Laurent Tailhade (1854 – 1919) : Menuet d’Automne
Menuet d’Automne
Les asters et les véroniques, - de leurs corolles sans parfums, -
laissent tomber sur les parterres – où d’autres fleurs ne s’ouvrent
plus – la tristesse mystique et lente des adieux.
Mauve tendre et vert alangui – leurs teintes vagues s’harmonisent
- aux ciels lavés du prime automne, - à la souriante langueur – des
beaux jours près de s’envoler.
Bouquets de souvenir et non bouquets de deuil, - l’or violent des
chrysanthèmes, - le sang pourpré des dahlias, - n’altèrent point leur
éclat doux.
En mineur, d’une voix éteinte – et sur un mode atténué, - les asters
et les véroniques, - au vent fraîchi qui les caresse, - marmonnent des
refrains d’adieux.
C’est la saison prestigieuse – où les arbres portent des feuilles – de
topazes et de rubis, - où la grive crie à travers – les pampres fauves adornés
- de rutilante orfèvrerie.
En ses corbeilles débordantes, - Octobre entasse à pleines mains – les
présents des chasseurs et ceux des vignerons.
Sous les courtines jaunes pâles – de leurs ultimes floraisons, - en un
dernier baiser, les roses – solemnisent leurs noces d’or.
La terre se pâme, enivrée – et célèbre une fête encore – avant d’entrer
dans le silence – et la paix noire de l’hiver.
Demain, les martinets frileux – avec les feuilles arrachées – s’envoleront
à tire d’aile ; - demain, les bises hiémales – sangloteront parmi les bois…
Mauve tendre et vert alangui, - sur les plates-bandes fanées, - les asters
et les véroniques – chantent, mezzo voce, la chanson des adieux.
Poèmes élégiaques
Editions du Mercure de France, 1907