Pierre Torreilles (1921 – 2005) : « Ouvrage de silence ... »
Ouvrage de silence,
ici, le vent autour de la maison,
quand toute approche naît
de l’équilibre immense,
jardin de l’arbre et du murmure
où dort le bruit de tout été,
le froid revient de l’ombre
La voix se pose
où s’organise l’évidence
où dure la naissance,
et l’équilibre,
là,
d’un mot silencieux.
Abondance d’oiseaux,
herbes jaunies après le gel,
le froid découpe le silence.
Il suffit que tout soit réel
que la moindre chose le soit.
Parfois
même un visage
n’apparaît plus.
Sa venue
seule
a laissé trace.
Langue
de temps peuplée
creusée d’espace
écartelée
dans la proximité des morts,
en un désormais habitable
lieu sans mesure...
Les mots y sont imprononçables.
Ils ont lieu,
lourdement,
distance disparue
jusqu’aux racines du réel.
l’arbre
la cruche
et la parole
dans leur silence,
écrits.
Là, se décante,
exaltation celée ;
l’opacité désormais inutile.
Vide.
La langue, ici,
porte le lieu,
le purifie
et le laisse, fragile,
en ce risque soudain de la voir s’effacer...
jusqu’en ses origines,
l’inextinguible mort
le seuil, en elle usé.
Habitable lieu déserté,
voici que doucement
s’instaure l’évidence.
O long regard de l’immobile...
Vertical
est
le don
abrupt est le silence,
rompue,
comme le vent
dans ses retournements et ses blessures,
l’écriture du ciel
changeante,
identique.
Ombre douce des arbres
profonde ici
comme la mort...
... lumineuse
la voix
ouvre les mots
ferme le seuil.
La voix brille dans l’ombre
pèse sa pauvreté
laisse le monde entrer
dans le silence ouvert
mot à mot
agrandit le silence du monde
arrache
mot à mot
le silence à l’oubli
referme
mot à mot
avec la main de l’homme.
Ce qui se reconnaît,
ce qui s’écoute,
et qui se voit
ici,
mais loin de toute langue
et si près du visible,
dans la parole,
après le long détour
parmi les hautes plaines pauvres
et la distance de ce jour,
et qui réconcilie,
... résurrection possible
souveraine imminence...
ce qui est là
reçu
et qui tendait ce jour
l’étirait durement
jusqu’en son vrai visage,
... oubli chargé des mots
que la lumière absorbe...
Souveraine confrontation
... Automne
éternité.
Au dernier papillon
nulle réponse encore...
Ce qui se reconnaît
en ce moment ainsi
vient à paraître.
Plus surement fidèle
est la distance
quand le regard laisse d’aller
pour ne cesser de revenir
Je vous savais
plus hautes qu’éphémères,
d’un seul regard en vous
depuis longtemps déjà
voix lointaines de l’évidence ...
Une arrière- saison vous imite
et cependant, pour moi,
le mot ne trompe pas.
Eternité,
nulle réponse
où
ce qui se nommait
retourne à son silence.
Plus surement
dans l’ombre
est l’eau profonde
transparente jusqu’à la mort.
Mais au-delà, voici
l’instauratrice,
imperceptible encore,
habitée.
Voici,
simultanées
ton silence
et chacun de tes mots
Les mots ne trompent pas
qui n’ont plus en écho
que l’imminence de leur lieu,
ou ce qui est présent
vers l’autre
et qu’ils indiquent
désigné là,
visible...
Cet autre ailleurs
dans l’éternité qui désigne
ne cesse de répondre.
Silence irréfragable
pauvre silence qui m’atteint
où nul espace ne désigne
Faiseurs de mots
de quelle aridité
se targue
l’insolence de votre vide ?
Car très riche est pour nous
la longue aridité des terres évidées,
la luminosité parfaite des déserts
où
l’absence limpide
projette le silence,
l’ouvre jusqu’à sa perfection...
Je lis son étonnant visage,
De l’autre côté de la voix
sur le seuil
où se voit
le seul rapport avec le monde
voici que nous devons
être attentifs à notre langue.
Dans le séjour
où ne se brise plus
ce qui vient à mourir,
Là,
vient, jusqu’à l’éveil
la rare humidité de l’aube.
Menace innominée
Editions Grasset, 1976
Du même auteur :
« Silence... » (05/10/2018)
« Je dis / La souveraineté des choses évidentes... » (05/10/2020)