Jacques Rabemananjara (1913 - 2005) : Chant XXII
Chant XXII
Bleu, si bleu cet oeil du ciel
derrière la vitre !
La vie en fleur entre mes cils.
L’azur entier dans mes paupières.
Bleu, si bleu cet oeil du ciel
derrière la vitre !
Mornes, si mornes ces quatre murs !
La mort imprègne terre et pierre
d’une sueur d'outre-planète...
Frais, si frais ces cris d’enfant
dans l'alme enclos.
Mais qui l’entendra, claire innocence,
ton chant trop pur,
ta voix trop douce
dans le vacarme de la nuit !
La force aveugle de l’abîme
tire de son fouet
Le son aigre de l’agonie !
La peau tendre de la douleur
saigne au baiser dur de la corde.
Les étoiles meurent sans un soupir
Quelle main levée à l’horizon
Va tendre aux lèvres des héros
L’offrande rouge de l’aurore !
Du sang je n’en ai point versé.
De la mort je n’en ai point semé.
Mes doigts sont clairs comme un printemps
Mon coeur est neuf comme une hostie.
Mais qui l’entendra, chaste Guerrier,
ta voix trop pure,
ton chant trop doux
Dans le croassement des ténèbres ?
Bleu, si bleu cet œil du ciel,
derrière la grille !
Frais, si frais ces cris d’enfant
dans la pelouse
La vie en fleur entre mes cils.
L'azur entier dans mes paupières,
L'innocence entre les plis de l'âme…
12 juin 1947
Prison civile, Tananarive,
In, Léopold Sédar Senghor : « Anthologie de la nouvelle poésie nègre
et malgache de langue française »
Presses Universitaires de France, 1948
Du même auteur :
Lyre à sept cordes (19/01/2017)
« La mer ! ... » (02/02/2018)
« Ile !... » (02/02/2020)