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Le bar à poèmes
29 mars 2019

Lorand Gaspar (1925 - 2019) : La maison près de la mer, I

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La maison près de la mer,  I

 

I

1

or pâle, brumes de paroles dans le froid

jours et icônes qui noircissent peu à peu

les doigts au bord d’un savoir insoumis –

 

 

2

falaise et claviers là-haut des murs blancs

Des fenêtres où résiste la nuit

parfois prennent feu, - des notes qui brûlent

par-delà leur temps dans la musique,

des images au soir  tombent sans bruit

dans la rouille très sombre des eaux

 

 

3

dans les tiroirs de la chambre

parfumés de sauge et de thym

remuent les bruits de l’autre été

quelques cailloux et bois polis

et la crasse des siècles sur

le noble profil d’Alexandre

qui a brillé un jour sous le pas

dans le désordre des pierres –

 

 

4

ici tu as vu la fraîcheur

d’un ordre de ta vie se défaire –

et que de hâte maintenant

pour éteindre un peu de beauté

vivante encore dans la chaux,

le bleu écaillé d’une barque –

 

 

5

et il s’agit bien de ce peu

que j’ai vu vibrer sur une aile

allumer l’inconnu d’un corps –

 

 

6

il y a eu ces échanges si simples

entre un silence en nous et quelques bruits

pages d’un livre que l’on tourne

brève rafale de l’esprit –

dehors le calme revenu

la mer ravaudait ses filets –

 

 

7

matin où le monde s’étonne

mu par la main d’un nouveau-né

entre un rai lumineux et la bouche

et chaque reflet est un cri

nouveau de surprise d’exister –

 

et les mélodies, les voix

telles des pinceaux et des ailes

qui vont où l’ouvert les porte –

 

 

8

le silence des murs la pudeur du mot rose

chuchotements d’odeurs au fond des années

et la mer pieds nus dans les chambres désertes –

 

mes yeux sont pris encore dans la nuit

mais j’entends déjà le jour qui pétrit

dans sa gorge la fauvette orphée –

 

 

9

fluide et cloué tour à tour

l’esprit peu à peu se retrouve

dans le silence qui mûrit

 

et s’ouvre aux battements du corps,

brève floraison parmi d’autres

sans nombre d’une fugue unique

 

élancements, défaites et rebonds

vigoureuse clarté d’effroi

dissonances que tu ne peux résoudre –

 

 

10

chiffres et mots comme un paquet

de bois tordus de bouteilles brisées

qu’illisibles abandonne la mer.

Une fois encore la lumière si proche

me montre d’abord mes limites

- rend illisible ma pensée –

mais n’est-elle pas entière

dans chaque fureur qui me touche ?

 

 

11

j’éteins des images qui heurtent

des miroirs invisibles, attentif

seulement au remous qui se creuse –

 

oui, oui, tant d’esprit dans les doigts,

l’abîme muet du toucher

cueilli sur les choses et les corps –

 

pépites d’un feu à Noël

quand passe dehors le traîneau

dans la neige posant son poids

d’une inquiétante douceur –

 

II

 

1

je brûle doucement

herbe des jours d’été

un cri de silence

dans l’idée d’infini –

 

la rugine du matin dénude les os

le ciel est nu un homme écoute

les bruits de son cœur emportés par la mer –

 

 

2

les cailloux tremblent

les cailloux rient

se serrent dans le ressac

s’usent et se resserrent

 

tintent dans ma poche

se déchiffrent à mes doigts

idée que je peux

entendre et toucher –

 

 

3

dans le jour de mes yeux

une eau qui se brise –

des gouttes d’espace

sans fin rebrisées –

 

grappes de pensée

dans la nuit du corps

ouvertes aux mots

levés dans le cœur

 

pulsation du même

perlement continu

 

 

4

certains jours les pierres

essaiment dans le soir

leur ciment de gravité

 

les mots dissous

l’œil et la main pris

dans l’élan illicite –

 

 

5

un clair de corps

regarde les ténèbres

 

ciel dans l’eau

les montagnes flottent

posées sur la brume

 

un rire d’enfants

à la fraîcheur du soir

s’émiette sans fin –

 

 

6

des miettes du voir

tombées de quelle table

qu’aucune musique –

 

quand la nuit dévoile

sa blancheur au verger

des pétales bourdonnent

aux ruches du cerveau

 

la pensée peut-elle

de ces neiges en  nous

peser le silence ?

 

et la nuit écrire

avec des mots blancs ?

 

 

7

ma page est claire et les mots obscurs

pattes d’insectes ramant dans le froid

du corps terré encore dans sa peur

 

j’ignore combien il a fallu creuser

dans le même mouvoir tissé, retissé

pour que sourde l’inconnu du visage

 

8

une vielle photo de famille

mince supplément au voyage

qui cherche humblement l’oubli –

 

Patmos et autres poèmes

Gallimard éditeur, 2001

Du même auteur :

La maison près de la mer, II (29/03/2016)

Patmos (29/03/2017)

Nuits (29/03/2018)

Amandiers (29/03/2020)

Sidi-Bou-Saïd / Raouad / Linaria (29/03/2021)

Genèse (29/03/2022)

Sefar (07/09/2022)

Nuits et neiges (29/03/2023)

Poèmes d’été à Sidi-Bou-Saïd 07/09/2023)

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