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Le bar à poèmes
5 mai 2019

François Cheng (1919 -) : L’arbre en nous a parlé (I)

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L’arbre en nous a parlé

 

Entre ardeur et pénombre

Le fût

Par où monte la saveur de la sève

          de l’originel désir

Jusqu’à la futaie

Jusqu’aux frondaisons

          foisonnante profondeur

Portant fleurs et fruits

          du suprême flamboiement

 

Entre élan

          vers le libre

Et retour

          vers l’abîme

Toute branche est brise

Et tout rameau rosée

Célébrant l’équilibre de l’instant

          au nom désormais fidèle

 

Arbre

 

 

 

 

Parfois un cyprès pousse en toi

 

Consentant

          tu porteras fruits

Foudroyé

               tu deviendras torche

 

Si tu plonges en toi

- feuilles branches confondues

Par delà tout oubli

Tu transmues

En chant

 

Le vent

 

 

 

 

Toi à jamais jaillissement

 

Propageant d’onde en onde

Ton souffle ombrageant

          vers tout le créé qui afflue

 

Parfois tu salues

Là-bas

          l’homme cloué immobile

 

L’homme enseignant et saignant

Qui n’aura de cesse

A ton instar

De redonner vie

 

Au bois mort

 

 

 

 

Là où il croit

Là est le centre

Monte alors l’arbre

          entièrement à soi

          entièrement livré

 

L’infini prend corps

Vibrant d’immémorial chaos

          fleurant bon la vacuité

 

Les brises lointaines font cercle

S’approchent à pas de loup

Boivent à la fontaine du tronc

Mangent dans l’écuelle des rameaux

 

Ici la soif

Ici la faim

Ici mouvance

Ici repos

 

A la pointe de la cime

Le jour terrestre pend mesure

          de son vaste règne

 

Avant la nuit

L’oiseau géant

A bout d’errance

     aspirant au retour

Couronne l’ardente frondaison

De tout l’or de sa souvenance

 

 

 

 

Feuilles de catalpa

Tendues vers l’au-delà

          de soi

 

Se donner

Pour toutes une fois

Pour ne plus

          se refermer

 

Toucher

          plus aigu que gelée

Ouïr

         plus délié que vent

 

Mains trouées d’éclairs

Gonflées de sang

Pour capter de soi

          l’au-delà

 

 

 

 

Toi qui sais

 

Parle-nous de lilas

Ou de magnolias

 

Nous qui retenons les noms

Sans saisir la voie du don

De la sève qui gonfle en secret

          chaque grappe chaque pétale

 

Toi qui sais

 

Apprends-nous à être

Pure couleur pure senteur

Rejoignant de cercle en cercle

Toutes couleurs toutes senteurs

          dans l’abandon à la résonnance

 

Toi qui nous renvoies

          à notre nom

 

Apprends-nous à être

Fleurs de l’oubli

          et racine de la souvenance

 

 

 

 

 

Au plus-haut de l’an

          l’air retient son souffle

Seul se meut un nuage

          sur la frondaison

Quand le feu s’évade

          quand se tait l’oiseau

Feuilles et racines 

          sont à l’unisson

 

Au plus-haut de l’an

          l’arbre ailé s’oublie

Proche est le lointain

          durable est l’instant

Quand le feu s’évade

          quand se tait l’oiseau

Tout tend vers son libre

          ou vers son repos

 

Le nuage en son erre

L’an à son plus haut

 

 

 

 

Les arbres de l’infinie douleur

Les nuages de l’infinie joie

Se donnent parfois signe de vie

A la lisière du vaste été

 

Les alouettes passent à travers

Sans rien saisir de leurs paroles

Une source les retiendra seule

Pour donner à boire aux morts

 

 

 

 

L’oiseau parle :

A l’apogée du printemps

Du fond du feuillage

Une branche se détache

          et fait le geste d’accueil

 

Et nous traversons

          l’aire du hasard

Pour nous poser là

A l’instant précis

          de l’éternité

 

Mouvement accordé

          de l’Être en sa croissance

 

Depuis l’argile jusqu’au bois

Depuis le bois jusqu’à la chair

Montée rythmique de la sève

Epanouie en éclats de jade

Sur la crête de la fontaine

 

Seule en équilibre

          plane l’infinie attente

 

Au cœur du jour

Au cœur de tout

Nous donnons alors le chant

          rond comme un nid

 

 

 

 

Tout le silence fulgure en un chant

Dans l’éternité d’un jour gris

Au cœur du bois

          que survolent d’insoucieux nuages

Tout le silence gonflé du chant

          surgi des entrailles de la mésange

Rond comme la rotation de l’univers

Rond comme un cœur qui bat

Cœur humain gonflé de douceur, de douleur

          de cris de vivants et de morts

Eclatant en unique chant de l’instant

Dans l’éternité du jour gris

          que survolent d’oublieux nuages

 

Au cœur d’un bois

 

 

 

 

Deux arbres parlent :

A juste distance

Nous croîtrons ensemble

Oublieux des roseaux flétris

          du sol calciné

 

Ensemble nous croîtrons

Droite est notre loi

Destins parallèles

          qui jamais ne se croiseront

 

Hautes branches obliques

Seul signe d’abandon

          entre nous

 

Droite est notre loi

Tentés par l’en-haut

Nous tendrons à deux

Sur la hauteur extrême

          l’arc de la lumière

 

Partira l’invisible flèche

Vers la plus vaste voûte

 

D’un jet

 

 

 

 

Arbre

          au milieu des champs

Calme îlot assailli

          d’invisibles remous

Ouvert à tous les orients

 

Vers nous

Dit le bonheur d’être ici

Vers ailleurs

Indique la voie

          aux oies sauvages

 

Soudain lointain et absent

Tel midi sous un ciel écumant

          où s’éveille le tonnerre

...........................................................

 

Double chant,

Editions Encre Marine,2000

 

Du même auteur :

Un jour, les pierres (I) (15/052014)

« L'infini n'est autre… » (15/05/2015)

Un jour, les pierres (II) (15/05/2016)

« Demeure ici… » (15/05/2017)

Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)

L’arbre en nous a parlé (II) (05/05/2020)

L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021) 

Cantos toscans (I) (05/05/2022)

Cinq quatrains (05/05/2023)

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