Frantisek Hrubin (1910 – 1971) : Romance pour un clairon
Romance pour un clairon
Nuit du 28 août
Forêts vierges d’orties fouettées par les étoiles
à la fenêtre grande ouverte. Chaude nuit d’août.
Assis à la fenêtre genoux au menton. Je veille.
Je dois veiller. Et la fraîcheur de la chambre me presse
contre les empreintes chaudes et parfumées du dehors...
... Il est minuit aux orties, minuit aux aneth.
Terina, je te revêtirai d’étoiles
et ton corps éclaboussera les espaces infinis.
Tu pourras entendre là-haut le dernier stridule
du grillon à l’automne
et l’explosion de l’étoile nouveau-née.
Mais l’infini pourra à peine contenir
cette larme brusquement surgie...
... Tu es partie au soir dans la carriole à rideaux.
Hier tu m’as embrassé sur la bouche
et le blanc flocon de ton baiser
s’est multiplié dans le ciel.
Je regarde du côté des étoiles et à chaque inspiration
je les attire toutes sur mes lèvres (...)
C’était au cours d’une de ces veillées
j’étais assis sur la fenêtre et je ne savais plus
combien tu avais de mains, combien de bouches.
C’était au cours de cette veillée funèbre
alors qu’il s’en fallait de peu que le sang
ne se figeât dans mes veines
et la sève dans mes ailes palpitantes.
C’était ta bouche effleurée promesse invariable
quand l’amour et la mort se croisaient en moi.
C’étai quand j’étais sûr que rien jamais rien
ne chasserait mes vingt ans, poissons aux nageoires dorées.
C’était si loin ! (...)
Et moi
deux semaines encore après la fête foraine
j’irai chaque jour à Chleb pour te revoir
et tu m’attendras au milieu des hauts genêts.
Et comme eux nous brûlerons de tous nos ors
avec autour de la bouche l’odeur frémissante des abeilles.
Et nos têtes, comme deux galets luisants
perdus au fond d’une rivière de soleil.
La couleuvre sentinelle sifflera sur les rives
et nous ignorerons la mort
comme la fleur de trèfle ignore l’ombre du papillon (...)
Le bac
La perche du passeur plonge à la recherche
d’un appui entre les galets du fond
et au milieu des craquements.
je ressens à la place de ces pierres
ce point qui m’appuie sur le cœur
à intervalles réguliers
pesant brutalement et relâchant sa poussée.
Pendant tout ce temps le soleil me consume
et l’autre rive au loin paraît inaccessible.
Alors je rejette la perche, lourde aile de bois
et je bondis sur le vert de la rive...
Terina ! les grillons nous joueront d’étonnantes rhapsodies
jamais entendues et tes yeux
comme de merveilleuses étoiles fermerai
et couvrirai par mes baisers. Le chant
des grillons nous rendra fous de bonheur.
Déjà j’arrive à t’imaginer tout entière
depuis le frémissement de tes narine dorées
jusqu’à la veinule de la blanche fossette
de tes genoux.
Faut-il deviner
ce que tu fais à ce moment même ?
Je te vois couchée sur le dos, allongée
dans l’ombre de la carriole. Le soleil envoie
ses rayons pour te trouver.
J’arrive (...)
Aujourd’hui nuit du 28 août
Forêts vierges d’orties fouettées par les étoiles
à la fenêtre grande ouverte. Chaude nuit d’août.
Assis à la fenêtre genoux au menton. Je veille.
Je dois veiller.
Grand-père repose dans l’alcôve
sous le drap blanc. La bougie à sa tête
s’est déjà consumée. Je dois veiller.
Impossible par cette chaleur de fermer la fenêtre
et je protège mon grand-père des agressions
du monde grouillant dehors.
(.......................)
Un jour quand je serai vieux, Terina
c’est ta tombe que je chercherai. Le fossoyeur
soufflera sur le feuillet au soleil de septembre
« Je me la rappelle bien. C’est noté dans le livre
j’ai prêté un costume à son père
pour l’enterrement.
Mais la tombe, dira le fossoyeur
n’existe plus depuis deux ans. »
Et moi, je serai vivant, vivant
comme un fou et mes ailes repliées
dans le sang de mes veines trépideront,
pleines de sève
(.......................)
Ne meurs pas, m’as-tu dit ce matin.
Moi mourir ?
Je suis assis à la fenêtre
je dois veiller. Et toi tu dors je ne sais où
Là-bas, loin, quelque part dans la carriole à rideaux.
Moi mourir ? Aujourd’hui il y a tous ces jours en plus...
où je m’épanouis dans l’éclat du soleil
me répandant comme une chanson à mille refrains.
Aujourd’hui il y a aussi cette nuit en plus
et je me retrouve à la charge des autres
et de moi-même...
Traduit du Tchèque par Milan Kepel
in, « Poésie 1, La Nouvelle poésie tchèque, N° 46, juillet-août 1976 »
Librairie Saint-Germain-des-Prés,Editeur, 1976