Dominique Sorrente (1953 -) : Citadelles et mers
Citadelles et mers
Ainsi qu’aux lointains jours de mon enfance, toute mon âme se tend alors
vers la grande voix qui se prépare à m’appeler du fonds des espaces créés.
Mais mon attente est vaine. La paix qui m’environne n’est si parfaite que
parce qu’elle n’a plus de nom à me donner. Elle est en moi et je suis en elle,
et dans ce Lieu comme nous innommé où s’est accomplie notre union, il n’est
pas jusqu’au mot le plus universel, Ici, qui n’ait perdu à jamais son sens...
O. V. de L. Milosz
Psaume de la Réintégration
LA ROCHELLE, TOUR PREMIERE
Le navire entre, un dernier jour, dans la froide
place des mers. Aux confins de la vague,
guetteur, est-ce bien elle ?
Morte-eau. Un peu du lointain perdu
ramène au filet des fortunes. Inerte,
une légende ne bat plus.
*
Tu nommes les comètes. Des nuits durant,
sur la poussière des statues, veilleur,
est-ce bien elle ?
Où j’écris le songe
d’un contrevent passé par la mer,
une hirondelle tout à l’heure a crié.
Amer.
Une cité perdue et magnifiée.
Je le sais pour un peu de sang
à ta bouche, les mouettes d’un ciel
viendront rêver aux fontaines.
Les habitants du sable dansent sur la Dive,
ils font route vers une terre sans voix
où prend le vent.
Ce sont rêves lassés
comme bandages à la lumière.
*
Aujourd’hui passe prodigue
sur l’hypnose des corps que la nuit change
et dévêt. Là en morte je te vois et l’iris,
dans ton cri de vivant.
Alphabets, âges gris,
ta voix de dire est belle à la chimère.
Le rite se réduirait à mettre un terme
et moi en ton absence
comme un dormeur aux rouilles de l’été .
Mais sur le damier vieux,
une artère s’est fendue
où boire est un monde.
Un oubli de pêcheurs inaccessible où tes mains
ont tenu secret.
Adossé à la multitude, je me pare
De ton éternité.
*
Un pays en clair nous désigne
où nous dévalons l’air d’une douceur de faisan mort.
Déjà t’imaginer
qui ailes l’espace, dédies l’adieu,
puises l’or pauvre et les fruits de mer.
Tant désirée
faisant récit de soi-même.
Un jour, déjà, l’ancre des vivants,
le vol sacré sur toute passe de mémoire.
Du moins, la ferveur d’une tribu violée
dans ta main qui trace vers La Rochelle.
*
Au bout du jour, l’été
comme aucun autre,
près de la Tour de la Lanterne.
Quand place est faite pour les saints,
douceur de mourir très près l’un de l’autre.
SAINT-CYR, PAROLE DU FOU
Un homme parle,
une science inconnue sur ses lèvres.
Quelquefois une pitié humaine se réveille,
mêlant à l’encens
l’image occulte du vitrail.
Les rêves que tu as soufferts ont froid
sur les marais.
*
Ils n’auront rien de la douceur, rien
de la patience,
rien de l’âme interminable qui t’éclaire.
Ils ont jugé de ta lumière mais l’âge
du regain ne leur appartient pas.
Au plein de l’aube, la liberté si fortuite,
si véhémente,
se prévaut d’un roseau.
L’oiseau offre son chant par-dessus mon épaule.
Au moment où tout se recueille
au risque des pierres
sel et multitude
dans l’ordinaire de la joie.
Sous les dalles de mer,
le sort d’une peur qui devient douce
rejoint la totalité du nuage.
*
Dans l’amitié latine, Saint-Cyr
rejoint une autre mer.
Charades pour l’étoile, nous mourons
moins que seuls,
renonçant.
Mais ce visage là-bas, si tu le veux nombreux,
je l’aimerai à l’éclatant merci !
