André Pieyre de Mandiargues (1909 – 1991) : Mélancolie
Mélancolie
Une belle une bonne journée s’achève
Une journée descend vers la nuit
Comme un vieillard blanc qui a peur
Et de l’autre côté des eaux douces
Par-dessus les tours brunes de Chillon
Maintenant fleurissent les montagnes roses
En ventres en seins en chairs arrondies
Pincées d’un dernier soleil fragile.
Les lions les glaives les vierges drapées
D’un petit ciel bas de printemps
Brillent au froid repos vermeil du lac
A peine ému par un soupçon de bise
Qui hâte aussi le plaisant roulis des femmes
Ombrelles déjà voiles peints écharpes claires
Souliers de toile et bavardages légers
Entre les peupliers siffleurs de la berge.
L’ombre dépérie s’allonge à mourir
Les reflets sont plus clairs plus vifs que leurs objets
Cygnes noirs qui le col tout de soie inclinez
Vers la soie de l’aile et vers le tiède abandon
D’un sommeil prisonnier des réseaux de la lune
Papier qu’un enfant chiffonna en canots
Arbre lourd de lierre fleurs pendues à la rive
Substance même d’un jour où tu fus heureux.
Alors la pâle mélancolie
Chienne aveugle errant aux catacombes
Ouvre sur toi son œil de chaux éteinte
La mélancolie aux bras de plomb fondu
Au sein de plumes et d’écailles caduques
Jette son flot dans l’antre de ton crâne vide
Qu’elle emplit comme un grand navire de fer
Sombrant au termed’un trop sûr voyage.
L’Age de craie, suivi de Hedera
Editions Gallimard, 1961
Du même auteur :
Le pays froid (16/06/2014)
Somewhere in the world (26/06/2015)
Hedera ou la persistance de l’amour pendant une rêverie (11/11/2017)
Les filles des gobes (11/11/2018)
Le plaisir et les artifices (11/11/2020)
La fenêtre du wagon (11/11/2021)