Pierre Jean Jouve (1887 – 1976) : Pays d’Hélène
Pays d’Hélène
C’est ici que vécut incomparable Hélène
Ici l’ancien lieu de verdure et d’argent
Les larmes de rochers
Un soupir bleu mais des déchirures pensives
Un noir éclatement de rocs argentés
Inhumaine inimaginable en robe à traîne
Qu’elle était belle vêtue de rochers
Et costumée des fleurs de l’herbe ! Dans les grands soirs
Des maisons hautes blanches et nues, grillagées
Qu’elle était nue, et triste ! et quel amour aux mains
Et quelle force aux reins de sa splendeur rosée
Qu’elle avait pour aimer et pour vivre ! et quel sein
Pour nourrir ! et les douces pensées
De son ombre ! et comme elle sut bien mourir
Dans un baiser rempli de palmes et de vallées.
On voit ici ses larmes
Conservées dans ce couloir vert du cimetière
Un immense noyer endormi par le jour
Tient à ses pieds les tombes perles de couleur
Quand le noyer touche aux glaces penchées
Etincelantes du glacier de l’autre bord
Où cinq dents d’argent difformes du malheur
Luisent
Sur le gouffre harmonie d’éternelle chaleur.
Prairie du jour ! avec les flots et les forêts
De maigre vert et les roches du ciel
Ta pureté céleste cri cruel
Fait mal, comme une morte ici marchait.
Hélène aimait-elle glaciers et noyers
Passait-elle son bras nu sur ces montagnes
Baisait-elle de sa robe les prairies
Dans les yeux de son amant jeune espérait-elle
Et la lumière d’or ?
Loin, les rochers d’Hélène
Découpés par le soleil des funérailles
Luisaient au milieu des dents noires et dures
Et le soleil se déchirait religion pure.
Matière céleste
Editions Gallimard, 1967
Du même auteur :
Songe (14/08/2015)
Adieu (14/08/2016)
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