Laurice Schehadé (1908 - 2009) : « Jardins d’orangers amers… »
Jardins d’orangers amers au pied de la montagne, le ciel était un toit, le
passant un ami. Je traçais dans l’air des mots qui voulaient dire une histoire.
Les ans au passage les ont détruits pour donner à l’âne gris un collier de
coquillages et je n’arrive plus à démêler la douce nuit d’avec la lumière sonore.
Le bonheur jouait au bonheur sous les orangers de mon pays, mariée, belle mariée.
*
Ivre du grand parcours des fleuves, je porte et je te donne, mon amour, une
calebasse remplie de folies en haillons. Pour nourrir les oiseaux des fontaines,
les innocents de la terre, un soir d’été je m’appuyais sur le ciel incendié et volais
à la nuit sa première étoile. Depuis – racine aux sommets ravagés, nid de
tourterelles veuves – je me souviens d’années en allées - masque méchant de
l’amour boiteux.
*
En la maison la plus haute, toutes lanternes éteintes, un gardien borgne
escamotait mes yeux longs et soyeux éclaireurs, tandis qu’emporté dans les bras
lents de la rivière, enfant d’un rêve couleur d’été sur la plaine, mon amour avait
la douceur tranquille d’un désespoir sans rémission ni fin.
Jardins d’Orangers amers
GLM éditeur, 1959
De la même autrice :: Mon pays, comme la laine… » (01/08/2017)