Giuseppe Ungaretti (1888 – 1970) : La mort méditée (1,2,5,6) / La morte meditata (1,2,5,6)
La mort méditée
Chant premier
O toi sœur de l’ombre,
Nocturne, d’autant plus que le jour a de force,
Tu me poursuis, ô mort.
C’est dans un jardin pur
Qu’une convoitise ingénue te donna le jour
Et la paix sur ta bouche
Fut perdue, mort pensive.
Et depuis ce moment, dans le flux de l’esprit
Je t’entends
Approfondir les distances,
Emule souffrant de l’éternel.
Mère venimeuse des temps
Dans la peur du battement de cœur
La peur de la solitude,
Beauté punie et riante,
Songeuse fuyante
En l’assoupissement de la chair,
Et de la grandeur humaine
Athlète sans aucun sommeil !
Quand tu m’auras dompté, dis-moi :
Dans la détresse des vivants
L’ombre volera-t-elle longtemps ?
Chant second
Elle creuse l’intime vie
De notre masque de malheur
D’une caresse fanatique,
La sombre veillée des pères
Ou prison d’infini.
Mort, ô mot très muet
Sable laissé comme un lit
Par le sang,
Je t’entends chanter comme une cigale
Dans la rose veuve de reflets.
Chant cinquième
Tu as fermé les yeux.
Et naît une nuit vague
Pleine d’irréels creux,
De sons morts, comme bruit de liège,
De filets descendus dans l’eau.
Tes mains se transforment en souffle
D’inviolables lointains
Imprenables comme les images,
Et l’équivoque de la lune
Et le balancement, très doux,
Si tu me poses tes mains
Sur les yeux, atteignent l’âme.
Tu es la femme qui passe
Comme une feuille
Et qui laisse aux arbres un feu d’automne.
Chant sixième
O belle proie,
Nocturne voix,
Tes mouvements
Font naître la fièvre.
Mémoire démente, toi
Tu captures la liberté.
Sur ton insaisissable chair
Et vacillante dedans les miroirs troublés,
Quels crimes, ô rêve,
Ne m’as-tu pas induit à consommer ?
Fantômes, avec vous je n’ai nulle réserve,
Quand on ouvre les yeux
L’éclat du jour est plein de vos remords.
Traduit de l’italien par Pierre Jean Jouve
In, « La Nouvelle Revue Française, N° 217 1er Octobre 1931 »
(Chant 1, 2, 5)
In, Revue « Lettres.1944, N° 4 », Genève
(Chant 6)
Du même auteur :
Où la lumière / Dove la luce (20/11/2014)
La Pitié / La Pietà (13/05/2016)
Les fleuves / I fiumi (13/05/2017)
Vanité/ Vanità (13/05/2018)
J’ai tout perdu / Tutto ho perduto (13/05/2019)
San Martino Del Carso (13/05/2021)
Calme / Sereno (13/05/2022)
Ironie / Ironia (01/11/2022)
Somnolence / Sonnolenza (01/11/2023)
La Morte Meditata
Canto primo
O sorella dell'ombra,
Notturna quanto più la luce ha forza,
M'insegui, morte.
In un giardino puro
Alla luce ti diè l'ingenua brama
e la pace fu persa,
Pensosa morte,
Sulla tua bocca.
Da quel momento
Ti odo nel fliure della mente
Approfondire lontananze,
Emula sofferente dell'eterno.
Madre velenosa degli evi
Nella paura del palpito
E della solitudine,
Bellezza punita e ridente,
Nell'assopirsi della carne
Sognatrice fuggente,
Atleta senza sonno
Della nostra grandezza,
Quando m'avrai domato, dimmi:
Nella malinconia dei vivi
Volerà a lungo la mia ombra?
Canto secondo
Scava le intime vite
Della nostra infelice maschera
(Clausura d’infinito)
Con blandizia fanatica
La buia veglia dei padri.
Morte, muta parola,
Sabbia deposta come un letto
Dal sangue,
Ti odo cantare come una cicala
Nella rosa abbrunata dei riflessi
Canto quinto
Hai chiuso gli occhi.
Nasce una notte
Piena di finte buche,
Di suoni morti
Come di sugheri
Di reti calate nell’acqua.
Le tue mani si fanno come un soffio
D’inviolabili lontananze,
Inafferrabili come le idee,
E l’equivoco della luna
E il dondolio, dolcissimi,
Se vuoi posarmele sugli occhi,
Toccano l’anima.
Sei la donna che passa
Come una foglia
E lasci agli alberi un fuoco d’autunno.
Canto sesto
O bella preda,
Voce notturna,
Le tue movenze
Fomentano la febbre.
Solo tu, memoria demente,
La libertà potevi catturare.
Sulla tua carne inafferrabile
E vacillante dentro specchi torbidi,
Quali delitti, sogno,
Non m’insegnasti a consumare?
Con voi, fantasmi, non ho mai ritegno,
E dei vostri rimorsi ho pieno il cuore
Quando fa giorno
1932
Vita d’un uomo. Tutte le poesie
Mondadori editore, Milano, 1969
Poème précédent en italien :
Cesare Pavese: Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020)
Poème suivant en italien :
Guido delle Colonne : « Amour, qui si longuement m’as mené... » / « Amor, che lungiamente m’hai menato... » (28/07/2020)