Une averse gonfle à la brume
cent rires
dans les parages de mon tendre cri.
Il n’est d’autres tabacs. Je garderai mémoire du vent d’ouest,
quand s’éloigneront le chardon et les cheveux bruns
vers les îles.
Le bel octobre, s’il pleut, je gagnerai le Sud.
Saint-Cyr m’y donnera abri.
*
Sur le pas des filles de mer nous parvient
la rumeur des haines tardives.
La magie des seiches
attaque l’aubier du grand arbre.
Saint-Cyr se cache à l’infini
dans sa nuit d’oiseaux dénués.
De toute éternité, un trouble d’enfant
qui naît au monde.
Il en est qui dispersent par le fleuve
la carte des premiers ciels.
Dans la chaux vive, la peau craque.
Un vol de tourterelles, dont l’origine
s’effacera tout aussitôt. Demain,
y eût-il un port,
je déposerai le linge en ta faveur.
*
Ce soir, sève du thym,
d’autres signes restent possibles.
ERFOUD AUX NOMS DU DESERT.
En ce qui reste l’invisible, l’été retient l’été.
Ceux qui n’ont plus la ville pour soumettre
vivent là,
et le luth n’a qu’une mémoire.
Mendier est leur commerce
dans la floraison interdite.
*
Artisan réfractaire en la plus ferme solitude,
apprends-moi à dresser la table
qui ne sera jamais servie pour Erfoud.
*
Une géographie s’effondre,
une autre rend raison.
Mais il est tard.
Ouvre et ferme
les cahiers verts du refus, de la grâce.
Par deux nomades sur la dune, on pourra
faire aller une infinité de grands cercles
qui ne salueront plus l’arpenteur du lieu.
Quelqu’un déroule l’impeccable loi du livre
et tu es son ombre devant la tente.
*
A quelques sables de là, le ciel
s’agrandit au désert. Mais la nuit
contraint au plus près.
Erfoud, mieux qu’ailleurs.
Je forme le vœu d’un poème,
d’une contemplation parmi les langues.
L’ordre décapité des deuils sur la rocaille
heurte un point où la conscience a fui.
J’y suis passé
brisant l’absence d’un bâton pèlerin.
J’ai pris le verre d’une lampe pour énigme.
Une femme mendie dans le soir.
Son seul visage a suffi pour me soustraire
à la captivité.
Elle reprend sa corde,
me consacre à ses vêtements noirs.
De mes visions d’un versant béni, je ferai
la boue sur tes yeux,
comme larmes offertes
pour polir l’étrangeté d’un front.
*
Les coupes sont tendues pour un vin gris,
le désir d’y jeter la pierre.
Mais lui où tout est seul
ne vient pas pour venger la chair trop éprise
des aloès.
Son peuple infime
en sa voyance
boute les rêves hors du crachat des foules.
Et tu es là, passante de toujours,
pour que chaque tristesse soit rendue.
Une oasis t’attend dans les nuits.
Les yeux fermés à l’univers d’une étoile.
Je suis restée dans les silences
avec un voile millénaire.
*
Au loin, quand toute dorure s’écaille,
on dépêche des cavaliers.
Une magie décimée.
D’elle, comme à la craie sauvage,
s’excite une imminence de feu.
*
L’espace noir où voient nos yeux
fascine toujours le passeur.
Un psaume se déchire, à l’autre meurt.
La mer, à sec, est jachère
Et l’on y trouve l’acacia.
Privilège est l’eau d’amour pour toi
qui revient dans la place
où mourant tu fis ta demeure.
Depuis lors, toi qui prépares
le geste des poissons.
*
Pour une cendre dans l’épars,
nous sommes
ce lieu d’éterniser.
Sud, Marseille,1978
Du même auteur :
Lettre du passager (31/08/2019)
L’Apparent de lumière (31/08/2021)
Ephémérides (31/08/2022)
Ballon Rouge en contre-plongée (31/08/2023)
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