Efraín Bartolomé (1950 - ) : Rivière nocturne
Rivière nocturne
On ne peut rien contre la pluie
Rien contre la rivière noire
Qui descend jusqu’au fond boueux du village
Rivière de nuit qui tombe
crie fouette
incendie tremble bruit
gifle la terre, le vent,
et octobre qui naît
et la mémoire
gorgée d’eau de vie
en tombant dans les brasiers insomniaques
Il y eut des années où le ciel
venait
Egal
Battre les toits comme un tambour
et le manguier luxuriant de la cour
avait tout l’air d’être forêt
pareil à l’antique coquillage qui rappelle la mer.
C’est cette même pluie qui chassait les rêves
agrandissait les jours
et livrait la rivière à nos pieds
Vingt ans après notre rencontre
Elle sait que je suis là
Son entêtement n’a pas vieilli
ni sa fureur ni son cri déchaîné
Pourtant rien n’est pareil
Ma forêt s’est changée en jardin
Je porte une barbe et des lunettes
J’ai vingt-neuf ans, deux fils,
Et on a asphalté les rues
Pourtant rien n’a changé
Il y a toujours les insomnies
Le manguier agité par le vent
Moi qui tremble et m’inquiète
Qui me dis, quand l’eau s’arrêtera,
Quand tout se calmera
J’enverrai mes souvenirs dans la rue
Jouer au petit bateau
Que faire
Je suis un autre
Et le même
Le fleuve de la nuit rêve
La nuit de son côté ne pense qu’à tomber.
Traduit de l’espagnol par Christine Balta
In, « Un siècle de poésie mexicaine. Anthologie »
Ecrits des Forges / Le Castor Astral, 1989 et 2009