Joseph Sayegh (1930 - 2020) / زف صايغ : « A chaque prophète sa grâce… »
A chaque prophète sa grâce, à chaque amour
son langage
Et toi, mon aimée, toi parole gracieuse,
toi ma voix et me signes
Unique de la singularité de l’inspiration,
Demeures la solitaire du verbe
Parmi toutes les femmes, parmi tous les
destins, je t’ai choisie responsable de la joie
De la solitude qui façonne les aigles,
responsables de l’amour qui façonne le langage
pour les hommes singuliers.
Les générations des mots se renouvellent en
nous comme nous nous renouvelons dans l’amour,
et là où le corps se tait le langage meurt
et la poésie
Et meurt aussi l’arbre de l’homme dont les
racines plongent dans les cieux.
Longue fut la marche vers la parole,
et lorsque j’ai pu t’atteindre
j’avais perdu mon langage et ne retrouvais
d’autre que toi
Tu es mon expression avec laquelle j’officie,
le vocabulaire par lequel je me prononce,
par delà moi-même, pour toi,
je te dis l’ivresse pour ma passion,
par laquelle je dis l’univers
Le langage qui me rend à l’histoire
Le langage qui m’annule
Et qui me ressuscite.
L’amour dépasse le langage impuissant comme
le parfum transcende la rose inconsciente !
Une rose peut-elle contenir son parfum ?
La voici ; telle qu’elle respire !
Qu’y at-il de plus éloquemment fugace
Que la pérennité de cet éphémère ?
Merveilleuse et fragile comme les choses
qui vont à la mort.
Traduit de l’arabe par Lody Aoueiss
In, Revue « vagabondages, N° 31, Juin 1981 »
Association Paris-poète
Librairie Séguier, 1981