Alain Mabanckou (1966 - ) : A ma mère
A ma mère
J’ai planté mon mât au cœur de ce territoire
Me voici loin des miens
J’apprends maintenant à danser d’un seul pied
Et à oublier ma tradition de bipède
La terre rouge de ma contrée
N’a pas quitté mes semelles depuis la dernière transhumance
Le sommeil habite mes paupières
Mais je dors d’un seul œil
D’une seule oreille
J’ai épousé le destin de la feuille
Je me détache de l’arbre et m’envole au gré du vent
Je retombe toujours au pied de l’arbre
Et même s’il m’est arrivé d’être emporté par le courant
d’une rivière
Dans chacun de mes songes
Revient ce nom
Deux syllabes
Congo
A présent, je ne résiste plus
Quand la douleur me convoque aux heures où l’insomnie
Hante les paupières
Je retrouve les ombres nocturnes de notre village
Et mon cœur bat au rythme d’un troupeau
Apeuré par une tornade imminente
Me restent alors pour arroser le sol aride du retour
Ces larmes torrentielles qui débordent
Le lit de mes peines
Quand je rentrerai de mon pèlerinage
La porte de la demeure sera close
Quelques moutons brouteront la dernière herbe du voisinage
Je prendrai le chemin du cimetière
Et je reverrai cette tombe toute seule
Près de l’arbre sui donna naissance à mes premiers poèmes
C’est là qu’elle repose, ma mère
Et c’est là que j’habite depuis longtemps
Poème lu à New-York, à l’occasion du Pen American
In, L’Année poétique 20008,
Editions Seghers, 2008
Du même auteur :
Tant que les arbres s’enracineront dans la terre (21/04/2018)
Les arbres aussi versent des larmes. II (28/04/2019)
Les arbres aussi versent des larmes. I (28/04/2020)
Les arbres aussi versent des larmes .III (28/04/2021)
Les arbres aussi versent des larmes. IV (28/04/2022)
La légende de l’errance.I (27/04/2023)
La légende de l’errance.2 (27/04/2024)