Franck Venaille (1936 -2018) : Cantos
CANTOS
DU CHANT PREMIER
J’
avais
peur
de me rendre sur leur tombe
ô
combien je craignais cette prise de main.
D’
ailleurs
qu’aurais-je bien pu psalmodier
(le cœur lourd de ma présence au monde)
sinon la vengeance de Dieu ?
Trop tôt & trop tard pour être mon propre ange gardien.
IL
suffisait toutefois de rallumer
la
mèche de nos bougies
enfoncées à demi
là
dans la terre
très ancienne
- comme ébréchée –
Pour supprimer l’effroi
DU CHANT SECOND
La vie m’a blessé d’âme.
Ah ! ce mur d’anxiété
qui
peu à peu
m’enserre.
ALORS
que
simplement je demande à quitter la scène où je me débats
fût-ce par la sortie bon secours.
Ce sont toujours les mêmes qui pratiquent l’autopsie de leur
propre corps.
Cela tient du cheval-vapeur ouvert dégoulinant de viscères
noirs.
Je
ne cherche qu’à disparaître dignement de ma vie.
Avec un zeste de dandysme pour l’illusion dernière.
Rien !
On est rien.
On naît mort.
Vite on recoud vite en sifflant vite le cadavre.
- déjà fané avant l’heure légale –
DU CHANT TROISIEME
Les
trépassés de l’aube dans la chambre
voisine
(encore si peu vivants soit-ils !)
ce
n’est
pas
avec eux que l’on échangera farces & attrapes.
Lentement, ils pénètrent lentement dans ce champ troisième
sans penser aux dépenses du temps,
lentement.
JAMAIS
on
ne les voit se plaindre
à l’office sous perfusion
JAMAIS
on
ne les entend critiquer
le choix de l’Eternel.
Forcément la vie s’en est pris à eux
- d’abord à eux-
A
ceux-là !
DU CHANT QUATRE
Echange :
spleen, détresse, anxiété, appréhension, sentiment d’oppression,
contre non pas lebonheurmondieu mais au moins quelque chose
ayant à voir avec le repos du corps.
Ah ! De celui-là avec son monde nocturne, caves et souterrains,
je suis prêt à m’éloigner.
Pourtant nous fûmes amis, je me souviens.
Liés l’un à l’autre, j’en ai souvenir.
Un peu amant, frère & père, je l’ai parfaitement en mémoire.
Dès lors :
pourquoi se dispenser de lui ? Le demande-t-on à la femme belle
qui vit en chacun de nous ?
Et puis pourquoi, oui pourquoi se séparer de l’intérieur certes
rempli de vapeurs,
de sécrétions fatales, d’odeurs d’avant-hier ?
Pourquoi ?
ET LE COURS DU FLEUVE SANG !
Celui-là, c’est Meuse, Rhin, Danube, Tamise réunis.
Je me souviens. J’en ai souvenir. De sa beauté.
A qui nous cédons toujours notre pace dans l’autobus 80.
DU CHANT CINQUIEME
Lorsque
je
serai réconcilié avec mes morts.
Quand
ils
s’
attableront avec moi
pour le festin du soir,
moins inquiets qu’autrefois ils ne l’étaient vivants.
Encore sur la réserve aux main gantées d’hiver toutefois.
Alors
alléluia alléluia la neige
devant
tombes
ouvertes
nous danserons
alléluia
l’
ALLEMANDE
Autour
du
brasero
où
leurs ombres se morfondent & tremblent.
In, Jean Orizet : « La poésie française contemporaine »
Le cherche midi éditeur, 2004
Du même auteur :
la tête contre la vitre… » (26/02/2016)
« Ainsi nous portons tous… » (26/02/2017)
« Le marcheur d’eau… » (26/02/2018)
« Et ne sachant pas vivre... » (16/09/2021)
« Malade à en vomir des pierres... » (16/09/2022)
C'était bon d'avoir trente ans... » (16/09/2023)
Au petit matin (16/09/2024)