Jacques Rabemananjara (1913 – 2005) : « Ile !... »
Ile !
Ile aux syllabes de flamme,
Jamais ton nom
ne fut plus cher à mon âme !
Ile,
ne fut plus doux à mon cœur !
Ile aux syllabes de flamme,
Madagascar !
Quelle résonance !
Les mots
fondent dans ma bouche :
Le miel des claires saisons
dans le mystère de tes sylves,
Madagascar !
Je mords la chair vierge et rouge
avec l’âpre ferveur
du mourant aux dents de lumière,
Madagascar !
Un viatique d’innocence
dans mes entailles d’affamé,
je m’allongerai sur ton sein avec la fougue
du plus ardent de tes amants,
du plus fidèle,
Madagascar !
Qu’importent le hululement des chouettes,
le vol rasant et bas
des hiboux apeurés sous le faîtage
de la maison incendiée !oh, les renards ,
qu’ils lèchent
leur peau puante du sang des poussins,
du sang auréolé des flamands roses !
Nous autres, les hallucinés de l’azur ,
nous scrutons éperdument tout l’infini de bleue de la nue,
Madagascar !
La tête tournée à l’aube levante,
un pied sur le nombril du ponant,
et le thyrse
planté dans le cœur nu du Sud,
je danserais, ô Bien-Aimée,
je danserai la danse-éclair
des chasseurs de reptiles,
Madagascar !
Je lancerai mon rire mythique
sur la face blême du Midi !
Je lancerai sur la figure des étoiles
la limpidité de mon sang !
je lancerai l’éclat de ta noblesse
sur la nuque épaisse de l’Univers,
Madagascar !
Un mot,
Ile !
rien qu’un mot !
Le mot qui coupe du silence
La corde serrée à ton cou.
Le mot qui rompt les bandelettes
du cadavre transfiguré !
Dans le ventre de la mère
l’embryon sautillera.
Dans les entrailles des pierres
danseront les trépassés.
Et l’homme et la femme,
et les morts et les vivants,
et la bête et la plante,
tous se retrouvent haletants,
dans le bosquet de la magie,
là-bas , au centre de la joie,
Un mot,
Ile
Rien qu’un mot !
Le mot de l’âge d’or,
Le mot sur le déluge.
Le mot qui fait tourner
le globe sur lui-même !
La fureur des combats !
Le cri de la victoire !
L’étendard de la paix !
Un mot, Ile
et tu frémis !
Un mot, Ile,
et tu bondis
Cavalière océane !
Le mot de nos désirs !
Le mot de notre chaîne !
Le mot de notre deuil !
Il brille
dans les larmes des veuves,
dans les larmes des mères
et des fiers orphelins.
ll germe
avec la fleur des tombes,
avec les insoumis
et l’orgueil des captifs.
Ile de mes Ancêtres,
ce mot, c’est mon salut.
Ce mot, c’est mon message.
Le mot claquant au vent
sur l’extrême éminence !
Un mot.
Du milieu du zénith
un papangue ivre fonce,
siffle
aux oreilles des quatre espaces :
Liberté ! Liberté ! Liberté ! Liberté !
Antsa, Anthologie négro-africaine
Editions Présence Africaine
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