Antoine Mechawar (1940 – 1975) : Lettre qui peut servir d’introduction à mon oeuvre
Lettre qui peut servir d’introduction à mon œuvre
Afin de ne parler guère de ces attaches qui depuis quelques jours me
lient au sable du désert je vais m’étendre sur l’eau des lacs ainsi que nénuphars
du Nil et converser avec le vent
Chaque herbe sur les rives sera mon destin du soir et pour ne point
gagner les limites de l’angoisse l’ombre d’ophélies mortes flânera sur ma peau.
Je déploierais en guise de voile le filet de sang que je porte dans mon
corps et je dirais adieu à la terre
J’avance parmi le soupir des algues et peu m’importe que je sois venu
au monde sous forme humaine. Je rejoins l’éther originel de ce qui n’a jamais
existé
Depuis mon voyage il m’a poussé sur le corps quantité d’herbe
inconnues et de fleurs
Je ne reviendrai jamais sur la terre
Dans quelle contrée stérile nos cheveux seront-ils le buisson contre lequel
viendra se gratter le cerf
Seigneur j’ai vu la dernière de tes larmes s’accrocher au mât d’un vieux bateau
coulé il y a des siècles au large d’une mer qui a perdu son nom
De ce bleu si tendre qui fut le seul souvenir que nous ayons gardé de nous je ne
sais s’il ne faut point peindre la terre
Scaphandrier des ténèbres léger comme la chrysalide j’attends l’orage de ta
présence en caressant le long de ces végétations torrides l’hermine messagère
de ta venue
Là où mourir est le quai je m’étendrais sous l’aile gigantesque de l’oiseau du
sommeil l’oiseau-femme qui gémit comme sirène des enchantements à dormir
sur l’extrême bord des paupières
Là où mourir est le quai je serais le vagabond des étoiles et j’inscrirais sur un
fond de musique espagnole les grandes lignes de ma vie
Plus tard j’irais chercher refuge chez les castors
Là où mourir est le quai ma mort sera maintes fois plus sage que ne l’aura été
ma vie
(Longues herbes de la nuit)
In, Revue « Vagabondage, N°31, Juin 1981 »
Association Paris-poète, Librairie Séguier, 1981
