar de abejas en mi sangre:

el blanco advenimiento.

Me arrojó la descarga

a la orilla más sola. Fui un extraño

entre las vastas ruinas de la tarde.

Vértigo abstracto: hablé conmigo,

fui doble, el tiempo se rompió.

 


Atónita en lo alto del minuto

la carne se hace verbo —y el verbo se despeña.

Saberse desterrado en la tierra, siendo tierra,

es saberse mortal. Secreto a voces

y también secreto vacío, sin nada adentro:

no hay muertos, sólo hay muerte, madre nuestra.

Lo sabía el azteca, lo adivinaba el griego:

el agua es fuego y en su tránsito

nosotros somos sólo llamaradas.

La muerte es madre de las formas…

El sonido, bastón de ciego del sentido:

escribo muerte y vivo en ella

por un instante. Habito su sonido:

es un cubo neumático de vidrio,

vibra sobre esta página,

desaparece entre sus ecos.

Paisajes de palabras:

los despueblan mis ojos al leerlos.

No importa: los propagan mis oídos.

Brotan allá, en las zonas indecisas

del lenguaje, palustres poblaciones.

Son criaturas anfibias, con palabras.

Pasan de un elemento a otro,

se bañan en el fuego, reposan en el aire.

Están del otro lado. No las oigo, ¿qué dicen?

No dicen: hablan, hablan.

 



                                Salto de un cuento a otro

por un puente colgante de once sílabas.

Un cuerpo vivo aunque intangible el aire,

en todas partes siempre y en ninguna.

Duerme con los ojos abiertos,

se acuesta entre las yerbas y amanece rocío,

se persigue a sí mismo y habla solo en los túneles,

es un tornillo que perfora montes,

nadador en la mar brava del fuego

es invisible surtidor de ayes

levanta a pulso dos océanos,

anda perdido por las calles

palabra en pena en busca de sentido,

aire que se disipa en aire.

¿Y para qué digo todo esto?

Para decir que en pleno mediodía

el aire se poblaba de fantasmas,

sol acuñado en alas,

ingrávidas monedas, mariposas.

Anochecer. En la terraza

oficiaba la luna silenciaria.

La cabeza de muerto, mensajera

de las ánimas, la fascinante fascinada

por las camelias y la luz eléctrica,

sobre nuestras cabezas era un revoloteo

de conjuros opacos. ¡Mátala!

gritaban las mujeres

y la quemaban como bruja.

Después, con un suspiro feroz, se santiguaban.

Luz esparcida, Psiquis…

 


                                  ¿Hay mensajeros? Sí,

cuerpo tatuado de señales

es el espacio, el aire es invisible

tejido de llamadas y respuestas.

Animales y cosas se hacen lenguas,

a través de nosotros habla consigo mismo

el universo. Somos un fragmento

-pero cabal en su inacabamiento-

de su discurso. Solipsismo

coherente y vacío:

desde el principio del principio

¿qué dice? Dice que nos dice.

Se lo dice a sí mismo. Oh madness of discourse,

that cause sets up with and against itself!

 



Desde lo alto del minuto

despeñado en la tarde plantas fanerógamas

me descubrió la muerte.

Y yo en la muerte descubrí al lenguaje.

El universo habla solo

pero los hombres hablan con los hombres:

hay historia. Guillermo, Alfonso, Emilio:

el corral de los juegos era historia

y era historia jugar a morir juntos.

La polvareda, el grito, la caída:

algarabía, no discurso.

En el vaivén errante de las cosas,

por las revoluciones de las formas

y de los tiempos arrastradas,

cada una pelea con las otras,

cada una se alza, ciega, contra sí misma.

Así, según la hora cae desen-

lazada, su injusticia pagan. (Anaximandro.)

La injusticia de ser: las cosas sufren

unas con otras y consigo mismas

por ser un querer más, siempre ser más que más.

Ser tiempo es la condena, nuestra pena es la historia.

Pero también es el lugar de prueba:

reconocer en el borrón de sangre

del lienzo de Verónica la cara

del otro-siempre el otro es nuestra víctima.

Túneles, galerías de la historia

¿sólo la muerte es puerta de salida?

El escape, quizás, es hacia dentro.

