Federico Garcia Lorca (1898 – 1936) : « Gacela » de la mort obscure / Gacela de la muerte obscura
« Gacela » de la mort obscure
Je veux dormir le sommeil des pommes,
Et m’éloigner du tumulte des cimetières.
Je veux dormir le sommeil de cet enfant
Qui voulait s’arracher le cœur en pleine mer.
Je ne veux pas que l’on me répète que les morts ne perdent pas leur sang ;
Que la bouche pourrie demande encor de l’eau.
Je ne veux rien savoir des martyres que donne l’herbe,
Ni de la lune avec sa bouche de serpent
Qui travaille avant que l’aube naisse.
Je veux dormir un instant,
Un instant, une minute, un siècle ;
Mais que tous sachent bien que je ne suis pas mort ;
Qu’il y a sur mes lèvres une étable d’or ;
Que je suis le petit ami du vent d’ouest ;
Que je suis l’ombre immense de mes larmes.
Couvre-moi d’un voile dans l’aurore,
Car elle me lancera des poignées de fourmis,
Et mouille d’une eau dure mes souliers
Afin que glisse la pince de son scorpion.
Car je veux dormir le sommeil des pommes
Pour apprendre un sanglot qui de la terre me nettoie ;
Car je veux vivre avec cet enfant obscur
Qui voulait s’arracher le cœur en pleine mer.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon et Bernard Sesé
in « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »,
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Du même auteur :
La guitare / la guittara (04/11/2014)
Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías / Llanto por Ignacio Sánchez Mejías (19/12/2015)
Embuscade / Sorpresa (19/12/2016)
Chanson du cavalier /Canción de Jinete (19/12/2017)
Village / Pueblo (19/12/2018)
L’infidèle / La casada infiel (19/12/2020)
La ballade de l’eau de mer / La balada del agua del mar (19/12/2021)
Evocation / Evocación (19/12/2022)
Carrefour / Encrucijada 19/12/2023)
« J’allais tristement... » / « Yo estaba triste... » (19/12/2024)
Gacela de la muerte obscura
Quiero dormir el sueño de las manzanas,
Alejarme del tumulto de los cementerios.
Quiero dormir el sueño de aquel niño
Que quería cortarse el corazón en alta mar.
No quiero que me repitan que los muertos no pierden la sangre;
Que la boca podrida sigue pidiendo agua,
No quiero enterarme de los martirios que da la hierba,
Ni de la luna con boca de serpiente
Que trabaja antes del amanecer.
Quiero dormir un rato,
Un rato, un minuto, un siglo;
Pero que todos sepan que no he muerto;
Que hay un establo de oro en mis labios;
Que soy un pequeño amigo del viento Oeste;
Que soy la sombra inmensa de mis lágrimas.
Cúbreme por la aurora con un velo,
Porque me arrojará puñados de hormigas,
Y moja con agua dura mis zapatos
Para que resbale la pinza de su alacrán
Porque quiero dormir el sueño de las manzanas
Para aprender un llanto que me limpie de tierra;
Porque quiero vivir con aquel niño oscuro
Que quería cortarse el corazón en alta mar.
in, Revue « Floresta de Prosa y verso, N°2, febrero 1936 »
Madrid, 1936
Poème précédent en espagnol :
Antonio Gamoneda : Blues de l’escalier / Blues de la escalera (04/12/2019)
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