Claudio Rodríguez(1934 - 1999) : Don de l’ivresse / Don de la ebriedad
Don de l’ivresse
III
Le chêne, qui conserve mieux un rayon
de soleil qu’un mois entier de printemps,
ne sent pas la spontanéité de son ombre,
la simplicité de sa croissance ; c’est à peine
s’il connaît le terrain sur lequel il a poussé.
Avec ce vent qui laisse sur ses branches
une absence de musique, il imagine
pour ses rêves un vaste plateau.
Et avec quelle rapidité il s’identifie
au paysage, à l’âme tout entière
de sa frondaison et de moi-même.
Il irait jusqu’au ciel si ce n’était
pour la sève qui le lie encore à l’arbre.
Ce jour viendra. Entre-temps, il écoute
le bruit des oiseaux dans leurs vols,
celui léger du bouvreuil, celui fortement ailé
de l’outarde, vigilant et clair.
Je suis comme lui. Ah, chêne au bois
plus sombre encore que celui du rouvre,
qui me comble de joie, joie si intense
quelques instants avant le crépuscule,
redoublée maintenant. Comme l’avoine
que l’on sème à la volée, et qu’importe
si elle tombe ici où là si c’est sur la terre,
l’ardeur contenue de la pensée peu à peu
s’infiltre dans les choses, les entrouvrant
pour y laisser sa splendeur, et leur donner
ensuite un nouvel éclat intérieur.
C’est vrai, car sans moi, que saurait
le chêne de la mort ? Réels sont chez lui
l’intimité, l’instinct, la spontanéité
de l’ombre ô combien fidèle ? Réelle est
ma vie ainsi, dans ses feuilles persistantes
au cœur de ce printemps à moitié déchiffré ?
IX
Comme si jamais elle ne m’avait appartenu,
à l’air offrez ma voix et que dans l’air
elle soit à tous et que tous la sachent
comme on sait un matin ou un soir.
Avril ne va pas sur la seule branche,
de même l’eau n’attend pas le seul étiage.
Qui pourrait dire que le vent lui appartient,
et la lumière, et le chant des oiseaux
où la saison exulte, plus encore quand,
la nuit venue, elle brûle dans les peupliers
avec une si dangereuse retenue ?
Que tout finisse ici, que tout finisse
une fois pour toutes ! La fleur vit
si belle parce qu’elle vit peu de temps
et pourtant, comme elle se donne, entière,
oubliant la fleur qu’elle est pour devenir
élan d’offrande. Hiver, bien que
le printemps ne te suive pas, tire
de mon corps ce qui est mien et sème-moi,
pollen inutile qui se perd dans la terre,
mais qui a été de tous et de personne.
Sur le désert immense, le serein
est pinède dans l’air, air dans l’air,
serein pour ma seule sécheresse.
Sur la voix qui va creusant son lit,
quel sacrilège ce corps, corps
qui ne peut être hostie d’offrande.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet
In, «Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990 »
Actes Sud / Editions Unesco, 1995
Du même auteur :
Parce que nous ne possédons rien / Porque no poseemos (04/10/2018)
Etranger / Ajeno (04/10/2020)
L’embauche des gamins / « Qué estáis haciendo aquí?.. » (04/10/2021)
Comme le bruissement des feuilles du peuplier / « El dolor verdadero no hace ruido... » (04/10/2022)
Gestes / Gestos (04/10/2023)
Un évènement / Un suceso (04/10/24)
Don de la ebriedad
III
La encina, que conserva más un rayo
de sol que todo un mes de primavera,
no siente lo espontáneo de su sombra,
la sencillez del crecimiento; apenas
si conoce el terreno en que ha brotado.
Con ese viento que en sus ramas deja
lo que no tiene música, imagina
para sus sueños una gran meseta.
Y con qué rapidez se identifica
con el paisaje, con el alma entera
de su frondosidad y de mí mismo.
Llegaría hasta el cielo si no fuera
porque aún su sazón es la del árbol.
Días habrá en que llegue. Escucha mientras
el ruido de los vuelos de las aves,
el tenue del pardillo, el de ala plena
de la avutarda, vigilante y claro.
Así estoy yo. Qué encina, de madera
más oscura quizá que la del roble,
levanta mi alegría, tan intensa
unos momentos antes del crepúsculo
y tan doblada ahora. Como avena
que se siembra a voleo y que no importa
que caiga aquí o allí si cae en tierra,
va el contenido ardor del pensamiento
filtrándose en las cosas, entreabriéndolas,
para dejar su resplandor y luego
darle una nueva claridad en ellas.
Y es cierto, pues la encina ¿qué sabría
de la muerte sin mí? ¿Y acaso es cierta
su intimidad, su instinto, lo espontáneo
de su sombra más fiel que nadie? ¿Es cierta
mi vida así, en sus persistentes hojas
a medio descifrar la primavera?
IX
Como si nunca hubiera sido mía,
dad al aire mi voz y que en el aire
sea de todos y la sepan todos
igual que una mañana o una tarde.
Ni a la rama tan sólo abril acude
ni el agua espera sólo el estiaje.
¿Quién podría decir que es suyo el viento,
suya la luz, el canto de las aves
en el que esplende la estación, más cuando
llega la noche y en los chopos arde
tan peligrosamente retenida?
¡Que todo acabe aquí, que todo acabe
de una vez para siempre! La flor vive
tan bella porque vive poco tiempo
y, sin embargo, cómo se da, unánime,
dejando de ser flor y convirtiéndose
en ímpetu de entrega. Invierno, aunque
no est‚ detrás la primavera, saca
fuera de mí lo mío y hazme parte,
inútil polen que se pierde en tierra
pero ha sido de todos y de nadie.
Sobre el abierto páramo, el relente
es pinar en el pino, aire en el aire,
relente sólo para mi sequía.
Sobre la voz que va excavando un cauce
qué sacrilegio este del cuerpo, este
de no poder ser hostia para darse.
Don de la ebriedad
Ediciones Rialp (Adonais), Madrid, 1953
Poème précédent en espagnol :
Luis Mizón : Arbre /Árbol (05/08/2019)
Poème suivant en espagnol :
Pablo Neruda : Le paresseux / El perozoso (02/11/2019)