Miguel Angel Asturias (1899 – 1974) : Técoun-Oumane
Técoun-Oumane
Técoun-Oumane, guerrier aux vertes tours,
aux grandes, vertes, vertes tours,
aux vertes, vertes, vertes tours,
et aux Indiens, Indiens en file indienne
qui grouillent comme cent mille fourmis :
dix mille avec des flèches au pied d’un nuage, mille
avec des frondes au pied d’un peuplier, sept mille
avec des sarbacanes, et mille haches qui brillent
sur chaque cime aile de papillon
tombé dans une fourmilière de guerriers.
Técoun-Oumane, guerrier aux plumes vertes
aux longues plumes vertes, vertes,
aux plumes vertes, vertes, vertes
vertes, vertes, Quetzal aux fronts multiples
et aux ailes battant dans le combat
qui cinglent, cinglent au-dessus des armées
des hommes de maïs, longs épis qui s’égrènent
becquetés, picotés par des oiseaux de feu,
dans le filet de mort des pierres qui tournoient.
Quetzal-Oumane, guerrier aux ailes vertes
et à la longue traîne verte, verte,
flèches vertes, vertes du haut des tours
vertes, guerrier tatoué de verts tatouages.
Técoun-Oumane, guerrier dont les timbales
bourdonnent comme la tempête sèche,
tempête sèche des grands tambours, cuir
cuir de grand tambour, demi-peau de veau, cuir
de grand tambour frappé par le cuir, cuir
au-dedans, cuir au milieu, cuir au-dehors,
cuir de grand tambour, bong, bong, borong, bong,
bong, bong, borong, bong, bong, bong, borong, bong
bong, borong, bong, bong, bong, borong, bong, bong,
crépitement du tonnerre qui frappe
de ses graines gigantesques le creux
de l’écho que dédouble le tambour,
tambout, tambour, téponpong, tépongong,
tambout, tambour, téponpong, tépongong,
tépong, tépongong, tépong, tépongong,
tépongong, tépongong, tépongong...
Quetzal-Oumane, guerrier aux verts nopals,
guerrier aux grands et verts nopals,
guerrier aux verts, verts, verts nopals.
Sur les hampes des lances les métaux précieux
fulgurent et brillent en éclairs triomphants,
les panaches ondulent
parmi les verts étendards des nopals,
la terre brumeuse s’éboule,
et les lacs font rouler
le tambour de leur houle sans écume.
Toun, ô tambour de guerre de Técoun
qui hèle, clame, unit, fait surgir de la terre
les hommes afin que flambe fort la danse
de guerre qui est la danse du toun.
Toun, ô tambour de guerre de Técoun,
aveugle par-dedans comme le nid-tunnel
du colibri géant, nid du Quetzal,
quetzal, colibri géant de Técoun.
Quetzal, aimant pour le soleil, Técoun,
aimant pour le tambour, Quetzal-Técoun,
soleil, tambour, toun, toun, houle du lac,
houle du mont, houle du vert, houle du ciel,
toun, toun, houle du cœur vert du tambour,
toun, toun, palpitation du printemps,
toun, au premier printemps, houle de fleurs
qui baigna la terre vivante.
Ancêtre habile des deux mains ! Enorme main
pour recouvrir son sein de Tlaxcaltèques
et d’Espagnols, fauves à face humaine !
Hommes du Trône, Grand Monarque
des Quetzals dans le patrimoine
testiculaire du creux de la fronde,
fanon d’oiseaux ensanglantés
jusqu’à la dernière génération
des chefs barbouillés de rouge courou
et emperruqués de haricots noirs,
hautes houppes d’aigles captifs !
Chef de bravoure et de murailles de tribus
de pierre farouche, de clans
de volcans armés de bras ! Flamme et lave.
Qui s’expliquerait les volcans sans bras ?
Race de tempêtes entourée de plumes
de Quetzal rouges, vertes, jaunes !
Quetzal-Oumane, le serpent corail
teint le Séquijel de son miel de guerre,
tandis que saigne l’Arbre des Augures
pour présager la pluie de sang,
au sommet des coteaux quetzals
et face à l’Epervier d’Estramadure !
Técoun-Oumane !
Silence en branche...
Masque de la nuit piquetée de trous...
Pain à la mie de cendre et plumes mortes
accrochées aux anses de l’ombre,
au-delà des ténèbres, au-dedans des ténèbres
et au-dessous des ténèbres sans guérison ;
Et l’Epervier d’Estramadure : serres
armure et longue, longue lance...
Qui appeler, sans pleurs dans les pupilles ?
Dans les oreilles des conques sans vent
qui appeler ?... qui appeler ?...
Técoun-Oumane ! Quetzal-Oumane !
Son souffle ne s’est pas éteint car il survit parmi les flammes...
Une cité survit en armes dans son sang,
une cité et son armure
de cloches au lieu de tambours, une cité
dont la liberté vole, douce graine,
dans l’aile du colibri géant, du quetzal,
douce graine pour perforer la langue
qui maintenant l’appelle : Capitaine !
Ce n’est plus le toun ! Ce n’est plus Técoun !
Maintenant c’est le carillon des cloches,
Capitaine !
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon,
In, Miguel Angel Asturias : « Messages indiens »
Pierre Seghers, 1958
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