Pierre Torreilles (1921 – 2005) : « Je dis / La souveraineté des choses évidentes... »
Je dis
La souveraineté des choses évidentes
Je dis
Qu’entre le visage et le cœur,
Mêlée d’ombre et dans la lumière,
Git la naissance, avec la mort.
Et je dis la limpidité
Des choses de la mort
Je dis l’éternité de l’évidence.
*
Il semble que mon dire est déjà loin de moi
Dans le temps éloigné comme déjà perdu
Déjà presque effacé.
A-t-il laissé qui soit visible
Le lieu de son espacement ?
Car il est là
Le seul silence disponible.
Le temps non déroulé n’est donc pas perceptible
Et j’ai vu cependant l’espace, tel un rire.
*
Je murmure et j’entends,
La distance est acquise,
La noria des mots épuise le silence
Nous sommes loin
Et le cri des oiseaux multiplie la distance,
Leur cri
Le froid limpide
Et leur distance bleue.
L’ombre est si près de la lumière maintenant.
Chacun des mots s’élève en moi
Plus inconnu que chaque chose.
*
Indifférence
En cet apaisement que laisse l’inconnu
Chaque chose reprend son visage et se pose,
Ce qui lentement s’ouvre à l’interrogation,
Cela qui lentement remonte de la mort,
Porteur de l’œuvre de la mort et lourd
De l’immortalité renouvelée de l’évidence.
De la question que laisse à floraison
La générosité de la répétition
L’inconnu, le retour
En chaque chose s’émerveille.
*
Dans le silence ici
A l’intérieur des mots
Rien ne s’est prononcé
Que la saison prévue.
Cependant tout est autre
Comme au-delà semblable à ce qu’il est
Et comme confirmé dans cet autre visage.
La mousse avec le lierre
Ont conservé la pureté de leur humus
Détourné le sentier
Donné naissance à ce repos des origines.
Les bruits de la méditation
Sont couverts de commencement,
La lumière tranchante
Brille des gouttes de la nuit
Durant la longue nuit du jour
Médite le long temps de la reconnaissance,
Avant
Et maintenant
La limpidité du jour
Je perçois désormais
Dans l’alternance des saisons
S’élevant sans briser la distance intérieure
Dans chaque chose en ce jardin
L’écart, le cercle de la différence
Entre l’aller et le retour,
Le même qui se dit infiniment
Telle une sorte de mémoire
Où je piétine à haute voix.
Reconnaissable oubli
La voici retrouvée
La statue aux yeux vides
Que peuplent les oiseaux.
Leurs cris ont recouvert de lierre son silence.
Denudare (Ode)
Editions Gallimard,1974
Du même auteur :
« Silence... » (05/10/2018)
« Ouvrage de silence ... » (0510/2019)