Purgación del lenguaje, la historia se consume

en la disolución de los pronombres:

ni yo soy ni yo más sino más ser sin yo.

En el centro del tiempo ya no hay tiempo,

es movimiento hecho fijeza, círculo

anulado en sus giros.

 


                            Mediodía:

llamas verdes los árboles del patio.

Crepitación de brasas últimas

entre la yerba: insectos obstinados.

Sobre los prados amarillos

claridades: los pasos de vidrio del otoño.

Una congregación fortuita de reflejos,

pájaro momentáneo,

entra por la enramada de estas letras.

El sol en mi escritura bebe sombra.

Entre muros —de piedra no:

por la memoria levantados-

transitoria arboleda:

luz reflexiva entre los troncos

y la respiración del viento.

El dios sin cuerpo, el dios sin nombre

que llamamos con nombres

vacíos —con los nombres del vacío-,

el dios del tiempo, el dios que es tiempo,

pasa entre los ramajes

que escribo. Dispersión de nubes

sobre un espejo neutro:

en la disipación de las imágenes

el alma es ya, vacante, espacio puro.

En quietud se resuelve el movimiento.

Insiste el sol, se clava

en la corola de la hora absorta.

Llama en el tallo de agua

de las palabras que la dicen,

la flor es otro sol.

La quietud en sí misma

se disuelve. Transcurre el tiempo

sin transcurrir. Pasa y se queda. Acaso,

aunque todos pasamos, no pasa ni se queda:

hay un tercer estado.

 



Hay un estar tercero:

el ser sin ser, la plenitud vacía,

hora sin horas y otros nombres

con que se muestra y se dispersa

en las confluencias del lenguaje

no la presencia: su presentimiento.

Los nombres que la nombran dicen: nada,

palabras de dos filos, palabra entre dos huecos.

Su casa, edificada sobre el aire

con ladrillos de fuego y muros de agua,

se hace y se deshace y es la misma

desde el principio. Es dios:

habita nombres que lo niegan.

En las conversaciones con la higuera

o entre los blancos del discurso,

en la conjuración de las imágenes

contra mis párpados cerrados

el desvarío de las simetrías,

los arenales del insomnio,

el dudoso jardín de la memoria

o en los senderos divagantes

era el eclipse de las claridades.

Aparecía en cada forma

de desvanecimiento.

 



                                  Dios sin cuerpo,

con lenguajes de cuerpo lo nombraban

mis sentidos. Quise nombrarlo

con un nombre solar,

una palabra sin revés.

Fatigué el cubilete y el ars combinatoria.

Una sonaja de semillas secas

las letras rotas de los nombres:

hemos quebrantado a los nombres

hemos deshonrado a los nombres.

Ando en busca del nombre desde entonces.

Me fui tras un murmullo de lenguajes,

ríos entre los pedregales

color ferrigno de estos tiempos.

Pirámides de huesos, pudrideros verbales:

nuestros señores son gárrulos y feroces.

Alcé con las palabras y sus sombras

una casa ambulante de reflejos

torre que anda, construcción en viento.

El tiempo y sus combinaciones:

los años y los muertos y las sílabas,

cuentos distintos de la misma cuenta.

Espiral de los ecos, el poema

es aire que se esculpe y se disipa,

fugaz alegoría de los nombres

verdaderos. A veces la página respira:

los enjambres de signos, las repúblicas

errantes de sonidos y sentidos,

en rotación magnética se enlazan y dispersan

sobre el papel.

 



                      Estoy en donde estuve:

voy detrás del murmullo,

pasos dentro de mí, oídos con los ojos,

el murmullo es mental, yo soy mis pasos,

oigo las voces que yo pienso,

las voces que me piensan al pensarlas.

Soy la sombra que arrojan mis palabras.

 

México y Cambridge, Mass

del 9 de septiembre al 27 de diciembre de 1974 197

 

 

Pasado en claro

Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1978

Poème précédent en espagnol :

Francisco de Quevedo y Villagas : « J’aurai vu les remparts... » / « Miré los muros... » (27/01/2021)

Poème suivant en espagnol :

Rubén Darío : Nocturne / Nocturno (26/03/2021)

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