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Le bar à poèmes
29 novembre 2015

Gérard Le Gouic (1936 -) : Hôtel des îles

 

 

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Hôtel des îles

à Henry Thomas

 

Une journée au large

si semblable aux journées

déjà vécues

si ce n’est la mer qui tourne

sans fin sur elle-même,

si ce n’est le soleil

dans son jardin d’immortelles

et d’éphémères,

et par-dessus tout cela

qu’on ne saurait détourner,

notre pouvoir toujours semblable

à tout découvrir, comprendre,

notre aptitude

à tout laisser s’évanouir...

 

PREMIERE ÎLE

Île

quand elle brûle au printemps

 

et sent l’odeur

d’un baril de rhum doux.

 

 

Île

telle une lessive

 

qui s’enfle et se vide

sur les talus,

les ronciers de la mer.

 

 

Île

telle une épave

 

tombée des tempêtes.

 

 

Île

sous le galop blond de ses chevaux

 

aux crinières sucrées

par le vent.

 

 

Ile

penchée le dimanche

 

vers ses joueurs

de dominos.

 

 

Île trompeuse

sauf sous la visière d’un vieil homme

 

qui regarde l’océan

comme on regarde la nuit derrière soi.

 

DEUXIEME ÎLE

Dès qu’on perd de vue

la mer,

 

l’île devient terre à terre,

obstinée, hostile,

 

Aux lieu de réduire

les dimensions de l’île,

 

la mer les agrandit.

 

 

Sur la lande de l’île

on se sent envahi,

traqué par le bonheur.

 

Tout est définitif,

en soi, autour de soi,

 

tout s’allège et devient cependant

lourd à porter.

 

 

Le squelette d’une mouette

prend le poids

des os recuits

sur le bord des pistes.

 

Il n’y a plus de vie

ni déjà plus de mort,

que la terre spongieuse et salée

des ailes et des vertèbres,

 

et la mer au bas de la falaise,

et le ciel à sa naissance

où le vol de l’oiseau se conserve

comme un empreinte digitale.

 

 

Qui ne souhaiterait

que tout ne fut collectif :

 

la lumière, le ciel,

les terres de l’île ?

 

On ne garde espoir

que dans la liberté des siens.

 

 

Tout semble flotter

librement :

le ciel, la mer,

les rochers.

 

Seul l’oiseau

qui vole d’une cheminée

au clocher de l’île

est suspendu à un fil.

 

 

Des mots blessent

plus qu’insultes et jurons :

 

bonheur, voyage, ville,

exil,

 

des mots de femme

et qui les porte

dans le regard

 

ne compte pas plus

que les visiteurs d’un jour

à la belle saison.

 

 

TROISIEME ÎLE

Il y a des îles

où manque la mer

 

comme des amours

brûlent sans amour.

 

 

Il y a des îles

tournées vers l’intérieur

d’elles-mêmes

 

La mer est au-dessus

de leurs forces.

 

 

condamnées à l’avance,

 

tout leur réussit,

même la paralysie,

même la mort.

 

Il y a des îles

qui tournent le dos

à la mer.

 

Pour un peu elles bâtiraient

un ciel et des étoiles

autour d’elles.

 

 

Il y a des îles

que la mer ennuie.

 

Elles élèvent de hautes collines

pour qu’on ne suive de tous côtés

que leurs prairies

que leurs enfilades de haies.

 

Il y a des îles

qui se creusent des vallons,

entretiennent des boqueteaux d’arbres,

 

plient et replient la ligne droite

pour augmenter le silence de leur terre

d’un promontoire à l’autre.

 

Il y a des îles

qui dessinent des plans,

inventorient faune et flore,

banderoles et flonflons,

 

des îles qui veulent devenir

plus étincelantes que la mer.

 

 

Il y a des îles

qu’on décide d’aimer,

peut-être de ne plus quitter,

 

mais au fur et à mesure

qu’on avance en elles,

on pense à de nouvelles îles.

 

QUATRIEME ÎLE

L’île aura beau faire

 

elle n’échappera pas

au cercle.

 

 

Il existe trois conflits

qu’il ne faut pas tenter

de démêler :

 

une querelle entre poètes,

une querelle entre chats,

une querelle entre pêcheurs

d’un même bateau.

 

 

Des îles crient

leur beauté,

 

d’autres leurs souffrances,

 

certaines îles ignorent

qu’on puisse crier.

 

CINQUIEME ÎLE

Si basse est l’île

qu’un haut mur la protège

 

invisible pour tous

excepté pour la mer.

 

 

Sur la ligne d’horizon,

l’île est le nœud papillon

 

qui rattache le ciel

à la mer.

 

Derrière la levée de la dune

le marais d’eau douce

 

comme un enfant albinos

au milieu d’hommes de couleur.

 

Le silence

est l’herbe de l’île.

 

 

L’île

comme la bulle d’air

 

d’un niveau de maçon.

 

 

Sur l’île

on a le silence

 

à couteaux tirés.

 

 

Le silence est plus dur

que les rochers,

 

plus fluide

que les rigoles de sable

qui serpentent sous les portes.

 

 

Le silence frappe

de toute sa force

 

comme sur une enclume.

 

 

Dans l’atelier de la mer

l’île est un gobelet

 

où le silence assouplit

ses pinceaux de soie...

 

 

 

 

Hôtel des îles                

in, Jean Wagner « Gérard Le Gouic, ou la Bretagne universelle »

Editions du Rouergue (Visages de ce temps), 1987

Du même auteur :

« Quand ma chienne me regarde… » (29/11/2014)

Cairn de Barnenez (29/11/2016)

« La campagne semble morte… » (29/11/2017)

Pierres (29/11/2018)

Ici (29/11/2019)

La terre aux manoirs d’herbes (1) (29/11/2020)

Le Marcheur d’Afrique (29/11/2021) 

La terre aux manoirs d’herbes (2) (29/11/2022)

La terre aux manoirs d’herbes (3) (29/11/2023)

Pommier (29/11/2024)

 

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