James Joyce (1882 -1941) : Poèmes d’Api / Pomes Penyeach
Poèmes d’Api
I
Terroir
A la suite d’un soleil d’hiver il va
Pressant le bétail sur la route froide et rouge
Les excitant de cette voix qu’elles entendent tous les jours
Il mène ses bêtes au-dessus de Cabra
La voix leur dit l’abri et la tiédeur
Elles meuglent leurs sabots font une musique frustre
Il les pousse devant lui avec une branche vive
Et leur front s’empanache de vapeur
Rustre serf du troupeau
Etends-toi devant le feu tout de ton long ce soir
Je saigne au bord de l’eau noire
Par mon rameau arraché
Dublin 1904
III
Une fleur donnée à ma fille
Frêle la rose blanche et frêles les mains de femme
Qui l’ont donnée
Consumée et plus pâle son âme
Que l’onde impalpable de la durée
Rose frêle et blonde et plus frêle que frêle
La fraîcheur étonnée
Que tu cèles dans la prunelle
Mon enfant bleu veinée
Trieste 1913
IV
Elle pleure sur Rahoon
Doucement il pleut sur Rahoon il pleut doucement
Là où git mon sombre amant
Triste sa voix qui m’appelle appelle tristement
Sous le gris de lune ascendant
Mon amour tu entends
Comme douce est sa voix et triste qui toujours supplie
Et toujours sans réponse et cette sombre pluie
Alors comme à présent
Sombres aussi nos cœurs et froids iront un jour
Gésir comme le triste sien ô mon amour
Sous le terreau noir et la blafarde ortie
Et les patenôtres de la pluie
Trieste 1913
V
Tutto è sciolto
Ciel sans oiseaux mer cendre une étoile en peine
Qui perce l’occident
Et d’une amour mon cœur incertaine et lointaine
Te souvenant
Clairs jeunes yeux et leur douceur front d’innocence
Et l’odeur des cheveux
Qui descendaient comme descend dans le silence
La cendre des cieux
Mais à quoi bon du leurre ingénu qui se rappelle
Te rendre chagrin
Quand l’amour dans un soupir cédé par elle
Etait si peu tien
Trieste 1914
VI
Sur la plage de Fontana
Le vent geint le gravier geint affolés
Grincent les pieux de la jetée
Une sénile mer compte un à un ses galets
Gluants de bave argentée
Contre le vent qui geint la mer plus cinglante
Je l’enveloppe chaudement
Et sent l’os fin de l’épaule frissonnante
Le bras d’adolescent
D’en haut sur nous une ténèbre de peur
Descend la peur nous tourne autour
Et si profond et sans relâche dans mon cœur
Ce mal d’amour
Trieste 1914
VII
Simples
O bella bionda,
Sei come l’onda !
De laiteuse rosée et bénigne lumière
La lune va ses rets de silence ourdissant
Dans le jardin où rien ne bouge qu’une enfant
Cueillant les simples herbes potagères
La lunaire rosée étoile sa crinière
La lunaire clarté baise son jeune front
Elle cueille et marmonne une chanson
Belle comme le jour et comme l’onde claire
Par grâce oreille veille à le sceller contre une
Aussi puérile ritournelle
Ménage cœur de te garder de celle
Qui cueille les simples de lune
Trieste 1915
X
Seul
Aux maillons de lune gris et or
La nuit est toute prise
Les feux des bords dans le lac qui dort
Trainent des cirres de cytise
L’astucieux roseau glisse
A la nuit un nom son nom
Et mon âme n’est que délice
Qu’humiliation
Zurich 1916
Traduit de l’anglais par Auguste Morel
In, Revue « Bifur, N° 3 »
Editions du Carrefour, 1929
I
Tilly
He travels after a winter sun,
Urging the cattle along a cold red road,
Calling to them, a voice they know,
He drives his beasts above Cabra.
The voice tells them home is warm.
They moo and make brute music with their hoofs.
He drives them with a flowering branch before him,
Smoke pluming their foreheads.
Boor, bond of the herd,
Tonight stretch full by the fire!
I bleed by the black stream
For my torn bough!
III
A flower given to my daughter
Frail the white rose and frail are
Her hands that gave
Whose soul is sere and paler
Than time's wan wave.
Rosefrail and fair -- yet frailest
A wonder wild
In gentle eyes thou veilest,
My blueveined child.
IV
She weeps over Rahoon
Rain on Rahoon falls softly, softly falling,
Where my dark lover lies.
Sad is his voice that calls me, sadly calling,
At grey moonrise.
Love, hear thou
How soft, how sad his voice is ever calling,
Ever unanswered, and the dark rain falling,
Then as now.
Dark too our hearts, O love, shall lie and cold
As his sad heart has lain
Under the moongrey nettles, the black mould
And muttering rain.
V
Tutto è sciolto
A birdless heaven, seadusk, one lone star
Piercing the west,
As thou, fond heart, love's time, so faint, so far,
Rememberest.
The clear young eyes' soft look, the candid brow,
The fragrant hair,
Falling as through the silence falleth now
Dusk of the air.
Why then, remembering those shy
Sweet lures, repine
When the dear love she yielded with a sigh
Was all but thine
VI
On the beach at Fontana
Wind whines and whines the shingle,
The crazy pierstakes groan;
A senile sea numbers each single
Slimesilvered stone.
From whining wind and colder
Grey sea I wrap him warm
And touch his trembling fineboned shoulder
And boyish arm.
Around us fear, descending
Darkness of fear above
And in my heart how deep unending
Ache of love!
VII
Simples
O bella bionda,
Sei come l’onda
Of cool sweet dew and radiance mild
The moon a web of silence weaves
In the still garden where a child
Gathers the simple salad leaves.
A moondew stars her hanging hair
And moonlight kisses her young brow
And, gathering, she sings an air:
Fair as the wave is, fair, art thou!
Be mine, I pray, a waxen ear
To shield me from her childish croon
And mine a shielded heart for her
Who gathers simples of the moon.
X
Alone
The noon's greygolden meshes make
All night a veil,
The shorelamps in the sleeping lake
Laburnum tendrils trail.
The sly reeds whisper to the night
A name - her name-
And all my soul is a delight,
A swoon of shame.
Pomes Penyeach
Shakespeare and Co, Editor, Paris, 1927
Poème précédent en anglais :
Walt Whitman : Départ pour Paumanok / Starting from Paumanok (28/01/2018)
Poème suivant en anglais :
Jack Kerouac : Mexico City Blues (21ème – 30ème Chorus / 21sd 30th Chorus) (26/03/2018)