Théodore Agrippa d’Aubigné (1552 – 1630) : « Les rois, qui sont du peuple... »
Les rois, qui sont du peuple et les rois et les pères
Du troupeau domestique sont les loups sanguinaires ;
Ils sont l’ire allumée et les verges de Dieu,
La crainte des vivants ; ils succèdent au lieu
Des héritiers des morts ; ravisseurs de pucelles,
Adultères, souillant les couches des plus belles
Des maris assommés, ou bannis pour leur bien,
Ils courent sans repos, et quand ils n’ont plus rien
Pour souler l’avarice, ils cherchent autre sorte
Qui contente l’esprit d’une ordure plus forte.
Les vieillards enrichis tremblent le long du jour ;
Les femmes, les maris, privés de leur amour
Par l’épais de la nuit se mettent à la fuite ;
Les meurtriers soudoyés s’échauffent à la suite.
L’homme est en proie à l’homme : un loup à son pareil.
Le père étrangle au lit le fils, et le cercueil
Préparé par le fils sollicite le père.
Le frère avant le temps hérite de son frère,
On trouve des moyens, des crimes tout nouveaux,
Des poisons inconnus, ou les sanglants couteaux
Travaillent au midi, et le furieux vice
Et le meurtre public ont le nom de justice.
Les belistes armés ont le gouvernement,
Le sac de nos cités, comme anciennement
Une croix bourguignonne épouvantait nos pères,
Le blanc les fait trembler, et les tremblantes mères
Pressent à l’estomac leurs enfants éperdus,
Quand les grondants tambours sont battants entendus.
Les places de repos sont places étrangères,
Les villes du milieu sont les villes frontières ;
Le village se garde, et nos propres maisons
Nous sont le plus souvent garnisons et prisons.
L’honorable bourgeois, l’exemple de sa ville,
Souffre devant ses yeux violer femme et fille,
Et tomber sans merci dans l’insolente main
Qui s’étendait naguère à mendier son pain.
Le sage justicier est traîné au supplice,
Le malfaiteur lui fait son procès ; l’injustice
Est principe de droit ; comme au monde à l’envers,
Le vieil père est fouetté de son enfant pervers.
Celui qui en la paix cachait son brigandage,
de peur d'être puni, étale son pillage,
Au son de la trompette, au plus fort des marchés,
Son meurtre et son butin sont à l'encan prêchés,
Si qu'au lieu de la roue, au lieu de la sentence,
La peine du forfait se cache en récompense.
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Les Tragiques, 1615 -1623
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