Claudio Rodríguez (1934 -1999) : Un évènement / Un suceso
Un évènement
Bien est vérité que l’ay aymé
Et aymeroye voulentiers...
FRANCOIS VILLON
Sachant ce que vaut une journée, peut-être
serait-il préférable que celle-ci s’achève vite.
La nouveauté de cet évènement, de cette
jeune fille, encore enfant mais aux yeux
déjà bien pimentés, à la chair au point
de miel, à l’allure nonchalante avec son chignon
châtain clair, sa cheville si joliment
cambrée, avec sa provocante
poitrine qui m’aveugle plus que tout
la langue... Et, malgré moi, je parle d’une voix rauque,
comme une mouette, à fleur de lèvres
(de ma bouche flétrie), et je suis ému
dissimulant science et innocence
comme qui ne distingue pas un bijou fantaisie
d’un diamant, et je lui raconte quelques détails
de ma vie, et ma voix se casse, je m’entends
et me morfonds, pas du tout sûr
de mon aisance étudiée, et je fais
attention à mon souffle, à mon regard
et à mes mains, et je me pardonne presque
en sentant une si précieuse liberté
à mes côtés. Je sais que tout cela n’est pas seulement
tentation. Comment renoncer à mon désir
maintenant. Je me fais mal et je rougis
devant cette jeune fille que j’aime aujourd’hui,
que je perds aujourd’hui, celle que je vais
bientôt embrasser très chastement, sans qu’elle
sache que dans ce baiser se love un sanglot.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet
In, « Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990 »
Actes Sud / Editions Unesco, 1995
Du même auteur :
Parce que nous ne possédons rien / Porque no poseemos (04/10/2018)
Don de l’ivresse / Don de la ebriedad (04/10/2019)
Etranger / Ajeno (04/10/2020)
L’embauche des gamins / « Qué estáis haciendo aquí?.. » (04/10/2021)
Comme le bruissement des feuilles du peuplier / « El dolor verdadero no hace ruido... » (04/10/2022
Gestes / Gestos (04/10/2023)
Un suceso
Bien est vérité que l’ay aymé
Et aymeroye voulentiers...
FRANCOIS VILLON
Tal vez, valiendo lo que vale un día,
sea mejor que el de hoy acabe pronto.
La novedad de este suceso, de esta
muchacha casi niña pero de ojos
bien sazonados ya y de carne a punto
de miel, de andar menudo, con su moño
castaño claro, su tobillo hendido
tan armoniosamente, con su airoso
pecho que me deslumbra más que nada
la lengua… Y no hay remedio, y le hablo ronco
como la gaviota, a flor de labio
(de mi boca gastada), y me emociono
disimulando ciencia e inocencia
como quien no distingue un abalorio
de un diamante, y le hablo de detalles
de mi vida, y la voz se me va, y me oigo
y me persigo, muy desconfiado
de mi estudiada habilidad, y pongo
cuidado en el aliento, en la mirada
y en las manos, y casi me perdono
al sentir tan preciosa libertad
cerca de mí. Bien sé que esto no es solo
tentación. Cómo renuncio a mi deseo
ahora. Me lastimo y me sonrojo
junto a esta muchacha a la que hoy amo,
a la que hoy pierdo, a la que muy pronto
voy a besar muy castamente sin que
sepa que en ese beso va un sollozo.
Alianza y condena
Ediciones de la Revista de Occidente, Madrid, 1965
Poème précédent en espagnol :
Francisco de Quevedo y Villegas: « Du dernier jour déjà le glas résonne... » / « Ya formidable y espantoso
Poème suivant en espagnol :
Monica Mansour : 1968 (07/10/2024)